Le Speronare. Dumas Alexandre
Читать онлайн книгу.encore, ou plutôt rien n'était achevé: il fallait prendre Capri, la forteresse principale, et les forts Saint-Michel et San-Salvador.
Alors, et après l'oeuvre du courage, vint l'oeuvre de la patience; quatre cents hommes se mirent au travail. En avant des thermes de Tibère, dont les ruines puissantes les protégeaient contre l'artillerie de la forteresse, ils commencèrent à creuser un petit port, tandis que les quatre cents autres, retrouvant dans leurs embrasures les canons ennemis, tournaient les uns vers la ville et préparaient des batteries de brèche, tournaient les autres vers les vaisseaux qu'on voyait arriver luttant contre le vent contraire, et préparaient des boulets rouges.
Le port fut achevé vers les deux heures de l'après-midi; alors on vit s'avancer de la pointe du cap Campanetta les embarcations renvoyées la veille et qui revenaient chargées de vivres, de munitions et d'artillerie. Le général Lamarque choisit douze pièces de vingt-quatre; quatre cents hommes s'y attelèrent, et à travers les rochers, par des chemins qu'ils frayèrent eux-mêmes à l'insu de l'ennemi, les traînèrent au sommet du mont Solaro qui domine la ville et les deux forts. Le soir, à six heures, les douze pièces étaient en batterie. Soixante à quatre-vingts hommes restèrent pour les servir; les autres descendirent et vinrent rejoindre leurs compagnons.
Mais, pendant ce temps, une étrange chose s'opérait. Malgré le vent contraire, la flotte était arrivée à portée de canon et avait commencé le feu. Six frégates, cinq bricks, douze bombardes et seize chaloupes canonnières assiégeaient les assiégeants, qui à la fois se défendaient contre la flotte et attaquaient la ville. Sur ces entrefaites, l'obscurité vint; force fut d'interrompre le combat; Naples eut beau regarder de tous ses yeux, cette nuit-là le volcan était éteint ou se reposait.
Malgré la mer, malgré la tempête, malgré le vent, les Anglais parvinrent pendant la nuit à jeter dans l'île deux cents canonniers et cinq cents hommes d'infanterie. Les assiégés se trouvaient donc alors près d'un tiers plus forts que les assiégeants.
Le jour vint: avec le jour la canonnade s'éveilla entre la flotte et la côte, entre la côte et la terre. Les trois forts répondaient de leur mieux à cette attaque qui, divisée, était moins dangereuse pour eux, quand tout à coup quelque chose comme un orage éclata au-dessus de leurs têtes: une pluie de fer écrasa à demi-portée les canonniers sur leurs pièces. C'étaient les douze pièces de 24 qui tonnaient à la fois.
En moins d'une heure, le feu des trois forts fut éteint; au bout de deux heures, la batterie de la côte avait pratiqué une brèche. Le général Lamarque laissa cent hommes pour servir les pièces qui devaient tenir la flotte en respect, se mit à la tête de six cents autres et ordonna l'assaut.
En ce moment un pavillon blanc fut hissé sur la forteresse. Hudson Lowe demandait à capituler. Treize cents hommes, soutenus par une flotte de quarante à quarante-cinq voiles, offraient de se rendre à sept cents, ne se réservant que la retraite avec armes et bagages. Hudson Lowe s'engageait en outre à faire rentrer la flotte dans le port de Ponza. La capitulation était trop avantageuse pour être refusée; les neuf cents prisonniers du fort Sainte-Barbe furent réunis à leurs treize cents compagnons. A midi, les deux mille deux cents hommes d'Hudson Lowe quittaient l'île, abandonnant à Lamarque et à ses huit cents soldats la place, les forts, l'artillerie et les munitions.
Douze ans plus tard, Hudson commandait dans une autre île, non point cette fois à titre de gouverneur, mais de geôlier, et son prisonnier, comme une insulte qui devait compenser toutes les tortures qu'il lui avait fait souffrir, lui jetait à la face cette honteuse reddition de Caprée.
Je visitai le talus et l'escalier, c'est-à-dire l'endroit par lequel quinze cents hommes étaient montés et mille étaient descendus; rien qu'à les regarder, on a le vertige; chaque marche de l'escalier porte encore la trace de quelque mitraille.
J'avais fait toute cette excursion seul. Jadin avait trouvé une vue à croquer, et s'était arrêté au tiers de la montée. Je le rejoignis en descendant, et nous regagnâmes ensemble le port. Là, nous fûmes entourés de vingt-cinq bateliers qui se mirent à nous tirer chacun de leur côté: c'étaient les ciceroni de la Grotte d'azur. Comme on ne peut pas venir à Caprée sans voir la Grotte d'azur, j'en choisis un et Jadin un autre, car il faut une barque et un batelier par voyageur, l'entrée étant si basse et si resserrée qu'on ne peut y pénétrer qu'avec un canot très étroit.
La mer était calme, et cependant elle brise, même dans les plus beaux temps, avec une si grande force contre la ceinture des rochers qui entoure l'île, que nos barques bondissaient comme dans une tempête, et que nous étions obligés de nous coucher au fond et de nous cramponner aux bords pour ne pas être jetés à la mer. Enfin, après trois quarts d'heure de navigation pendant lesquels nous longeâmes le sixième à peu près de la circonférence de l'île, nos bateliers nous prévinrent que nous étions arrivés. Nous regardâmes autour de nous, mais nous n'apercevions pas la moindre apparence de la plus petite grotte, lorsqu'ils nous montrèrent un point noir et circulaire que nous apercevions à peine au-dessus de l'écume des vagues: c'était l'orifice de la voûte.
La première vue de cette entrée n'est pas rassurante: on ne comprend pas comment on pourra la franchir sans se briser la tête contre le rocher. Comme la question nous parut assez importante pour être discutée, nous la posâmes à nos bateliers, lesquels nous répondirent que nous avions parfaitement raison, en restant assis, mais que nous n'avions qu'à nous coucher tout à fait, et que nous éviterions le danger. Nous n'étions pas venus si loin pour reculer. Je donnai le premier l'exemple; mon batelier s'avança en ramant avec des précautions qui indiquaient que, tout habitué qu'il était à une pareille opération, il ne la regardait cependant pas comme exempte de tout danger. Quant à moi, dans la position où j'étais, je ne voyais plus rien que le ciel; bientôt, je me sentis soulever sur une vague, la barque glissa avec rapidité, je ne vis plus rien qu'un rocher qui sembla pendant une seconde peser sur ma poitrine. Puis, tout à coup, je me trouvai dans une grotte si merveilleuse, que j'en jetai un cri d'étonnement, et je me relevai d'un mouvement si rapide pour regarder autour de moi, que je manquai d'en faire chavirer notre embarcation.
En effet, j'avais devant moi, autour de moi, dessus moi, dessous moi et derrière moi, des merveilles dont aucune description ne pourrait donner l'idée, et devant lesquelles le pinceau lui-même, ce grand traducteur des souvenirs humains, demeure impuissant. Qu'on se figure une immense caverne toute d'azur, comme si Dieu s'était amusé à faire une tente avec quelque reste du firmament; une eau si limpide, si transparente, si pure, qu'on semblait flotter sur de l'air épaissi; au plafond, des stalactites pendantes comme des pyramides renversées; au fond, un sable d'or mêlé de végétations sous-marines; le long des parois qui se baignent dans l'eau, des pousses de corail aux branches capricieuses et éclatantes; du côté de la mer un point, une étoile, par lequel entre le demi-jour qui éclaire ce palais de fée; enfin, à l'extrémité opposée, une espèce d'estrade ménagée comme le trône de la somptueuse déesse qui a choisi pour sa salle de bains l'une des merveilles du monde.
En ce moment toute la grotte prit une teinte foncée, comme la terre lorsqu'au milieu d'un jour splendide un nuage passe tout à coup devant le soleil. C'était Jadin qui entrait à son tour, et dont la barque fermait l'orifice de la caverne. Bientôt il fut lancé près de moi par la force de la vague qui l'avait soulevé, la grotte reprit sa belle couleur d'azur, et sa barque s'arrêta tremblotante près de la mienne, car cette mer, si agitée et si bruyante au-dehors, n'avait plus au-dedans qu'une respiration douce et silencieuse comme celle d'un lac.
Selon toute probabilité, la Grotte d'azur était inconnue des anciens. Aucun poète n'en parle, et certes, avec leur imagination merveilleuse, les Grecs n'eussent point manqué d'en faire le palais de quelque déesse marine au nom harmonieux, et dont ils nous eussent laissé l'histoire. Suétone, qui nous décrit avec tant de détails les thermes et les bains de Tibère, eût bien consacré quelques mots à cette piscine naturelle que le vieil empereur eût choisie sans aucun doute pour théâtre de quelques-unes de ses monstrueuses voluptés. Non, la mer peut-être était plus haute à cette époque qu'elle n'est maintenant, et la merveille marine n'était connue que d'Amphitrite et de sa cour de sirènes, de naïades et de tritons.
Mais parfois, comme Diane surprise par Actéon, Amphitrite