Les Quarante-Cinq — Tome 3. Dumas Alexandre

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Les Quarante-Cinq — Tome 3 - Dumas Alexandre


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cris de leurs adversaires, les Français s'avancèrent en silence vers le rempart avec cette fougueuse intrépidité qui leur est habituelle dans l'attaque.

      Mais tout à coup, portes et poternes s'ouvrent, et de tous côtés s'élancent des gens armés; seulement, ce n'est point l'ardente impétuosité des Français qui les anime, c'est une sorte d'ivresse pesante qui n'empêche pas le mouvement du guerrier, mais qui rend le guerrier massif comme une muraille roulante. C'étaient les Flamands qui s'avançaient en bataillons serrés, en groupes compactes au-dessus desquels continuait à tonner une artillerie plus bruyante que formidable.

      Alors le combat s'engage pied à pied, l'épée et le couteau se choquent, la pique et la lame se froissent, les coups de pistolet, la détonation des arquebuses éclairent les visages rougis de sang.

      Mais pas un cri, pas un murmure, pas une plainte: le Flamand se bat avec rage, le Français avec dépit. Le Flamand est furieux d'avoir à se battre, car il ne se bat ni par état ni par plaisir. Le Français est furieux d'avoir été attaqué lorsqu'il attaquait. Au moment où l'on en vient aux mains, avec cet acharnement que nous essaierions inutilement de rendre, des détonations pressées se font entendre du côté de Sainte-Marie, et une lueur s'élève au-dessus de la ville comme un panache de flammes. C'est Joyeuse qui attaque et qui va faire diversion en forçant la barrière qui défend l'Escaut, qui va pénétrer avec sa flotte jusqu'au coeur de la ville. Du moins, c'est ce qu'espèrent les Français.

      Mais il n'en est point ainsi.

      Poussé par un vent d'ouest, c'est-à-dire par le plus favorable à une pareille entreprise, Joyeuse avait levé l'ancre, et, la galère amirale en tête, il s'était laissé aller à cette brise qui le poussait malgré le courant. Tout était prêt pour le combat; ses marins, armés de leurs sabres d'abordage, étaient à l'arrière; ses canonniers, mèche allumée, étaient à leurs pièces; ses gabiers avec des grenades dans les hunes; enfin des matelots d'élite, armés de haches, se tenaient prêts à sauter sur les navires et les barques ennemis et à briser chaînes et cordages pour faire une trouée à la flotte. On avançait en silence. Les sept bâtiments de Joyeuse, disposés en manière de coin, dont la galère amirale formait l'angle le plus aigu, semblaient une troupe de fantômes gigantesques glissant à fleur d'eau. Le jeune homme, dont le poste était sur son banc de quart, n'avait pu rester à son poste. Vêtu d'une magnifique armure, il avait pris sur la galère la place du premier lieutenant, et, courbé sur le beaupré, son oeil semblait vouloir percer les brumes du fleuve et la profondeur de la nuit. Bientôt, à travers cette double obscurité, il vit apparaître la digue qui s'étendait sombre en travers du fleuve; elle semblait abandonnée et déserte. Seulement il y avait, dans ce pays d'embûches, quelque chose d'effrayant dans cet abandon et cette solitude.

      Cependant on avançait toujours; on était en vue du barrage, à dix encablures à peine, et à chaque seconde on s'en rapprochait davantage, sans qu'un seul qui vive! fût encore venu frapper l'oreille des Français.

      Les matelots ne voyaient dans ce silence qu'une négligence dont ils se réjouissaient; le jeune amiral, plus prévoyant, y devinait quelque ruse dont il s'effrayait.

      Enfin la proue de la galère amirale s'engagea au milieu des agrès des deux bâtiments qui formaient le centre du barrage, et, les poussant devant elle, elle fit fléchir par le milieu toute cette digue flexible dont les compartiments tenaient l'un à l'autre par des chaînes, et qui, cédant sans se rompre, prit, en s'appliquant aux flancs des vaisseaux français la même forme que ses vaisseaux offraient eux-mêmes.

      Tout à coup, et au moment où les porteurs de haches recevaient l'ordre de descendre pour rompre le barrage, une foule de grappins, jetés par des mains invisibles, vinrent se cramponner aux agrès des vaisseaux français.

      Les Flamands prévenaient la manoeuvre des Français et faisaient ce qu'ils allaient faire.

      Joyeuse crut que ses ennemis lui offraient un combat acharné. Il l'accepta. Les grappins lancés de son côté lièrent par des noeuds de fer les bâtiments ennemis aux siens. Puis, saisissant une hache aux mains d'un matelot, il s'élança le premier sur celui des bâtiments qu'il retenait d'une plus sûre étreinte, en criant: A l'abordage! à l'abordage!

      Tout son équipage le suivit, officiers et matelots, en poussant le même cri que lui; mais aucun cri ne répondit au sien, aucune force ne s'opposa à son agression.

      Seulement on vit trois barques chargées d'hommes glissant silencieusement sur le fleuve, comme trois oiseaux de mer attardés.

      Ces barques fuyaient à force de rames, les oiseaux s'éloignaient à tire d'ailes.

      Les assaillants restaient immobiles sur ces bâtiments qu'ils venaient de conquérir sans lutte.

      Il en était de même sur toute la ligne.

      Tout à coup, Joyeuse entendit sous ses pieds un grondement sourd, et une odeur de souffre se répandit dans l'air. Un éclair traversa son esprit; il courut à une écoutille qu'il souleva: les entrailles du bâtiment brûlaient.

      A l'instant, le cri: Aux vaisseaux! aux vaisseaux! retentit sur toute la ligne.

      Chacun remonta plus précipitamment qu'il n'était descendu; Joyeuse, descendu le premier, remonta le dernier.

      Au moment où il atteignait la muraille de sa galère, la flamme faisait éclater le pont du bâtiment qu'il quittait.

      Alors, comme de vingt volcans, s'élancèrent des flammes, chaque barque, chaque sloop, chaque bâtiment était un cratère; la flotte française, d'un port plus considérable, semblait dominer un abîme de feu.

      L'ordre avait été donné de trancher les cordages, de rompre les chaînes, de briser les grappins; les matelots s'étaient élancés dans les agrès avec la rapidité d'hommes convaincus que de cette rapidité dépendait leur salut.

      Mais l'oeuvre était immense; peut-être se fût-on détaché des grappins jetés par les ennemis sur la flotte française, mais il y avait encore ceux jetés par la flotte française sur les bâtiments ennemis.

      Tout à coup vingt détonations se firent entendre; les bâtiments français tremblèrent dans leur membrure, gémirent dans leur profondeur.

      C'étaient les canons qui défendaient la digue, et qui, chargés jusqu'à la gueule et abandonnés par les Anversois, éclataient tout seuls au fur et à mesure que le feu les gagnait, brisant sans intelligence tout ce qui se trouvait dans leur direction, mais brisant.

      Les flammes montaient, comme de gigantesques serpents, le long des mâts, s'enroulaient autour des vergues, puis de leurs langues aiguës, venaient lécher les flancs cuivrés des bâtiments français.

      Joyeuse, avec sa magnifique armure damasquinée d'or, donnant, calme et d'une voix impérieuse, ses ordres au milieu de toutes ces flammes, ressemblait à une de ces fabuleuses salamandres aux millions d'écaillés, qui, à chaque mouvement qu'elles faisaient, secouaient une poussière d'étincelles.

      Mais bientôt les détonations redoublèrent plus fortes et plus foudroyantes; ce n'étaient plus les canons qui tonnaient, c'étaient les saintes-barbes qui prenaient feu, c'étaient les bâtiments eux-mêmes qui éclataient.

      Tant qu il avait espéré rompre les liens mortels qui l'attachaient à ses ennemis, Joyeuse avait lutté; mais il n'y avait plus d'espoir d'y réussir: la flamme avait gagné les vaisseaux français, et à chaque vaisseau ennemi qui sautait, une pluie de feu, pareille à un bouquet d'artifice, retombait sur son pont.

      Seulement, ce feu, c'était le feu grégeois, ce feu implacable, qui s'augmente de ce qui éteint les autres feux, et qui dévore sa proie jusqu'au fond de l'eau.

      Les bâtiments anversois, en éclatant, avaient rompu les digues; mais les bâtiments français, au lieu de continuer leur route, allaient à la dérive tout en flammes eux-mêmes, et entraînant après eux quelques fragments du brûlot rongeur, qui les avait étreints de ses bras de flammes.

      Joyeuse comprit qu'il n'y avait plus de lutte


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