Paris. Emile Zola

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Paris - Emile Zola


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à sourire les nouveaux venus, les jeunes politiques aux dents longues. Et, sous l'apparat de sa tenue, sous la pompe de son éloquence, il y avait un hésitant, un attendri, un bon homme qui pleurait en relisant les vers de Lamartine.

      Ensuite, ce fut Monferrand, le ministre de l'Intérieur, qui passa et qui prit Barroux à part, pour lui glisser quelques mots dans l'oreille. Lui, au contraire, âgé de cinquante ans, était court et gros, l'air souriant et paterne; mais sa face ronde, un peu commune, entourée d'un collier de barbe brune encore, avait des dessous de vive intelligence. On sentait l'homme de gouvernement, des mains aptes aux rudes besognes, qui jamais ne lâchaient la proie. Ancien maire de Tulle, il venait de la Corrèze, où il possédait une grande propriété. C'était sûrement une force en marche, dont les observateurs suivaient avec inquiétude la montée constante. Il parlait simplement, avec une tranquillité, une puissance de conviction extraordinaires. Sans ambition apparente, d'ailleurs, il affectait un complet désintéressement, sous lequel grondaient les plus furieux appétits. Un voleur, écrivait Sanier, un assassin qui avait étranglé deux de ses tantes, pour hériter d'elles. En tout cas, un assassin qui n'était point vulgaire.

      Et puis, ce fut encore un des personnages du drame qui allait se jouer, le député Vignon, dont l'entrée agita les groupes. Les deux ministres le regardèrent, tandis que lui, tout de suite très entouré, leur souriait de loin. Il n'avait pas trente-six ans, mince et de taille moyenne, très blond, avec une belle barbe blonde, qu'il soignait. Parisien, ayant fait un chemin rapide dans l'administration, un moment préfet à Bordeaux, il était maintenant la jeunesse, l'avenir à la Chambre, ayant compris qu'il fallait en politique un nouveau personnel, pour accomplir les plus pressées des réformes indispensables; et, très ambitieux, très intelligent, sachant beaucoup de choses, il avait un programme, dont il était parfaitement capable de tenter l'application, au moins en partie. Il ne montrait du reste aucune hâte, plein de prudence et de finesse, certain que son jour viendrait, fort de n'être encore compromis dans rien, ayant devant lui le libre espace. Au fond, il n'était qu'un administrateur de premier ordre, d'une éloquence nette et claire, dont le programme ne différait de celui de Barroux que par le rajeunissement des formules, bien qu'un ministère Vignon à la place d'un ministère Barroux apparût comme un événement considérable. Et c'était de Vignon que Sanier écrivait qu'il visait la présidence de la république, quitte à marcher dans le sang pour arriver à l'Elysée.

      – Mon Dieu! expliquait Massot, il est très possible que, cette fois, Sanier ne mente pas et qu'il ait trouvé une liste de noms sur un carnet de Hunter, qui serait tombé entre ses mains… Dans cette affaire des Chemins de fer africains, pour obtenir certains votes, je sais personnellement depuis longtemps que Hunter a été le racoleur de Duvillard. Mais, si l'on veut comprendre, on doit d'abord établir de quelle manière il procédait, avec une adresse, une sorte de délicatesse aimable, qui sont loin des brutales corruptions, des marchandages salissants qu'on suppose. Il faut être Sanier pour imaginer un parlement comme un marché ouvert, où toutes les consciences sont à vendre, où elles s'adjugent au plus offrant, avec impudence. Ah! que les choses se sont passées autrement, et qu'elles sont explicables, excusables même parfois!.. Ainsi, l'article vise surtout Barroux et Monferrand, qui, sans y être nommés, y sont désignés de la façon la plus claire. Vous n'ignorez pas qu'au moment du vote Barroux était à l'Intérieur et Monferrand aux Travaux publics, de sorte que les voilà accusés d'être des ministres prévaricateurs, le plus noir des crimes sociaux. Je ne sais dans quelle combinaison politique Barroux a pu entrer, mais je jure bien qu'il n'a rien mis dans sa poche, car il est le plus honnête des hommes. Quant à Monferrand, c'est une autre affaire, il est homme à se faire sa part; seulement, je serais très surpris s'il s'était mis dans un mauvais cas. Il est incapable d'une faute, surtout d'une faute bête, comme celle de toucher de l'argent, en en laissant traîner le reçu.

      Il s'interrompit, il indiqua d'un mouvement de tête Dutheil, l'air fiévreux et souriant quand même, parmi un groupe qui venait de se former autour des deux ministres.

      – Tenez! ce jeune homme là-bas, le joli brun qui a une barbe si triomphante.

      – Je le connais, dit Pierre.

      – Ah! vous connaissez Dutheil. Eh bien! en voilà un qui a sûrement touché. Mais c'est un oiseau. Il nous est arrivé d'Angoulême pour mener la plus aimable des existences, et il n'a pas plus de conscience ni de scrupules que les gentils pinsons de son pays, toujours en fête d'amour. Ah! pour celui-là, l'argent de Hunter a été comme une manne qui lui était due, et il ne s'est pas même dit qu'il se salissait les doigts. Soyez sûr qu'il s'étonne qu'on puisse donner à ça la moindre importance.

      De nouveau, il désigna un député, dans le même groupe, un homme d'environ cinquante ans, malpropre, l'air éploré, d'une hauteur de perche, et la taille un peu courbée par le poids de sa tête, qu'il avait longue et chevaline. Ses cheveux jaunâtres, rares et plats, ses moustaches tombantes, toute sa face noyée, éperdue, exprimait une continuelle détresse.

      – Et Chaigneux, le connaissez-vous? Non… Regardez-le, et demandez-vous s'il n'est pas tout naturel aussi que celui-ci ait touché… Il est débarqué d'Arras. Il avait là-bas une étude d'avoué. Lorsque sa circonscription l'a envoyé ici, il s'est laissé griser par la politique, il a tout vendu pour venir faire fortune à Paris, où il s'est installé avec sa femme et ses trois filles. Alors, vous vous imaginez son désarroi au milieu de ces quatre femmes, des femmes terribles, toujours dans les chiffons, les courses, les visites à recevoir et à rendre, sans compter la chasse aux épouseurs qui fuient. C'est la malchance acharnée, l'échec quotidien du pauvre homme médiocre, qui a cru que sa situation de député allait lui faciliter les affaires, et qui s'y noie… Et vous ne voulez pas que Chaigneux ait touché, lui qui est toujours en souffrance d'un billet de cinq cents francs! J'admets qu'il ne fût pas un malhonnête homme. Il l'est devenu, voilà tout.

      Massot était lancé, il continua ses portraits, la série qu'il avait un instant rêvé d'écrire, sous le titre de «Députés à vendre». Les naïfs tombés dans la cuve, les exaspérés d'ambition, les âmes basses cédant à la tentation des tiroirs ouverts, les brasseurs d'affaires se grisant et perdant pied, à remuer de gros chiffres. Mais il reconnaissait volontiers qu'ils étaient relativement peu nombreux et que ces quelques brebis galeuses se retrouvaient dans tous les parlements du monde. Le nom de Sanier revint encore, il n'y avait que Sanier pour faire de nos Chambres des cavernes de voleurs.

      Et Pierre, surtout, s'intéressait à la tourmente que la menace d'une crise ministérielle soulevait devant lui. Autour de Barroux et de Monferrand, il n'y avait pas que les Dutheil, que les Chaigneux, pâles de sentir le sol trembler, se demandant s'ils n'iraient pas coucher le soir à Mazas. Tous leurs clients étaient là, tous ceux qui tenaient d'eux l'influence, les places, et qui allaient s'effondrer, disparaître dans leur chute. Aussi fallait-il voir l'anxiété des regards, l'attente livide des figures, au milieu des conversations chuchotantes, des renseignements et des commérages qui couraient. Puis, dans le groupe d'à côté, autour de Vignon très calme, souriant, c'était l'autre clientèle, celle qui attendait de monter à l'assaut du pouvoir, pour tenir enfin l'influence, les places. Les yeux y luisaient de convoitise, on y lisait une joie encore à l'état d'espérance, une surprise heureuse de l'occasion brusque qui se présentait. Aux questions trop directes de ses amis, Vignon évitait de répondre, affirmait seulement qu'il n'interviendrait pas. Et son plan était évidemment de laisser Mège interpeller, renverser le ministère, car il ne le craignait pas, et il n'aurait ensuite, croyait-il, qu'à ramasser les portefeuilles tombés.

      – Ah! Monferrand, disait le petit Massot, en voilà un gaillard qui prend le vent! Je l'ai connu anticlérical, mangeant du prêtre, monsieur l'abbé, si vous me permettez de m'exprimer ainsi; et ce n'est pas pour vous être agréable, mais je crois pouvoir vous annoncer qu'il s'est réconcilié avec Dieu… Du moins, on m'a conté que monseigneur Martha, un grand convertisseur, ne le quitte plus. Cela fait plaisir, par les temps nouveaux d'aujourd'hui, lorsque la science a fait banqueroute et que, de tous côtés, dans les arts, dans les lettres, dans la société elle-même, la religion refleurit en un délicieux mysticisme.

      Il se moquait, comme toujours; mais il avait dit cela d'un air si aimable, que le prêtre dut s'incliner. D'ailleurs, un grand mouvement s'était produit,


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