OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert


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au bord du trottoir. Une éclaboussure, jaillissant de dessous les ressorts, s’étala dans son dos. L’homme se retourna, furieux. Frédéric devint pâle; il avait reconnu Deslauriers.

      A la porte du café Anglais, il renvoya la voiture. Rosanette était montée devant lui, pendant qu’il payait le postillon.

      Il la retrouva dans l’escalier, causant avec un monsieur. Frédéric prit son bras. Mais au milieu du corridor, un deuxième seigneur l’arrêta.

      «Va toujours! dit-elle, je suis à toi!»

      Et il entra seul dans le cabinet. Par les deux fenêtres ouvertes on apercevait du monde aux croisées des autres maisons vis-à-vis. De larges moires frissonnaient sur l’asphalte qui séchait, et un magnolia posé au bord du balcon embaumait l’appartement. Ce parfum et cette fraîcheur détendirent ses nerfs; il s’affaissa sur le divan rouge, au-dessous de la glace.

      La Maréchale revint, et le baisant au front:

      «On a des chagrins, pauvre Mimi?

      – Peut-être! répliqua-t-il.

      – Tu n’es pas le seul, va! ce qui voulait dire: Oublions chacun les nôtres dans une félicité commune!»

      Puis elle posa un pétale de fleur entre ses lèvres et le lui tendit à becqueter. Ce mouvement, d’une grâce et presque d’une mansuétude lascive, attendrit Frédéric.

      «Pourquoi me fais-tu de la peine? dit-il en songeant à Mme Arnoux.

      – Moi, de la peine?»

      Et, debout devant lui, elle le regardait, les cils rapprochés et les deux mains sur les épaules.

      Toute sa vertu, toute sa rancune sombra dans une lâcheté sans fond.

      Il reprit:

      «Puisque tu ne veux pas m’aimer!» en l’attirant sur ses genoux.

      Elle se laissait faire; il lui entourait la taille à deux bras; le pétillement de sa robe de soie l’enflammait.

      «Où sont-ils?» dit la voix d’Hussonnet dans le corridor.

      La Maréchale se leva brusquement et alla se mettre à l’autre bout du cabinet, tournant le dos à la porte.

      Elle demanda des huîtres et ils s’attablèrent.

      Hussonnet ne fut pas drôle. A force d’écrire quotidiennement sur toute sorte de sujets, de lire beaucoup de journaux, d’entendre beaucoup de discussions et d’émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion exacte des choses, s’aveuglant lui-même avec ses faibles pétards. Les embarras d’une vie légère autrefois, mais à présent difficile, l’entretenaient dans une agitation perpétuelle; et son impuissance, qu’il ne voulait pas s’avouer, le rendait hargneux, sarcastique. A propos d’Ozaï, un ballet nouveau, il fit une sortie à fond contre la danse, et, à propos de la danse, contre l’Opéra; puis, à propos de l’Opéra, contre les Italiens, remplacés maintenant par une troupe d’acteurs espagnols, «comme si l’on n’était pas rassasié des Castilles»! Frédéric fut choqué dans son amour romantique de l’Espagne; et, afin de rompre la conversation, il s’informa du Collège de France, d’où l’on venait d’exclure Edgar Quinet et Mickiewicz. Mais Hussonnet, admirateur de M. de Maistre, se déclara pour l’Autorité et le Spiritualisme. Il doutait cependant des faits les mieux prouvés, niait l’histoire et contestait les choses les plus positives, jusqu’à s’écrier au mot géométrie: «Quelle blague que la géométrie!» Le tout entremêlé d’imitations d’acteurs. Sainville était particulièrement son modèle.

      Ces calembredaines assommaient Frédéric. Dans un mouvement d’impatience, il attrapa, avec sa botte, un des bichons sous la table.

      Tous deux se mirent à aboyer d’une façon odieuse.

      «Vous devriez les faire reconduire!» dit-il brusquement.

      Rosanette n’avait confiance en personne.

      Alors, il se tourna vers le bohème.

      «Voyons, Hussonnet, dévouez-vous!

      – Oh! oui, mon petit! Ce serait bien aimable!»

      Hussonnet s’en alla sans se faire prier.

      De quelle manière payait-on sa complaisance? Frédéric n’y pensa pas. Il commençait même à se réjouir du tête-à-tête, lorsqu’un garçon entra.

      «Madame, quelqu’un vous demande!

      – Comment! encore?

      – Il faut pourtant que je voie!» dit Rosanette.

      Il en avait soif, besoin. Cette disparition lui semblait une forfaiture, presque une grossièreté. Que voulait-elle donc? n’était-ce pas assez d’avoir outragé Mme Arnoux? Tant pis pour celle-là, du reste! Maintenant il haïssait toutes les femmes; et des pleurs l’étouffaient, car son amour était méconnu et sa concupiscence trompée.

      La Maréchale rentra, et, lui présentant Cisy:

      «J’ai invité monsieur. J’ai bien fait, n’est-ce pas?

      – Comment donc! certainement!» Frédéric, avec un sourire de supplicié, fit signe au gentilhomme de s’asseoir.

      La Maréchale se mit à parcourir la carte en s’arrêtant aux noms bizarres.

      «Si nous mangions, je suppose, un turban de lapins à la Richelieu et un pudding à la d’Orléans?

      – Oh! pas d’Orléans! s’écria Cisy, lequel était légitimiste et crut faire un mot.

      – Aimez-vous mieux un turbot à la Chambord?» reprit-elle.

      Cette politesse choqua Frédéric.

      La Maréchale se décida pour un simple tourne-dos, des écrevisses, des truffes, une salade d’ananas, des sorbets à la vanille.

      «Nous verrons ensuite. Allez toujours. Ah! j’oubliais! Apportez-moi un saucisson! pas à l’ail!»

      Et elle appelait le garçon «jeune homme», frappait son verre avec son couteau, jetait au plafond la mie de son pain. Elle voulut boire tout de suite du vin de Bourgogne.

      «On n’en prend pas dès le commencement», dit Frédéric.

      Cela se faisait quelquefois, suivant le vicomte.

      «Eh non! jamais!

      – Si fait, je vous assure!

      – Ah! tu vois!»

      Le regard dont elle accompagna cette phrase signifiait: «C’est un homme riche, celui-là, écoute-le.»

      Cependant la porte s’ouvrait à chaque minute, les garçons glapissaient, et, sur un infernal piano, dans le cabinet à côté, quelqu’un tapait une valse. Puis les courses amenèrent à parler d’équitation et des deux systèmes rivaux. Cisy défendait Baucher, Frédéric le comte d’Aure, quand Rosanette haussa les épaules.

      «Assez, mon Dieu! il s’y connaît mieux que toi, va!»

      Elle mordait dans une grenade, le coude posé sur la table; les bougies du candélabre devant elle tremblaient au vent; cette lumière blanche pénétrait sa peau de tons nacrés, mettait du rose à ses paupières, faisait briller les globes de ses yeux; la rougeur du fruit se confondait avec la pourpre de ses lèvres, ses narines minces battaient; et toute sa personne avait quelque chose d’insolent, d’ivre et de noyé qui exaspérait Frédéric et pourtant lui jetait au cœur des désirs fous.

      Puis, elle demanda, d’une voix calme, à qui appartenait ce grand landau avec une livrée marron.

      «A la comtesse Dambreuse, répliqua Cisy.

      – Ils sont très riches, n’est-ce pas?

      – Oh! très riches! bien que Mme Dambreuse, qui est tout simplement une demoiselle Boutron, la fille d’un préfet, ait une fortune médiocre.»

      Son mari, au contraire, devait recueillir plusieurs héritages;


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