OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert


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la manche de sa robe, glissant un peu, découvrit, à son poignet gauche, un bracelet orné de trois opales.

      Frédéric l’aperçut.

      «Tiens! mais…»

      Ils se considérèrent tous les trois et rougirent.

      La porte s’entre-bâilla discrètement, le bord d’un chapeau parut, puis le profil d’Hussonnet.

      «Excusez, si je vous dérange, les amoureux!»

      Mais il s’arrêta, étonné de voir Cisy et de ce que Cisy avait pris sa place.

      On apporta un autre couvert; et, comme il avait grand’faim, il empoignait au hasard, parmi les restes du dîner, de la viande dans un plat, un fruit dans une corbeille, buvait d’une main, se servait de l’autre, tout en racontant sa mission. Les deux toutous étaient reconduits. Rien de neuf au domicile. Il avait trouvé la cuisinière avec un soldat, histoire fausse uniquement inventée pour produire de l’effet.

      La Maréchale décrocha de la patère sa capote. Frédéric se précipita sur la sonnette en criant de loin au garçon:

      «Une voiture!

      – J’ai la mienne, dit le vicomte.

      – Mais, monsieur!

      – Cependant, monsieur!»

      Et ils se regardaient dans les prunelles, pâles tous les deux et les mains tremblantes.

      Enfin, la Maréchale prit le bras de Cisy, et, en montrant le bohème attablé:

      «Soignez-le donc! il s’étouffe. Je ne voudrais pas que son dévouement pour mes roquets le fît mourir!»

      La porte retomba.

      «Eh bien? dit Hussonnet.

      – Eh bien, quoi?

      – Je croyais…

      – Qu’est-ce que vous croyiez?

      – Est-ce que vous ne…»

      Il compléta sa phrase par un geste.

      «Eh non! jamais de la vie!»

      Hussonnet n’insista pas davantage.

      Il avait eu un but en s’invitant à dîner. Son journal, qui ne s’appelait plus l’Art, mais le Flambard, avec cette épigraphe: «Canonniers, à vos pièces!» ne prospérant nullement, il avait envie de le transformer en une revue hebdomadaire, seul, sans le secours de Deslauriers. Il reparla de l’ancien projet et exposa son plan nouveau.

      Frédéric, ne comprenant pas sans doute, répondit par des choses vagues. Hussonnet empoigna plusieurs cigares sur la table, dit: «Adieu, mon bon», et disparut.

      Frédéric demanda la note. Elle était longue; et le garçon, la serviette sous le bras, attendait son argent, quand un autre, un individu blafard qui ressemblait à Martinon, vint lui dire:

      «Faites excuse, on a oublié au comptoir de porter le fiacre.

      – Quel fiacre?

      – Celui que ce monsieur a pris tantôt pour les petits chiens.»

      Et la figure du garçon s’allongea, comme s’il eût plaint le pauvre jeune homme. Frédéric eut envie de le gifler. Il donna de pourboire les vingt francs qu’on lui rendait.

      «Merci, monseigneur!» dit l’homme à la serviette, avec un grand salut.

      Frédéric passa la journée du lendemain à ruminer sa colère et son humiliation. Il se reprochait de n’avoir pas souffleté Cisy. Quant à la Maréchale, il se jura de ne plus la revoir; d’autres aussi belles ne manquaient pas; et, puisqu’il fallait de l’argent pour posséder ces femmes-là, il jouerait à la Bourse le prix de sa ferme, il serait riche, il écraserait de son luxe la Maréchale et tout le monde. Le soir venu, il s’étonna de n’avoir pas songé à Mme Arnoux.

      «Tant mieux! à quoi bon?»

      Le surlendemain, dès huit heures, Pellerin vint lui faire visite. Il commença par des admirations sur le mobilier, des cajoleries. Puis, brusquement:

      «Vous étiez aux courses dimanche?

      – Oui, hélas!»

      Alors le peintre déclama contre l’anatomie des chevaux anglais, vanta les chevaux de Géricault, les chevaux du Parthénon. «Rosanette était avec vous?» Et il entama son éloge adroitement.

      La froideur de Frédéric le décontenança. Il ne savait comment en venir au portrait.

      Sa première intention avait été de faire un Titien. Mais peu à peu, la coloration variée de son modèle l’avait séduit; et il avait travaillé franchement, accumulant pâte sur pâte et lumière sur lumière. Rosanette fut enchantée d’abord; ses rendez-vous avec Delmar avaient interrompu les séances et laissé à Pellerin tout le temps de s’éblouir. Puis, l’admiration s’apaisant, il s’était demandé si sa peinture ne manquait point de grandeur. Il avait été revoir les Titien, avait compris la distance, reconnu sa faute; et il s’était mis à repasser ses contours simplement. Ensuite, il avait cherché, en les rongeant, à y perdre, à y mêler les tons de la tête et ceux des fonds; et la figure avait pris de la consistance, les ombres de la vigueur; tout paraissait plus ferme. Enfin la Maréchale était revenue. Elle s’était même permis des objections, l’artiste naturellement avait persévéré. Après de grandes fureurs contre sa sottise, il s’était dit qu’elle pouvait avoir raison. Alors, avait commencé l’ère des doutes, tiraillements de la pensée qui provoquent les crampes d’estomac, les insomnies, la fièvre, le dégoût de soi-même; il avait eu le courage de faire des retouches, mais sans cœur et sentant que sa besogne était mauvaise.

      Il se plaignit seulement d’avoir été refusé au Salon, puis reprocha à Frédéric de ne pas être venu voir le portrait de la Maréchale.

      «Je me moque bien de la Maréchale!»

      Une déclaration pareille l’enhardit.

      «Croiriez-vous que cette bête-là n’en veut plus maintenant?»

      Ce qu’il ne disait point, c’est qu’il avait réclamé d’elle mille écus. Or la Maréchale s’était peu souciée de savoir qui payerait, et, préférant tirer d’Arnoux des choses plus urgentes, ne lui en avait même pas parlé.

      «Eh bien, et Arnoux? dit Frédéric.

      Elle l’avait relancé vers lui. L’ancien marchand de tableaux n’avait que faire du portrait.

      «Il soutient que ça appartient à Rosanette.

      – En effet, c’est à elle.

      – Comment! c’est elle qui m’envoie vers vous!» répliqua Pellerin.

      S’il eût cru à l’excellence de son œuvre, il n’eût pas songé peut-être à l’exploiter. Mais une somme (et une somme considérable) serait un démenti à la critique, un raffermissement pour lui-même. Frédéric, afin de s’en délivrer, s’enquit de ses conditions courtoisement.

      L’extravagance du chiffre le révolta, il répondit:

      «Non! ah! non!

      – Vous êtes pourtant son amant, c’est vous qui m’avez fait la commande!

      – J’ai été l’intermédiaire, permettez!

      – Mais je ne peux pas rester avec ça sur les bras!»

      L’artiste s’emportait.

      «Ah! je ne vous croyais pas si cupide.

      – Ni vous si avare. Serviteur!»

      Il venait de partir que Sénécal se présenta.

      Frédéric, troublé, eut un mouvement d’inquiétude.

      «Qu’y a-t-il?»

      Sénécal conta son histoire.

      «Samedi, vers neuf heures, Mme Arnoux a reçu une lettre qui


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