Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Читать онлайн книгу.inférieur de ces angles saillants (2). C'était un aveu de leur inutilité; il eût été plus simple de ne pas les conserver, et de donner à la plinthe une forme circulaire ou polygonale.
Il faut croire que les architectes romans voulurent éviter la casse des angles des plinthes de bases, car, dès le XIe siècle, nous observons déjà que, du dernier tore à l'angle de la plinthe, on laisse un appendice ou renfort qui donne un certain empattement et une plus grande résistance à ces angles. Ces premières griffes (3) sont très-simples de forme: ce sont des boutons, des ergots qui, partant du tore, s'appuient sur la surface triangulaire des quatre angles de la plinthe (voy. BASE). Mais bientôt, ces appendices étant fort près de l'oeil, on en fit des morceaux de sculpture très-soignés et souvent très-riches. Au XIIe siècle, dans les édifices rhénans, on voit des bases de colonnes cylindriques armées de griffes volumineuses, finement sculptées, qui amortissent puissamment les tores sur les plinthes.
Voici (4) une de ces griffes provenant des bases des gros piliers du choeur de la cathédrale de Strasbourg. Cet ornement donne à la base une fermeté très-convenable à ce membre de l'architecture, fermeté qui manque absolument à la base romaine; le gros tore inférieur, aplati (voy. BASE), se prête d'ailleurs à recevoir ces appendices.
Autour du choeur de l'église abbatiale de Vézelay, les gros piliers cylindriques reposent sur des bases ornées de fort belles griffes (5).
Nous en trouvons de très-remarquables, également sculptés, sur les angles des plinthes des grosses colonnes du sanctuaire de l'église collégiale de Poissy; quelques-unes (car ces griffes sont variées à chaque base) représentent des animaux fantastiques sculptés avec beaucoup de finesse (6). Ces deux exemples appartiennent à la fin du XIIe siècle. Au commencement du XIIIe siècle, les griffes sont moins variées comme forme; mais leur sculpture est énergique, bien appropriée à la place, largement modelée.
Voici (7) une des griffes provenant des bases du tour du choeur de la cathédrale de Laon. Cette feuille, terminée par un crochet, enroulée sur elle-même à son extrémité, se lie intimement au tore; elle semble avoir poussé sur sa surface et l'envelopper. On comprend que ces appendices puissants donnent de la solidité aux cornes de la plinthe et leur permettent de résister à une pression produite par un tassement irrégulier.
Quelquefois (au commencement du XIIIe siècle) la griffe n'est qu'un évidement pratiqué à l'angle d'une plinthe très-épaisse. On voit des exemples de ces sortes de griffes aux colonnes engagées des chapelles du tour du choeur de la cathédrale de Troyes (8).
La griffe la plus vulgaire adoptée à cette époque affecte la forme d'une feuille d'eau, ressemblant assez au rez-de-coeur de l'architecture antique, mais d'un modelé plus énergique. C'est ainsi que sont sculptées les griffes des bases des colonnes de la partie inférieure de la cathédrale de Paris (9). Vers le milieu du XIIIe siècle, les plinthes des bases étant presque toujours taillées sur plan octogonal, la griffe disparaît. On la voit renaître dans quelques monuments du XIVe siècle, comme à la cathédrale (ancienne) de Carcassonne(10), à la cathédrale de Sens (11) 15. Elle disparaît définitivement au XVe siècle.
On peut regretter que ce bel ornement ait été complétement abandonné; et bien que si, par aventure, un architecte s'avisait de l'employer de nouveau, comme un appendice nécessaire, rassurant pour l'oeil, on ne manquerait pas d'accuser cet architecte de nous faire rétrograder vers les temps barbares. Il ne faut pas désespérer de lui voir reprendre la place qu'il occupait si légitimement.
GRILLAGE, s. m. Réseau en fer mince ou en fil de fer destiné à garantir les vitraux contre la grêle, à préserver des sculptures du contact, quelquefois aussi des objets précieux déposés dans les trésors des églises ou des châteaux. Il reste peu d'exemples de grillages d'une époque ancienne; cependant nous en possédons encore qui datent du XIIIe siècle. Les fenêtres du chevet de l'ancienne cathédrale de Béziers conservent leurs grillages, qui sont de jolies pièces de forge.
Ils se composent (1) de montants simples et alternativement de montants auxquels sont soudées de fines brindilles de fer. Ces grillages sont scellés dans les tableaux des baies au moyen des traverses A; celles-ci sont pourvues d'oeils renflés, ainsi que l'indique le détail B. Les traverses ont 0,02 c. d'épaisseur sur 0,035m c. de largeur; les montants ont 0,015m d'épaisseur sur 0,02 c. de largeur; les brindilles ont en moyenne 0,01 c. carré, et sont retenues au moyen d'embrasses C serrées à froid. Mais ce sont là plutôt des grilles très-délicates que des grillages.
Voici (2) un exemple de grillages fabriqués avec des fils de fer et qui datent du XIVe siècle. Ce fragment a été trouvé à Rouen chez un marchand de ferrailles, et nous en avons vu un autre absolument semblable dans la cathédrale de Munich. On admettra que les anciens serruriers ou grillageurs avaient plus d'imagination que ceux de notre temps. Nos grillages modernes sont d'un aspect moins agréable.
GRILLE, s. f. Clôture à jour en fer ou en bronze. L'antiquité romaine employait souvent le bronze coulé pour les grilles de clôture. À l'exemple des anciens, dans les premiers temps du moyen âge, ce procédé fut quelquefois adopté. Tout le monde connaît les belles grilles en cuivre coulé de Notre-Dame d'Aix-la-Chapelle, et qui datent de l'époque de Charlemagne 16. Ces clôtures avaient été vraisemblablement fabriquées soit en Orient, soit par des artistes byzantins établis en Lombardie. Mais, outre que ces clôtures étaient fort chères, tant à cause de la matière employée que par les frais de modèle et de moulage, elles pouvaient être brisées facilement. Le fer, d'un emploi très-commun dans les Gaules dès une époque reculée, fut de préférence adopté pour toutes les clôtures à jour fabriquées pendant le moyen âge en France. L'art du forgeron était d'ailleurs développé chez nous, et il se perfectionna singulièrement pendant les XIe et XIIe siècles. Il faut savoir qu'alors on n'avait pas les moyens de fabrication introduits par l'industrie moderne; le fer était étendu en plaques ou corroyé en forme de barres, à la main, sans le secours de ces cylindres puissants qui, aujourd'hui, réduisent instantanément un bloc de fer rouge en fil de fer. Obtenir une barre de fer longue, d'une égale épaisseur, bien équarrie et dressée, c'était là une première difficulté, dont nous ne pouvons avoir une idée, puisque tous les fers nous sont livrés, par les usines, réduits en barres de toutes grosseurs et de sections très-variées, sans que la main du forgeron ait en rien participé à ce premier travail. Bien que l'on ne puisse méconnaître les immenses avantages de la fabrication mécanique, il est certain cependant que les forgerons ont dû peu à peu perdre l'habitude de manier le fer et d'en connaître les qualités. Il y a vingt-cinq ans, on aurait vainement cherché à Paris un forgeron capable de façonner la grille la plus simple, et si nous en trouvons aujourd'hui, c'est grâce aux recherches sur les arts industriels du moyen âge, grâce à quelques-uns de ces architectes, qui, au dire de plusieurs, ne tendent à rien moins qu'à faire rétrograder l'art de l'architecture vers la barbarie. Ceci dit, afin de rendre à chacun ce qui lui est dû, occupons-nous des grilles. On comprendra sans peine que, lorsqu'il fallait réduire à la main un morceau de fer rougi en une barre, on évitait autant que possible de donner à ces barres une grande longueur. Le forgeron, obligé de retourner le bloc sur l'enclume et de l'amener peu à peu aux dimensions d'une tringle équarrie, ne pouvait dépasser certaines dimensions assez peu étendues, et devait chercher, par des combinaisons d'assemblage, à éviter les pièces très-longues,
15
Pilier de gauche à l'entrée de la nef, repris au XIVe siècle.
16
Voy. Gailhabaud,