Ma conversion; ou le libertin de qualité. Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau
Читать онлайн книгу.trompa jamais, redouble ma hardiesse; déjà la bouche de Julie est en proie à ma bouche qui la presse; son sein trop soulevé s'irrite contre les rubans qui le retiennent… Noeuds odieux, disparaissez!… Des larmes coulent de ses yeux, je les sèche par mes baisers; mon haleine s'embrase; le feu de nos coeurs s'exhale et se répand dans nos poitrines brûlantes; nos âmes se confondent… J'entreprends davantage; les bras de Julie ne semblent me repousser que pour m'attirer mieux; déjà elle ne se défend plus, son oeil se ferme à demi, sa paupière vacillante se fixe à peine… Que de trésors je découvre et je parcours!… – arrête!… téméraire! s'écrie la tendre Julie… Cher amant!… Dieu… je… je… meurs… Et la parole expire sur ses lèvres roses… L'heure sonne à Cythère; l'amour a secoué son flambeau dans les airs; je vole sur ses ailes, je combats, les cieux s'ouvrent… J'ai vaincu… O Vénus! couvre-nous de la ceinture des grâces!…
Peindrai-je ces extases voluptueuses où l'âme semble jouir du repos, alors même qu'elle se répand davantage au dehors!… Non, non, de telles délices ne s'expriment pas.
Loin de nous les reproches! Julie ne m'en fera pas; elle me voulait pour maître, elle désirait le bonheur, elle renaît pour le goûter encore… Mais quel prodige! Notre sopha s'anime! Une multitude de mouvements combinés avec art fait éclore pour la sensible Julie mille émotions plus vives, s'il est possible. Enfin, épuisés de plaisirs, de caresses, nous nous arrêtons… Et j'arrête aussi le diable de ressort qui m'avait prêté son secours d'une manière si peu attendue. Je ne connaissais pas le sopha, et Julie met tous ses plaisirs sur mon compte… Je me garde bien de la désabuser.
Je ne reste pas plus longtemps; ma toilette est diablement dérangée; d'ailleurs, ma vieille aurait une sotte offrande. – Sans répéter les détails monotones, notre commerce dura trois mois: Julie m'aima constamment; la tête tourna à la tante au point de déranger ses affaires pour moi. Une assemblée de famille la fit interdire et mettre dans un couvent. On arracha Julie à ma tendresse et comme on soupçonna qu'elle avait pu prendre certaines leçons chez sa tante, il y eut des explications dont le parlement se serait mêlé sans une protectrice que je trouvai dans la parenté même. Mme La Marquise de Vit-au-Conas, placée à la cour, accommoda toute l'affaire. C'est de mes arrangements avec elle qu'il me faut vous parler.
Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense. J'eus le bonheur d'intéresser Mme de Vit-au-Conas; elle me demanda les détails de mon affaire; je lui peignis mon aventure avec bonne foi; elle était femme, pouvait-elle être bien sévère pour un crime qui, dans le fond, n'était qu'un hommage à la beauté? Elle aimait le plaisir; mon double emploi lui parut être une preuve de solidité précieuse: – Mon dieu, me dit-elle, il y avait de quoi vous tuer. La modestie eût été hors de saison; je répondis tout bonnement que ma santé, loin d'être affaiblie, exigeait un service au moins aussi fort: ses yeux s'ouvrirent, les miens s'égarèrent, nous nous rencontrâmes; elle n'était pas novice; je lui avais des obligations qu'il m'était doux d'acquitter, c'est dire assez que nous nous entendîmes.
Son service la retenait souvent à Versailles; le mien, qui commençait à cette époque, me rendait assidu: à la cour on est si désoeuvré! Le mari de la marquise était à son régiment; il lui laissait du vide. Je m'offris à le remplir.
Les premiers jours de notre connaissance, j'allais passer chez elle quelques moments pour attendre le coucher du roi. Parmi les hommes qui composaient le cercle de la marquise, je remarquai un grand chevalier de Malte, fort maigre, fort pâle, mais qui se donnait des airs de privauté; le ton maussade de la marquise me convainquit que c'était mon devancier et qu'il allait être congédié. Pour aider à le pousser dehors, je l'attaquai, je le persiflai; il se défendit mal. Je sortis, il me suivit. Après le coucher, il me pria de gagner avec lui la pièce des suisses, m'assurant qu'il avait quelque chose à me confier. La nuit était belle, nous nous promenâmes; arrivés dans un lieu assez solitaire, il mit brusquement l'épée à la main; je la saisis, je l'enlève et la jette à vingt pas, du plus grand sang-froid du monde; mon homme, tout étonné, se fâche, et je n'en ris que davantage. Enfin, je lui dis: "Mon cher chevalier, je crois entrevoir vos motifs; vous êtes bien avec la marquise, elle vous rejette, vous pensez que je suis votre successeur, et vous n'avez pas tort; vous voulez vous couper la gorge avec moi, et je suis bien sensible à cette marque de votre amitié; mais je vous dirai franchement que je ne me battrai qu'après avoir vu si elle en vaut la peine; ma réputation est faite, on ne me soupçonnera pas; nous prendrons, vous, le temps de la réflexion, moi, le temps de coucher avec elle; ensuite, si le coeur vous en dit, nous nous amuserons…" Je cours ramasser son épée, je la lui présente, je lui souhaite le bonsoir, et je vais me coucher.
Le chevalier vint chez moi le lendemain; il convint de ses torts, nous nous embrassâmes, et je me rendis chez la marquise, qui, déjà instruite du fond de l'aventure, ne m'en fit pas plus mauvaise mine, parce qu'elle en ignorait les détails.
Enfin, les jours s'accumulaient, la marquise jouait la coquette, semblait vouloir irriter mes désirs et me donner un véritable amour. Nous étions dans la saison des petits voyages; nous ne nous voyions que des moments, et ces moments étaient perdus pour mes projets. Tout cela m'ennuya; j'étais oisif, je la pressai; j'obtins un rendez-vous pour le lendemain, et quelques gestes très significatifs, de part et d'autre, m'annoncèrent qu'il serait tout ce que je voulais qu'il fût. Je me rends à l'heure marquée; le roi était à la chasse; tout le monde dehors; le château semblait un désert. Mais l'appartement de la marquise n'est-il pas assez peuplé? Nous étions deux: les désirs accouraient en foule, ils appelaient les plaisirs… Ma foi! je ne sais pas où l'on aurait pu trouver meilleure compagnie.
Les feux du midi embrasaient l'atmosphère. Un jour à demi étouffé régnait dans le boudoir: on y respirait la fraîcheur, les parfums et la volupté. Représentez-vous sur une pile de carreaux une grande femme bien taillée, encore mieux découplée; quelques rubans galamment noués sont le seul lien qui retienne la gaze légère qui la voile; sa gorge est belle, sa figure assez commune, mais ses yeux disent ce qu'ils veulent; d'assez belles dents, des cheveux d'un noir admirable, tout m'invitait: les préliminaires commencèrent; les ménagements auraient ennuyé. Je détourne sur elle et sur moi des voiles importuns. En deux tours de mains, j'arrange la marquise; je me précipite… Dieu! le flot qui m'apporta recule épouvanté. – Eh! qu'as-tu donc? – Ce que j'ai… Le diable peut-être… Je me signe et je crois que M. Satan s'est venu planter là en propre personne. – Mais encore… est-ce une illusion? – Foutre! tu n'as qu'à juger… Un braquemart de huit pouces levait sa crête altière et défendait les approches. Le coquin avait pensé m'éventrer. La marquise, nullement déconcertée, riait aux larmes. Enfin, je me rassure, j'examine, puis adressant la parole au papelard: Hélas! lui dis-je, j'étais venu dans l'intention de le mettre à monsieur votre frère; mais, beau sire, à tout seigneur tout honneur… Alors, je me retourne et je lui présente, bien humblement, ce que Berlin révère et ce que l'italien encense. Sacredieu! de ma vie je ne l'ai échappé si belle. La marquise m'attire à elle… Un moment plus tard… – Hein?… – Oui, pardieu! je l'étais, et tout vivant.
Cependant, mon étonnement cesse, et après avoir rendu ce tribut d'admiration, je plaçai Vit-au-Conas de la manière qui nous convenait à tous deux. La marquise était vive sans être tendre; un tempérament ardent lui commandait, l'entraînait; elle croyait aimer l'objet qu'elle tenait dans ses bras, et, les sensations effacées, les désirs satisfaits, son coeur s'épuisait. Dix années de cour forment bien une femme: elle était intrigante, adroite, dissimulée; elle avait enfin le caractère de son état. Aussi jouissait-elle d'une considération que la crainte de son esprit malin et médisant lui avait attirée. Au reste, levant effrontément le masque sur le chapitre des moeurs, elle m'afficha avec une impudence qui m'eût fait rougir, si l'on rougissait encore. J'affectais de la discrétion, de la retenue. "Allons, me disait-elle… Mais tu es un enfant: tout cela est reçu, mon ami. Dans les commencements que j'ai habité ce pays-ci, tout me révoltait. Je sortais du couvent, j'étais jeune, assez jolie; j'avais de la pudeur, j'étais d'un gauche inconcevable. Les femmes m'ont formée; les hommes m'en ont trouvée mieux. J'ai gagné de tous côtés.
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