Tu Sens Battre Mon Coeur ?. Andrea Calo'

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Tu Sens Battre Mon Coeur ? - Andrea Calo'


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Oui, c’est arrivé.

      — C’est arrivé, d’accord. Pensez-vous que ça a influencé le geste extrême de votre mère ?

      — Je ne sais pas, j’étais trop petite, je vous l’ai dit.

      — Melanie, quand votre mère est morte, vous aviez vingt-deux ans, vous n’étiez pas petite. »

      Il se trompait. L’âme de ma mère était déjà morte depuis des années, asséchée, et ce qu’il restait et que j’avais trouvé froid et immobile baignant dans son sang n’était que son enveloppe.

      « Monsieur l’agent, je suis très fatiguée maintenant, ai-je répondu en essayant de prendre la seule issue de secours qu’il me restait.

      — Je comprends, Melanie. Je comprends. Je vous demande juste de répondre à une dernière question s’il vous plaît. Comment la relation entre votre père et vous a-t-elle évolué après la mort de votre mère ? Avant que vous ne quittiez la maison. »

      Au lit, au son de coups dans le cœur de la nuit ! Voilà comment avait évolué notre relation. Les animaux qui partaient à l’abattoir étaient plus respectés que moi, parce qu’à la fin, ils étaient tués et mangés, ils disparaissaient. Moi, au contraire, je vivais, blessée dedans et dehors, obligée de me regarder chaque matin dans le miroir pour identifier les nouvelles marques de coups, celles qui enrichissaient ma singulière collection. Un dernier mensonge, encore un, le dernier. Ou peut-être pas.

      « Mon père a changé après ce jour-là, il est devenu complètement absent. Il se sentait incapable de s’occuper de moi parce qu’il pensait avoir totalement échoué dans sa tentative de sauver sa femme. Il me l’a confié un soir, en pleurs.

      — Expliquez-moi.

      — Ce que disent les archives est correct. Mon père revenait souvent tard la nuit et le plus souvent, il avait beaucoup bu. Il criait sur ma mère, défoulait sur elle sa rage de ne pas être capable de l’aider, de l’aimer comme il aurait dû et voulu le faire. Les hurlements résonnaient dans la maison et s’entendaient à l’extérieur, les voisins me regardaient toujours bizarrement le matin qui suivait, comme s’ils compatissaient, comme s’ils avaient pitié de moi. Quand ma mère est morte, mon père a capitulé. Peut-être qu’il est mort aussi ce jour-là, dans un certain sens. Il s’est détaché de moi et passait ses journées à lire assis au salon.

      Et à réfléchir à comment il allait de nouveau me violer le soir, ai-je pensé. Mais je me suis bien gardée de le dire.

      « Donc, vous, vous sentant abandonnée, avez décidé de partir et de faire votre vie.

      — C’est ça, monsieur l’agent. »

      Je refaisais surface pour la première fois.

      « Merci Melanie. Je m’excuse pour toutes les questions inopportunes que j’ai posées dans un moment pareil mais vous imaginez bien que c’était nécessaire. Le tableau est plus complet maintenant. »

      Il m’a regardée avec affection, et j’ai fait pareil. Une affection mêlée de frustration. Je cachais mon vrai visage, souillé par le mensonge, dans les plis de ma lâcheté, là où il y avait encore un peu de place pour m’immerger complètement et disparaître, hors de vue. J’avais trahi ma mère, encore une fois. Comme ce jour où, protégée par l’obscurité d’une nuit sans lune ni étoiles, j’étais restée à l’entrée de la tanière à observer l’ogre dévorer sa proie. Comme le jour où j’étais sortie de la maison toute fière, les clés à la main pour la première fois, sans aucun intérêt pour tout le reste, surtout pour la raison qui avait poussé ma mère à me les donner. Comme tous les jours où j’aurais voulu lui dire que je l’aimais, mais que je ne l’avais pas fait.

      « Vous devrez venir au central pour compléter le compte-rendu et signer la déposition. Ensuite, on vous demandera d’identifier le corps et de faire le nécessaire pour l’inhumation.

      — Très bien, je le ferai demain matin. »

      Il m’a souri et est parti. Je suis restée là, debout devant la porte ouverte, l’air saturé de pluie mouillant mon visage, se mélangeant à mes larmes. Son collègue a allumé le moteur de la voiture, m’a regardée et saluée de la main. J’ai répondu. L’agent Parker a ouvert la portière et, insouciant de l’averse qui le trempait, s’est arrêté pour me regarder et me saluer. Il a dit quelque chose que je n’ai pas compris, un grondement lointain avait couvert le son de sa voix. Son visage était détendu, il devait donc m’avoir dit quelque chose de gentil. J’ai fait oui de la tête, me suis tournée et suis rentrée en fermant la porte derrière moi. La lumière bleue clignotante avait disparu, la maison était de nouveau comme avant et moi aussi. Je suis retournée à la cuisine, le plat que j’avais réchauffé était froid. Je n’avais plus faim, je n’avais plus soif, je n’avais même plus d’air dans mes poumons. Ma gorge était serrée des sanglots que j’avais contenus si longtemps. “Pourquoi pleurer ? Et pour qui ?”. Ne pas trouver de réponse à ces questions avait abattu mes barrières, anéanti en un éclair toutes mes défenses. C’était ma reddition sans conditions, celle que mon cœur attendait tant. L’ogre était mort et ne me ferait plus de mal. Oui, l’ogre était enfin mort, tué par un autre ogre. Il brûlerait dans les flammes de l’enfer, ne rencontrerait plus jamais ma mère parce qu’elle, j’en étais sûre, demeurait au paradis. J’en étais certaine maintenant. Mort, tué le seul soir où il n’était pas ivre, fait étrange ! Peut-être parce que ce soir-là, l’ogre était resté un homme, il n’avait pas endossé son costume de scène, celui qui le rendait fort, agressif. Il avait commis une grave erreur, une légèreté fatale. Il n’aurait pas dû baisser la garde. Quand on choisit le mal comme parcours de vie, il faut apprendre à regarder autour de soi, parce que le mal viendra. Peut-être parce que l’homme, fatigué de jouer un rôle, fatigué de tout, avait brûlé son costume. Peut-être voulait-il tuer l’ogre lui-même pour se transformer en héros, se dénudant devant la foule et se postant devant ses ennemis en criant : « Vous ne me voyez pas ? Je suis ici ! Allez mauviettes, qu’est-ce que vous attendez pour me tuer ? » Peut-être voulait-il ressentir la douleur que l’on éprouve quand la peau est lacérée, quand le métal déchire les chairs et pénètre le corps. Peut-être voulait-il comprendre ce que l’on éprouve quand le sang s’échappe des veines, quand les sens s’altèrent et les sons se font lointains, et que tout devient sombre sous les yeux écarquillés qui fixent l’asphalte, près d’une crotte laissée par un chien errant passé par-là quelques minutes auparavant. Oui, peut-être que tout s’était passé comme ça. J’ai jeté la nourriture à la poubelle et suis allée dormir. J’ai fait un beau rêve cette nuit-là, mais je ne m’en souviens pas.

      Le jour suivant, j’ai rempli mes devoirs envers cet homme, mon père, pour la dernière fois. Quand ils m’ont demandé si je préférais une sépulture ou une crémation, j’ai répondu sans hésiter. Je l’ai fait incinérer, lui ai donné un avant-goût de ce qu’il allait bientôt subir, pour l’éternité. Je voulais assister au macabre spectacle. Voir cette caisse de bois entrer dans le four pour en sortir réduite en cendres m’a excitée de façon morbide. Je n’ai pas montré pas mes émotions, je n’ai pas versé une larme. J’ai contenu mes sentiments en les enfermant dans un bloc de glace, mon cœur transformé en chambre froide pour l’occasion.

      J’ai pris possession de la maison et du peu d’argent qu’il restait, celui que mon père n’avait pas dépensé en alcool et autres vices. J’ai posé l’urne au sol, dans un endroit caché, pour que personne ne la voie. Je me suis m’enfermée dans la maison, à écouter les bruits du silence, observant les empreintes de main laissées dans la poussière sur les meubles. J’entendais les cris et les pleurs de ma mère, ceux que j’étouffais dans la nuit sous une comptine, ma peluche dans les bras. J’entendais les plaintes et les sanglots qui suivaient les tempêtes. En regardant le fauteuil de mon père, je pouvais voir un homme seul, un vieux privé de vie. Dans un angle, j’ai remarqué un bâton, et je l’ai imaginé serré entre ses mains tandis qu’il marchait péniblement dans


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