Deux. Impair. Federico Montuschi

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Deux. Impair - Federico Montuschi


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ressembler à un vieux joueur de billard.

      Cela lui plaisait, car, adepte de la goriziana [4] , il avait passé pendant ses études universitaires plus de temps sur la table verte que sur ses livres de jurisprudence.

      Pour le petit déjeuner, Conchita lui prépara un café double accompagné de churros tout juste frits et Castillo la remercia d’un baiser sonore sur la joue.

      Elle, comme toujours, tenta de feindre l’indifférence pour cette manifestation chaste d’affection, mais elle fut trahie par son sourire de satisfaction mal dissimulé.

      C’était une femme encore charmante, avec ses yeux verts enchâssés dans un visage ovale, de longs cils noirs, les pommettes hautes et un sourire parfait.

      Ses longs cheveux noirs descendaient avec souplesse sur ses épaules et quelques fils argentés commençaient à se montrer ça-et-là ; cela ne la préoccupait pas vraiment, ce qui ne faisait qu’augmenter le sentiment de l’inspecteur Castillo, amoureux et fier du peu d’importance que sa femme attribuait aux questions d’apparence.

       « Me..merci, mon..mon amour », dit-il avec difficulté, enfonçant les dents dans le churro le plus doré et fermant les yeux à chaque bouchée pour en souligner la délicatesse.

      « De rien, mon cher », répondit Conchita, lui tournant le dos pour ouvrir la fenêtre de la cuisine, certaine de trouver une averse dans ce ciel de plomb : son mari bégayait quand il pleuvait.

      Et quand la pluie était particulièrement intense, comme ce matin-là, les mots semblaient même ne pas vouloir sortir de sa bouche.

      Dans ces cas-là, la langue de Castillo se bloquait sur le palais, insensible aux efforts de l’inspecteur, avec une pointe de sadisme qui provoquait en lui une gêne indésirable, dont il se débarrassait uniquement en fermant violemment la bouche tout en serrant les mâchoires pendant quelques secondes, et en général en fermant en même temps les yeux.

      Une opération compliquée mais efficace.

      Mar et Carmen entrèrent presque en même temps dans la cuisine, toute deux encore engourdies par une nuit sans sommeil, l’une en raison des révisions, l’autre revenant d’une fête universitaire pour le moins mouvementée et trop arrosée.

      Elles saluèrent leurs parents d’un baiser sur la joue simplement esquissé et s’assirent en face l’une de l’autre.

      Mar aimait passer une main dans ses cheveux courts, noirs de jais, que la plupart des gens ne croyait pas naturels ; elle avait un sourire solaire orné d’une dentition digne d’une publicité et deux joyaux verts à la place des yeux, héritage chromosomique évident provenant de sa mère.

      Elle était la plus âgée et la différence physique entre les deux était flagrante ; à vingt-deux ans, c’était déjà une femme, dotée d’une poitrine ronde et de fessiers toujours mis en valeur dans les vêtements serrés qu’elle aimait porter.

      Castillo vivait cette situation non sans inquiétude, en raison du peu de confiance qu’il nourrissait à l’égard de la nouvelle génération. Cependant, il s’efforçait de se rassurer en pensant aux excellents résultats scolaires de sa fille qui, selon ses critères implacables, était très intelligente.

      Carmen, en revanche, portait encore les traits de l’adolescence et à vingt ans, contrairement à la majorité des personnes de son âge, elle n’avait pas encore terminé sa croissance.

      Ses seins étaient à peine dessinés, elle faisait presque dix centimètres de moins que sa sœur et pesait vingt kilos de moins.

      Sur son visage, aux traits durs soulignés par sa maigreur quelque peu excessive, ressortaient de curieuses taches de rousseur concentrées surtout sur les joues ; ses cheveux longs et ondulés, mal entretenus, contribuaient à créer un personnage non conventionnel qu’elle aimait interpréter en-dehors de chez elle, notamment dans les occasions où elle réussissait à se joindre à Mar et ses amis.

      « N...nuit chargée, les filles ? », demanda Castillo, avant de boire son café bouillant à petites gorgées qui, après des journées de grippe accompagnées de tristes tisanes curatives, lui sembla meilleur que jamais.

      Conchita fit chauffer de l’eau et y immergea deux sachets de thé, sachant qu’il ferait du bien aux estomacs barbouillés de ses filles.

      Le parfum de l’infusion envahit rapidement la pièce et sembla avoir un effet bénéfique immédiat sur Mar, qui passa en quelques secondes de l’état de catalepsie dans lequel elle s’était présentée dans la cuisine à celui d'hyperactive qui rendait Castillo nostalgique de la vie rythmée désormais lointaine qui caractérisait son passé d’étudiant brillant.

      Les questions de sa fille aînée le prirent au dépourvu.

      « Papa, tu retournes au travail aujourd'hui ? Tu en as envie ? Tu es sur une affaire ? Il s’est passé quelque chose d'intéressant ces derniers jours ? Tu as vu comme il pleut ? Espérons que tu n’aies pas trop besoin de parler ! Maman, ce thé est délicieux ! Carmen, tu te réveilles ? » Et ainsi de suite.

      Carmen, serrant entre ses mains la tasse fumante préparée par sa mère, resta dans son état catatonique.

      Bien que pressé par les demandes de sa fille aînée, l’inspecteur Castillo ferma les écoutilles et se tint à l’écart des dix minutes de conversation qui suivirent - si on pouvait parler de conversation, étant donné que même Conchita préférait dans ces situations renoncer à intervenir dans le flux de questions en suspens de sa fille.

      Ses pensées commencèrent à affluer librement.

      Il se concentra sur les principales chroniques de faits divers qui avaient eu lieu pendant la période qu’il avait passée au lit, essayant d’identifier celles qui pourraient s’avérer de nouvelles opportunités de travail pour lui et pour le Slave.

      Il avait besoin d’imprégner son esprit, après des jours de maladie, et il ressentit une agréable charge d’adrénaline monter peu à peu dans son estomac.

      Une rafale de vent soudaine fit claquer les battants de la fenêtre. « M..mesdames...j..je vais au t...travail. Belle j...journée, n’est-ce pas ? On se voit ce s...soir ».

      Il enfila son imperméable vert, saisit le premier parapluie qui lui tomba sous la main et souffla un baiser vers ses femmes, qui lui rendirent son salut, sauf Carmen, qui resta immobile avec sa tasse entre les mains.

      L’Alfa 159 attendait Castillo de l’autre côté de la rue, flambante comme toujours, mais les jours d’arrêt forcé pendant la maladie ne lui avaient pas fait du bien : l’inspecteur mit presque dix minutes pour allumer le moteur - plus que le temps qu’il lui aurait fallu pour arriver au bureau en marchant – le tout accompagné de ses jurons grossiers et des railleries de Mar qui l’espionnait derrière les rideaux de la fenêtre.

      La chose qui le rendait encore plus furieux dans ces situations, était que les injures n’étaient pas le moins du monde affectées par le bégaiement : elles sortaient de sa bouche claires, nettes, indiscutables, peu importe l’intensité de la pluie.

      Il alluma la radio et commença à tapoter du bout des doigts sur le volant au rythme de la musique, roulant comme à son habitude à faible vitesse, se moquant des regards de mépris, parfois accompagnés d’insultes, des conducteurs plus jeunes qui le dépassaient.

      Conduire sa voiture était l’un des rares moments pendant lesquels son cerveau se détachait des pensées quotidiennes, une sorte de zone franche qui lui permettait d’analyser les situations d’un point de vue externe et à plusieurs occasions, ce détachement lui avait permis de trouver la solution dans des affaires qu’il suivait.

      Il arriva en peu de temps au parking de la Calle Arenal . Il descendit calmement de la voiture, acheta un journal à l’angle de la rue, le mit sous son bras et, traversant la Plaza Allende , continua d’un pas tranquille vers son bureau non loin


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