Deux. Impair. Federico Montuschi
Читать онлайн книгу.possible, pour éviter d’abîmer la Volvo voisine.
« Moi non plus. », répondit-il, « Mais ne t’inquiète pas, la Deux-chevaux est une voiture aux ressources infinies ! ».
Il commença à tourner une manivelle qui pendait de la capote, près du miroir du rétroviseur et le toit de la voiture s’ouvrit tout doucement.
« Génial ! En voilà une voiture moderne ! », s’exclama Carmen qui, sans se faire prier, sauta avec agilité sur les sièges arrières et depuis ces derniers, atterrit en un clin d'œil sur le gazon, imitée par Ronald.
« Une façon stylée d’arriver à une fête, non ? »
Nelly s’était approchée, le chandelier toujours allumé entre ses mains pour éclairer le gazon. Elle affichait un sourire radieux, qui était le fruit de cinq années de soins d’orthodontie et d’une somme non négligeable dépensée par son père.
« Salut Nelly ! Quelle idée splendide cette fête ! On peut déjà entrer ? », demanda Carmen, en embrassant sur les deux joues son amie et se dirigeant vers le chemin d’accès avant même de recevoir une réponse.
« Bien sûr, vous passez la fontaine et vous continuez sur la droite. Ensuite vous suivez les lumières, vous ne pouvez pas vous tromper, ok ?
— No problem ! J’ai fait des choses bien plus compliquées dans ma vie », répondit Ronald avec son habituelle ironie.
Ils s’engagèrent dans le jardin en suivant le son de la musique, diffusée par le DJ à un volume assourdissant, plutôt que les lumières indiquées par Nelly ; les seuls voisins de la propriété étant les occupants du cimetière tout proche, il n’y avait aucun risque qu’ils se plaignent du bruit.
Misjudged your limits
Pushed you too far
Took you for granted
I thought that you needed me more more more!
« Boys don’t cry ! Fantastique ! ».
L’émotion de Carmen surprit Ronald, qui avait pour la musique un simple intérêt superficiel.
« Comment fais-tu pour connaître une chanson qui date d’il y a trente ans à partir de deux strophes entendue de loin ? », demanda-t-il en la regardant droit dans les yeux, comme pour souligner son sentiment de surprise.
Carmen répondit avec nonchalance sans se tourner vers lui.
« C’est une passion que mon père m’a transmise. Il a une culture musicale infinie et il nous a éduquée ma sœur et moi au pain et au rock depuis l’enfance. Et quand nous étions petites, il nous disait le titre et l’auteur d’une chanson, et la chantait dans son anglais approximatif, ce qui nous permettait cependant de suivre le texte beaucoup plus facilement en écoutant les versions originales, tu comprends ?
— Bien sûr. Je comparerais cela à une forme de bilinguisme. Vous avez absorbé presque inconsciemment sa culture musicale, comme les enfants, dont les parents ont deux nationalités différentes, apprennent gratuitement les langues de leur père et de leur mère, sans aucun effort. Une sorte d’apprentissage par osmose, voilà.
— Plus ou moins... », répondit Carmen sans trop de conviction, juste avant d’apercevoir, après une légère courbe du sentier sur la droite, l’entrée du salon où se déroulait la fête.
La musique était forte et l’installation diffusait les basses avec une puissance singulière, qui semblaient rebondir dans le ventre des jeunes. Carmen et Ronald se jetèrent sur la piste, illuminés par un stroboscope des années soixante-dix qui lançait par intermittence des rayons de différentes couleurs, dans le plus pur style des épées Jedi de la Guerre des étoiles.
Carmen prit au passage un shot de vodka citron posé sur le plateau d'un serveur qui déambulait dans la foule et le but par petites gorgées rapides, sans s’arrêter de danser.
Il lui sembla que le stroboscope augmentait progressivement la fréquence des coups d’épées Jedi et cette image la fit sourire ; un sourire qui après cette dose de vodka devint rapidement un éclat de rire.
Un autre serveur avec des petites moustaches qui semblaient peintes sur son visage passa rapidement près d’eux et Carmen ne laissa pas échapper le verre de téquila qu’il transportait et qu’elle avala d’un trait sans même y penser.
« Vas-y doucement, Carmen, tu n’es pas habituée à boire », cria Ronald, sans s’arrêter de suivre le rythme au centre de la piste, essayant de couvrir avec sa voix les décibels de la musique.
Mais Carmen ne sembla pas entendre et, petit à petit, elle disparut dans la cohue dansante, absorbée par l’enthousiasme des fêtards.
***
Le taxi arriva sur la place située devant le grand portail de la villa peu avant onze heures.
À l’entrée, les allées et venues n’avaient pas cessé, bien que la majorité des invités se soit déjà dirigée vers la piste de danse et vers le bar adjacent, où l’alcool coulait à flot et, surtout, gratuitement.
La formule, barra libre [3] dans les fêtes privées, garantissait un pourcentage de personnes ivres bien supérieur aux normes des fêtes universitaires.
Un homme de taille moyenne descendit du taxi, paya sans demander son reste et s’approcha sans attendre de la grille.
Il savait que son arrivée serait vue par la majorité comme un fait pour le moins étrange, ou peut-être le craignait-il, mais il s’efforça de se comporter de la façon la plus naturelle possible.
Il portait un t-shirt en coton bleu avec une petite étoile blanche au dos, un jean foncé moulant et des bottes noires à lacets blancs.
Sur sa tête, était posée une curieuse casquette rouge de baseball.
Nelly eut beaucoup de mal à masquer sa surprise.
« Père Juan ! Quel plaisir ! Quel bon vent vous amène ? »
Elle était certaine de ne pas l’avoir invité. Il ne manquerait plus que ça, inviter un prêtre à une fête étudiante à la campagne.
Qui sait comment il avait eu connaissance de la fête, et qui sait comment lui était venue l’idée d’y participer.
Nelly remarqua l’embarras affiché sur le visage de son interlocuteur et pour faire passer ce moment de gêne, elle préféra lui expliquer immédiatement le chemin pour arriver au salon.
« Tu passes la fontaine, tu suis le sentier sur la droite, et juste après tu trouveras la fête, ok ? J’arrive dans quelques instants, il est déjà onze heures, je crois que les invités sont tous arrivés maintenant. Et j’ai une envie folle de me jeter sur la piste moi aussi ! »
La jeune femme lui lança un regard dénué de toute malice, recevant pour seule réponse un sourire fuyant, tout juste esquissé.
L’homme s’alluma une cigarette et se lança, légèrement vouté, sur le sentier illuminé par de petites torches parfumées.
Son arrivée dans le salon principal de la fête fut pour lui comme un coup de poing dans l’estomac.
Volume de la musique très élevé.
Au milieu de la salle, des jeunes avec des rastas frappant violemment sur des bidons métalliques, en totale symbiose avec le rythme de la musique diffusée par les caissons de basse à deux mille watts, qui semblait vouloir se frayer un chemin à coups de coudes dans les viscères de chacun des participants.
Les rayons de lumière émanant du stroboscope suspendu au centre du salon et le parfum de l’après-rasage mélangé à l’odeur de sueur de la foule.
Des serveurs dans des tenues visiblement informelles, mais portant tous un nœud papillon blanc comme signe distinctif, qui se déplaçaient sans