Fables de La Fontaine. Jean de la Fontaine
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CONSEIL TENU PAR LES RATS.
Un chat nommé Rodilardus[9] Faisoit de rats telle déconfiture, Que l’on n’en voyoit presque plus, Tant il en avoit mis dedans la sépulture. Le peu qu’il en restoit, n’osant quitter son trou, Ne trouvoit à manger que le quart de son soûl; Et Rodilard passoit, chez la gent misérable, Non pour un chat, mais pour un diable. Or, un jour qu’au haut et au loin Le galant alla chercher femme, Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa dame, Le demeurant des rats tint chapitre en un coin Sur la nécessité présente. Dès l’abord leur doyen, personne fort prudente, Opina qu’il falloit, et plus tôt que plus tard, Attacher un grelot au cou de Rodilard; Qu’ainsi, quand il iroit en guerre, De sa marche avertis, ils s’enfuiroient sous terre; Qu’il n’y savoit que ce moyen. Chacun fut de l’avis de monsieur le doyen: Chose ne leur parut à tous plus salutaire. La difficulté fut d’attacher le grelot. L’un dit: Je n’y vas point, je ne suis pas si sot; L’autre: Je ne saurois. Si bien que sans rien faire On se quitta. J’ai maints chapitres vus, Qui pour néant se sont ainsi tenus; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines, Voire chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer?
La cour en conseillers foisonne:
Est-il besoin d’exécuter?
L’on ne rencontre plus personne.
III
LE LOUP PLAIDANT CONTRE LE RENARD
PAR-DEVANT LE SINGE.
Un loup disoit que l’on l’avoit volé:
Un renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé,
Non point par avocats, mais par chaque partie.
Thémis n’avoit point travaillé,
De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suoit en son lit de justice.
Après qu’on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,
Le juge instruit de leur malice,
Leur dit: Je vous connois de longtemps, mes amis;
Et tous deux vous paîrez l’amende:
Car toi, loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris;
Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande.
Le juge prétendoit qu’à tort et à travers
On ne sauroit manquer, condamnant un pervers.
Quelques personnes de bon sens ont cru que l’impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe étoient une chose à censurer: mais je ne m’en suis servi qu’après Phèdre, et c’est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.
IV
LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE.
Deux taureaux combattoient à qui posséderoit
Une génisse avec l’empire.
Une grenouille en soupiroit.
Qu’avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu’un du peuple coassant.—
Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l’exil de l’un; que l’autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus sur l’herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux;
Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l’une, et puis l’autre, il faudra qu’on pâtisse
Du combat qu’a causé madame la génisse.
Cette crainte étoit de bon sens.
L’un des taureaux en leur demeure
S’alla cacher à leurs dépens:
Il en écrasoit vingt par heure.
Hélas! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.
V
LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES.
Une chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de belette, et, sitôt qu’elle y fut,
L’autre, envers les souris de longtemps courroucée,
Pour la dévorer accourut.
Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N’êtes-vous pas souris? parlez sans fiction.
Oui, vous l’êtes; ou bien je ne suis pas belette.—
Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n’est pas ma profession.
Moi, souris! des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grâce à l’auteur de l’univers,
Je suis oiseau, voyez mes ailes:
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut et sembla bonne.