Fables de La Fontaine. Jean de la Fontaine
Читать онлайн книгу.Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
XII
LA COLOMBE ET LA FOURMI.
L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits.
Le long d’un clair ruisseau buvoit une colombe,
Quand sur l’eau se penchant une fourmis y tombe;
Et dans cet océan on eût vu la fourmis
S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité:
Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve. Et là-dessus
Passe un certain croquant qui marchoit les pieds nus:
Ce croquant, par hasard, avoit une arbalète.
Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête,
La fourmi le pique au talon.
Le vilain retourne la tête:
La colombe l’entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s’envole:
Point de pigeon pour une obole.
XIII
L’ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS.
Un astrologue un jour se laissa choir
Au fond d’un puits. On lui dit: Pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête?
Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d’entendre dire
Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre qu’Homère et les siens ont chanté,
Qu’est-ce, que le Hasard parmi l’antiquité,
Et parmi nous la Providence?
Or du hasard il n’est point de science;
S’il en étoit, on auroit tort
De l’appeler hasard, ni fortune, ni sort:
Toutes choses très-incertaines.
Quant aux volontés souveraines
De Celui qui fait tout et rien qu’avec dessein,
Qui le sait, que lui seul? Comment lire en son sein?
Auroit-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?
A quelle utilité? Pour exercer l’esprit
De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre, dans les biens, de plaisirs incapables?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu’ils soient venus?
C’est erreur, ou plutôt c’est crime de le croire.
Le firmament se meut, les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d’éclairer,
D’amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l’univers?
Charlatans, faiseurs d’horoscope,
Quittez les cours des princes de l’Europe,
Emmenez avec vous les souffleurs[11] tout d’un temps; Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m’emporte un peu trop: revenons à l’histoire
De ce spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C’est l’image de ceux qui bâillent aux chimères,
Cependant qu’ils sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.
XIV
LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES.
Un lièvre en son gîte songeoit
(Car que faire en un gîte à moins que l’on ne songe?);
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeoit:
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens d’un naturel peureux
Sont, disoit-il, bien malheureux!
Ils ne sauroient manger morceau qui leur profite;
Jamais un