Le chevalier d'Harmental. Alexandre Dumas

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Le chevalier d'Harmental - Alexandre Dumas


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il y passera la soirée.

      De là, il reviendra, sans gardes, au Palais-Royal, à moins que la duchesse de Berry ne lui donne une escorte des siens.»

      —Peste! sans gardes, mon cher abbé. Que pensez-vous de cela? dit d'Harmental tout en se mettant à sa toilette. Est-ce que l'eau ne vous en vient pas à la bouche?

      —Sans gardes, oui, répondit l'abbé; mais avec des coureurs, mais avec des piqueurs, mais avec un cocher, tous gens, qui se battent très peu, il est vrai, mais qui crient très haut. Oh! patience, patience, mon jeune ami! Vous êtes donc bien pressé d'être grand d'Espagne?

      —Non, mon cher abbé; mais, je suis pressé de ne pas vivre dans une mansarde où tout me manque et où je suis obligé de faire ma toilette tout seul, comme vous voyez. Vous croyez donc que ce n'est rien que de se coucher à dix heures le soir et de s'habiller sans valet de chambre le matin?

      —Oui, mais, vous avez de la musique, reprit l'abbé.

      —Ah! en effet, dit d'Harmental. L'abbé, ouvrez donc ma fenêtre, je vous prie, que l'on voie que je reçois, bonne compagnie. Cela me fera honneur auprès de mes voisins.

      —Tiens, tiens, tiens! dit l'abbé en faisant ce dont le priait le chevalier; mais ce n'est pas mal du tout, cela.

      —Comment! pas mal, reprit à son tour d'Harmental, mais c'est très bien au contraire: c'est de l'Armide, par dieu! Le diable m'emporte si je croyais trouver cela au quatrième étage, et rue du Temps-Perdu!

      —Chevalier, je vous prédis une chose, dit l'abbé: c'est que, pour peu que la chanteuse soit jeune et jolie, nous aurons dans huit jours autant de peine à vous faire sortir d'ici que nous en avons maintenant à vous y faire rester.

      —Mon cher abbé, répondit d'Harmental en secouant la tête, si votre police était aussi bien faite que celle du prince de Cellamare, vous sauriez que je suis guéri de l'amour pour longtemps; et la preuve, la voici: ne croyez pas que je passe mes journées à soupirer, je vous prierai donc, en descendant, de m'envoyer quelque chose comme un pâté et une douzaine de bouteilles d'excellents vins. Je m'en rapporte à vous: je sais que vous êtes connaisseur; d'ailleurs, envoyées par vous, elles témoigneront d'une attention de tuteur; achetées par moi, elles témoigneraient d'une débauche de pupille, et j'ai ma réputation provinciale à garder à l'endroit de madame Denis.

      —C'est juste; je ne vous demande pas pourquoi faire; je m'en rapporte à vous.

      —Et vous avez raison, mon cher abbé; c'est pour le bien de la cause.

      —Dans une heure, le pâté et le vin seront ici.

      —Quand vous reverrai-je?

      —Demain probablement.

      —Ainsi donc, à demain.

      —Vous me renvoyez?

      —J'attends quelqu'un.

      —Toujours pour la bonne cause?

      —Je vous en réponds. Allez, et que Dieu vous garde!

      —Restez, et que le diable ne vous tente pas! Souvenez-vous que c'est la femme qui nous a fait chasser tous autant que nous sommes du paradis terrestre. Défiez-vous de la femme!

      —Amen! dit le chevalier en faisant, de la main un dernier signe à l'abbé Brigaud.

      En effet, comme l'avait remarqué le bon abbé, d'Harmental avait hâte qu'il fût parti. Son grand amour pour la musique, qu'il avait découvert de la veille seulement, avait fait de tels progrès qu'il était désireux de n'être distrait en rien de ce qu'il venait d'entendre. Autant que le permettait cette maudite fenêtre toujours fermée, ce qui parvenait au chevalier, tant de l'instrument que de la voix, révélait dans sa voisine une excellente musicienne: le doigté était savant, la voix était douce quoique étendue, et avait, dans les cordes hautes, de ces vibrations profondes qui répondent au cœur. Aussi, après un passage très difficile et parfaitement exécuté, d'Harmental ne put-il s'empêcher de battre des mains et de crier bravo. Par, malheur encore, ce triomphe auquel dans sa solitude, elle n'était point habituée, au lieu d'encourager la musicienne, l'intimida sans doute, à un tel point que, clavecin et voix, tout s'arrêta à l'instant même et que le silence succéda immédiatement à la mélodie pour laquelle le chevalier avait si imprudemment manifesté son enthousiasme.

      En échange, il vit s'ouvrir la porte de la chambre au-dessus, qui, comme nous l'avons dit, donnait sur la terrasse. Il en sortit d'abord, une main étendue qui visiblement interrogeait le temps. La réponse du temps fut rassurante, selon toute vraisemblance, car la main fut presque aussitôt suivie d'une tête coiffée d'un petit bonnet d'indienne serré sur le front par un ruban de soie gorge de pigeon, et la tête à son tour ne précéda que de quelques instants un avant-corps, couvert d'une espèce de robe de chambre en façon de camisole et de la même étoffe que le bonnet. Cela ne permettait point encore au chevalier de reconnaître bien précisément à quel sexe appartenait l'individu qui semblait avoir tant de peine à se hasarder à l'air du matin. Enfin une espèce de rayon de soleil ayant glissé entre deux nuages, encouragea, à ce qu'il paraît, le timide locataire de la terrasse, qui se détermina à sortir tout à fait. D'Harmental reconnut alors, à sa culotte courte de velours noir et à ses bas chinés, que le personnage qui venait d'entrer en scène était du sexe masculin.

      C'était l'horticulteur dont nous avons parlé.

      Le mauvais temps des jours précédents l'avait sans doute privé de sa promenade matinale, et l'avait empêché de donner à son jardin ses soins accoutumés, car il commença à le parcourir avec une inquiétude visible d'y trouver quelque accident produit par le vent et par la pluie; mais après une visite minutieuse du jet d'eau, de la grotte et du berceau, qui étaient les trois principaux ornements, l'excellente figure de l'horticulteur s'éclaira d'un rayon de joie comme le temps venait de faire d'un rayon de soleil. Il s'était aperçu non seulement que toute chose était à sa place, mais encore que son réservoir était plein à déborder. Il crut donc pouvoir se donner le plaisir de faire jouer ses eaux, prodigalité qu'ordinairement, à l'instar du roi Louis XIV, il ne se permettait que le dimanche. Il tourna un robinet, et la gerbe hebdomadaire s'éleva majestueusement à la hauteur de quatre ou cinq pieds.

      Le bonhomme en eut une joie si grande qu'il se mit à chanter le refrain d'une vieille chanson pastorale avec laquelle d'Harmental avait été bercé, et que tout en répétant:

      Laissez-moi aller,

       Laissez-moi jouer,

       Laissez-moi aller jouer sous la coudrette,

      Il courut à sa fenêtre et appela deux fois à haute voix:

      —Bathilde! Bathilde!

      Le chevalier comprit alors qu'il y avait une communication architecturale entre la chambre du cinquième et celle du quatrième, et une relation quelconque entre l'horticulteur et la musicienne. Or, comme il pensa que, vu la modestie dont elle venait de lui donner une preuve, la musicienne, s'il restait à sa fenêtre, pourrait bien ne pas monter sur la terrasse, il referma sa croisée d'un air d'insouciance parfaite, tout en ayant soin de se ménager derrière le rideau une petite ouverture par laquelle il pouvait tout voir sans être vu.

      Ce qu'il avait prévu arriva. Au bout d'un instant, une charmante tête de jeune fille parut dans l'encadrement de la fenêtre; mais comme sans doute le terrain sur lequel s'était hasardé avec tant de courage celui qui l'avait appelée était trop humide, elle ne voulut point aller plus loin. La petite levrette non moins craintive que sa maîtresse, resta près d'elle, ses pattes blanches posées sur le rebord de la fenêtre, et secouant la tête en signe de négation à toutes les instances qui lui furent faites pour l'attirer plus loin que sa maîtresse ne voulait aller.

      Cependant il s'établit un dialogue de quelques minutes entre le bonhomme et la jeune fille. D'Harmental eut donc le loisir de l'examiner avec d'autant moins de distraction que sa fenêtre étant fermée lui permettait de voir sans entendre.

      Elle paraissait arrivée à cet


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