Les enfants du capitaine Grant. Jules Verne

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Les enfants du capitaine Grant - Jules Verne


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Paganel ne prenait même pas la peine de regarder la carte déployée sous ses yeux; il n’en avait que faire. Nourrie des travaux de Frézier, de Molina, de Humboldt, de Miers, de D’Orbigny, sa mémoire ne pouvait être ni trompée, ni surprise. Après avoir terminé cette nomenclature géographique, il ajouta:

      «Donc, mes chers amis, la route est droite. En trente jours nous l’aurons franchie, et nous serons arrivés avant le Duncan sur la côte orientale, pour peu que les vents d’aval retardent sa marche.

      —Ainsi le Duncan, dit John Mangles, devra croiser entre le cap Corrientes et le cap Saint-Antoine?

      —Précisément.

      —Et comment composeriez-vous le personnel d’une pareille expédition? demanda Glenarvan.

      —Le plus simplement possible. Il s’agit seulement de reconnaître la situation du capitaine Grant, et non de faire le coup de fusil avec les indiens. Je crois que lord Glenarvan, notre chef naturel; le major, qui ne voudra céder sa place à personne; votre serviteur, Jacques Paganel…

      —Et moi! s’écria le jeune Grant.

      —Robert! Robert! dit Mary.

      —Et pourquoi pas? répondit Paganel. Les voyages forment la jeunesse. Donc, nous quatre, et trois marins du Duncan

      —Comment, dit John Mangles en s’adressant à son maître, votre honneur ne réclame pas pour moi?

      —Mon cher John, répondit Glenarvan, nous laissons nos passagères à bord, c’est-à-dire ce que nous avons de plus cher au monde! Qui veillerait sur elles, si ce n’est le dévoué capitaine du Duncan?

      —Nous ne pouvons donc pas vous accompagner? dit lady Helena, dont les yeux se voilèrent d’un nuage de tristesse.

      —Ma chère Helena, répondit Glenarvan, notre voyage doit s’accomplir dans des conditions exceptionnelles de célérité; notre séparation sera courte, et…

      —Oui, mon ami, je vous comprends, répondit lady Helena; allez donc, et réussissez dans votre entreprise!

      —D’ailleurs, ce n’est pas un voyage, dit Paganel.

      —Et qu’est-ce donc? demanda lady Helena.

      —Un passage, rien de plus. Nous passerons, voilà tout, comme l’honnête homme sur terre, en faisant le plus de bien possible. Transire benefaciendo, c’est là notre devise.»

      Sur cette parole de Paganel se termina la discussion, si l’on peut donner ce nom à une conversation dans laquelle tout le monde fut du même avis. Les préparatifs commencèrent le jour même. On résolut de tenir l’expédition secrète, pour ne pas donner l’éveil aux indiens.

      Le départ fut fixé au 14 octobre. Quand il s’agit de choisir les matelots destinés à débarquer, tous offrirent leurs services, et Glenarvan n’eut que l’embarras du choix. Il préféra donc s’en remettre au sort, pour ne pas désobliger de si braves gens.

      C’est ce qui eut lieu, et le second, Tom Austin, Wilson, un vigoureux gaillard, et Mulrady, qui eût défié à la boxe Tom Sayers lui-même, n’eurent point à se plaindre de la chance.

      Glenarvan avait déployé une extrême activité dans ses préparatifs. Il voulait être prêt au jour indiqué, et il le fut. Concurremment, John Mangles s’approvisionnait de charbon, de manière à pouvoir reprendre immédiatement la mer. Il tenait à devancer les voyageurs sur la côte argentine. De là, une véritable rivalité entre Glenarvan et le jeune capitaine, qui tourna au profit de tous.

      En effet, le 14 octobre, à l’heure dite, chacun était prêt. Au moment du départ, les passagers du yacht se réunirent dans le carré. Le Duncan était en mesure d’appareiller, et les branches de son hélice troublaient déjà les eaux limpides de Talcahuano.

      Glenarvan, Paganel, Mac Nabbs, Robert Grant, Tom Austin, Wilson, Mulrady, armés de carabines et de revolvers Colt, se préparèrent à quitter le bord. Guides et mulets les attendaient à l’extrémité de l’estacade.

      «Il est temps, dit enfin lord Edward.

      —Allez donc, mon ami!» répondit lady Helena en contenant son émotion.

      Lord Glenarvan la pressa sur son cœur, tandis que Robert se jetait au cou de Mary Grant.

      «Et maintenant, chers compagnons, dit Jacques Paganel, une dernière poignée de main qui nous dure jusqu’aux rivages de l’Atlantique!»

      C’était beaucoup demander. Cependant il y eut là des étreintes capables de réaliser les vœux du digne savant.

      On remonta sur le pont, et les sept voyageurs quittèrent le Duncan. Bientôt ils atteignirent le quai, dont le yacht en évoluant se rapprocha à moins d’une demi-encablure.

      Lady Helena, du haut de la dunette, s’écria une dernière fois:

      «Mes amis, Dieu vous aide!

      —Et il nous aidera, madame, répondit Jacques Paganel, car je vous prie de le croire, nous nous aiderons nous-mêmes!

      —En avant! cria John Mangles à son mécanicien.

      —En route!» répondit lord Glenarvan.

      Et à l’instant même où les voyageurs, rendant la bride à leurs montures, suivaient le chemin du rivage, le Duncan, sous l’action de son hélice, reprenait à toute vapeur la route de l’océan.

      Chapitre XI Traversée du Chili

      La troupe indigène organisée par Glenarvan se composait de trois hommes et d’un enfant. Le muletier-chef était un anglais naturalisé dans ce pays depuis vingt ans. Il faisait le métier de louer des mulets aux voyageurs et de les guider à travers les différents passages des cordillères.

      Puis, il les remettait entre les mains d’un «baqueano», guide argentin, auquel le chemin des pampas était familier. Cet anglais n’avait pas tellement oublié sa langue maternelle dans la compagnie des mulets et des indiens qu’il ne pût s’entretenir avec les voyageurs. De là, une facilité pour la manifestation de ses volontés et l’exécution de ses ordres, dont Glenarvan s’empressa de profiter, puisque Jacques Paganel ne parvenait pas encore à se faire comprendre.

      Ce muletier-chef, ce «catapaz», suivant la dénomination chilienne, était secondé par deux péons indigènes et un enfant de douze ans. Les péons surveillaient les mulets chargés du bagage de la troupe, et l’enfant conduisait la «madrina», petite jument qui, portant grelots et sonnette, marchait en avant et entraînait dix mules à sa suite. Les voyageurs en montaient sept, le catapaz une; les deux autres transportaient les vivres et quelques rouleaux d’étoffes destinés à assurer le bon vouloir des caciques de la plaine. Les péons allaient à pied, suivant leur habitude. Cette traversée de l’Amérique méridionale devait donc s’exécuter dans les conditions les meilleures, au point de vue de la sûreté et de la célérité.

      Ce n’est pas un voyage ordinaire que ce passage à travers la chaîne des Andes. On ne peut l’entreprendre sans employer ces robustes mulets dont les plus estimés sont de provenance argentine. Ces excellentes bêtes ont acquis dans le pays un développement supérieur à celui de la race primitive. Elles sont peu difficiles sur la question de nourriture. Elles ne boivent qu’une seule fois par jour, font aisément dix lieues en huit heures, et portent sans se plaindre une charge de quatorze arrobes.

      Il n’y a pas d’auberges sur cette route d’un océan à l’autre. On mange de la viande séchée, du riz assaisonné de piment, et le gibier qui consent à se laisser tuer en route. On boit l’eau des torrents dans la montagne, l’eau des ruisseaux dans la plaine, relevée de quelques gouttes de rhum, dont chacun a sa provision contenue dans une corne de bœuf appelée «chiffle». Il faut avoir soin, d’ailleurs, de ne pas abuser des boissons alcooliques, peu favorables dans une région où le système nerveux de l’homme est particulièrement exalté. Quant à la literie,


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