Les enfants du capitaine Grant. Jules Verne

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Les enfants du capitaine Grant - Jules Verne


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andine en change souvent le tracé, et les points de repère ne sont plus à leur place. Aussi le catapaz hésitait-il; il s’arrêtait; il regardait autour de lui; il interrogeait la forme des rochers; il cherchait sur la pierre friable des traces d’indiens. Toute orientation devenait impossible.

      Glenarvan suivait son guide pas à pas; il comprenait, il sentait son embarras croissant avec les difficultés du chemin; il n’osait l’interroger et pensait, non sans raison peut-être, qu’il en est des muletiers comme de l’instinct des mulets et qu’il vaut mieux s’en rapporter à lui.

      Pendant une heure encore, le catapaz erra pour ainsi dire à l’aventure, mais toujours en gagnant des zones plus élevées de la montagne. Enfin il fut forcé de s’arrêter court. On se trouvait au fond d’une vallée de peu de largeur, une de ces gorges étroites que les indiens appellent «quebradas». Un mur de porphyre, taillé à pic, en fermait l’issue. Le catapaz, après avoir cherché vainement un passage, mit pied à terre, se croisa les bras, et attendit. Glenarvan vint à lui.

      «Vous vous êtes égaré? demanda-t-il.

      —Non, mylord, répondit le catapaz.

      —Cependant, nous ne sommes pas dans le passage d’Antuco?

      —Nous y sommes.

      —Vous ne vous trompez pas?

      —Je ne me trompe pas. Voici les restes d’un feu qui a servi aux indiens, et voilà les traces laissées par les troupeaux de juments et de moutons.

      —Eh bien, on a passé par cette route!

      —Oui, mais on n’y passera plus. Le dernier tremblement de terre l’a rendue impraticable…

      —Aux mulets, répondit le major, mais non aux hommes.

      —Ah! Ceci vous regarde, répondit le catapaz, j’ai fait ce que j’ai pu. Mes mules et moi, nous sommes prêts à retourner en arrière, s’il vous plaît de revenir sur vos pas et de chercher les autres passages de la cordillère.

      —Et ce sera un retard?…

      —De trois jours, au moins.»

      Glenarvan écoutait en silence les paroles du catapaz. Celui-ci était évidemment dans les conditions de son marché. Ses mules ne pouvaient aller plus loin. Cependant, quand la proposition fut faite de rebrousser chemin, Glenarvan se retourna vers ses compagnons, et leur dit:

      «Voulez-vous passer quand même?

      —Nous voulons vous suivre, répondit Tom Austin.

      —Et même vous précéder, ajouta Paganel. De quoi s’agit-il, après tout? De franchir une chaîne de montagnes, dont les versants opposés offrent une descente incomparablement plus facile! Cela fait, nous trouverons les baqueanos argentins qui nous guideront à travers les pampas, et des chevaux rapides habitués à galoper dans les plaines. En avant donc, et sans hésiter.

      —En avant! s’écrièrent les compagnons de Glenarvan.

      —Vous ne nous accompagnez pas? demanda celui-ci au catapaz.

      —Je suis conducteur de mules, répondit le muletier.

      —À votre aise.

      —On se passera de lui, dit Paganel; de l’autre côté de cette muraille, nous retrouverons les sentiers d’Antuco, et je me fais fort de vous conduire au bas de la montagne aussi directement que le meilleur guide des cordillères.»

      Glenarvan régla donc avec le catapaz, et le congédia, lui, ses péons et ses mules. Les armes, les instruments et quelques vivres furent répartis entre les sept voyageurs. D’un commun accord, on décida que l’ascension serait immédiatement reprise, et que, s’il le fallait, on voyagerait une partie de la nuit. Sur le talus de gauche serpentait un sentier abrupt que des mules n’auraient pu franchir.

      Les difficultés furent grandes, mais, après deux heures de fatigues et de détours, Glenarvan et ses compagnons se retrouvèrent sur le passage d’Antuco.

      Ils étaient alors dans la partie andine proprement dite, qui n’est pas éloignée de l’arête supérieure des cordillères; mais de sentier frayé, de paso déterminé, il n’y avait plus apparence. Toute cette région venait d’être bouleversée dans les derniers tremblements de terre, et il fallut s’élever de plus en plus sur les croupes de la chaîne. Paganel fut assez décontenancé de ne pas trouver la route libre, et il s’attendit à de rudes fatigues pour gagner le sommet des Andes, car leur hauteur moyenne est comprise entre onze mille et douze mille six cents pieds. Fort heureusement, le temps était calme, le ciel pur, la saison favorable; mais en hiver, de mai à octobre, une pareille ascension eût été impraticable; les froids intenses tuent rapidement les voyageurs, et ceux qu’ils épargnent n’échappent pas, du moins, aux violences des «temporales», sortes d’ouragans particuliers à ces régions, et qui, chaque année, peuplent de cadavres les gouffres de la cordillère.

      On monta pendant toute la nuit; on se hissait à force de poignets sur des plateaux presque inaccessibles; on sautait des crevasses larges et profondes; les bras ajoutés aux bras remplaçaient les cordes, et les épaules servaient d’échelons; ces hommes intrépides ressemblaient à une troupe de clowns livrés à toute la folie des jeux icariens. Ce fut alors que la vigueur de Mulrady et l’adresse de Wilson eurent mille occasions de s’exercer. Ces deux braves écossais se multiplièrent; maintes fois, sans leur dévouement et leur courage, la petite troupe n’aurait pu passer.

      Glenarvan ne perdait pas de vue le jeune Robert, que son âge et sa vivacité portaient aux imprudences. Paganel, lui, s’avançait avec une furie toute française. Quant au major, il ne se remuait qu’autant qu’il le fallait, pas plus, pas moins, et il s’élevait par un mouvement insensible.

      S’apercevait-il qu’il montait depuis plusieurs heures? Cela n’est pas certain. Peut-être s’imaginait-il descendre.

      À cinq heures du matin, les voyageurs avaient atteint une hauteur de sept mille cinq cents pieds, déterminée par une observation barométrique. Ils se trouvaient alors sur les plateaux secondaires, dernière limite de la région arborescente. Là bondissaient quelques animaux qui eussent fait la joie ou la fortune d’un chasseur; ces bêtes agiles le savaient bien, car elles fuyaient, et de loin, l’approche des hommes. C’était le lama, animal précieux des montagnes, qui remplace le mouton, le bœuf et le cheval, et vit là où ne vivrait pas le mulet. C’était le chinchilla, petit rongeur doux et craintif, riche en fourrure, qui tient le milieu entre le lièvre et la gerboise, et auquel ses pattes de derrière donnent l’apparence d’un kangourou. Rien de charmant à voir comme ce léger animal courant sur la cime des arbres à la façon d’un écureuil.

      «Ce n’est pas encore un oiseau, disait Paganel, mais ce n’est déjà plus un quadrupède.»

      Cependant, ces animaux n’étaient pas les derniers habitants de la montagne. À neuf mille pieds, sur la limite des neiges perpétuelles, vivaient encore, et par troupes, des ruminants d’une incomparable beauté, l’alpaga au pelage long et soyeux, puis cette sorte de chèvre sans cornes, élégante et fière, dont la laine est fine, et que les naturalistes ont nommée vigogne. Mais il ne fallait pas songer à l’approcher, et c’est à peine s’il était donné de la voir; elle s’enfuyait, on pourrait dire à tire-d’aile, et glissait sans bruit sur les tapis éblouissants de blancheur.

      À cette heure, l’aspect des régions était entièrement métamorphosé. De grands blocs de glace éclatants, d’une teinte bleuâtre dans certains escarpements, se dressaient de toutes parts et réfléchissaient les premiers rayons du jour. L’ascension devint très périlleuse alors. On ne s’aventurait plus sans sonder attentivement pour reconnaître les crevasses. Wilson avait pris la tête de la file, et du pied il éprouvait le sol des glaciers. Ses compagnons marchaient exactement sur les empreintes de ses pas, et évitaient d’élever la voix, car le moindre bruit agitant les couches d’air pouvait provoquer la chute des masses neigeuses suspendues à sept ou huit cents pieds au-dessus de leur tête.

      Ils


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