Troïlus et Cressida. William Shakespeare

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Troïlus et Cressida - William Shakespeare


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      CRESSIDA.—Des meules de moulin!

      PANDARE.—Et Cassandre riait!

      CRESSIDA.—Mais c'était un feu plus doux qu'on voyait dans le creux de ses yeux: ses yeux ont-ils pleuré aussi?

      PANDARE.—Et Hector riait...

      CRESSIDA.—Et pourquoi tous ces éclats de rire?

      PANDARE.—Eh! à cause du poil blanc qu'Hélène avait découvert sur le menton de Troïlus.

      CRESSIDA.—Si ç'avait été un poil vert, j'en aurais ri aussi.

      PANDARE.—Ils n'ont pas tant ri du poil que de la jolie réponse de Troïlus.

      CRESSIDA.—- Quelle fut sa réponse?

      PANDARE.—Elle lui dit: «Il n'y a que cinquante et un poils sur votre menton, et il y en a un de blanc.»

      CRESSIDA.—C'était là le propos d'Hélène?

      PANDARE.—Oui, n'en doutez pas. «Cinquante et un poils, répond Troïlus, et un blanc? Ce poil blanc est mon père, et tous les autres sont ses enfants.—Jupiter! dit-elle, lequel de ces poils est Pâris, mon époux?—Le fourchu, répliqua-t-il: arrachez-le, et le lui donnez.» Mais on en rit tant, on en rit tant! et Hélène rougit si fort, et Pâris fut si courroucé, et toute l'assemblée poussa tant d'éclats de rire, que cela passe toute idée.

      CRESSIDA.—Allons, laissons cela: car il y a longtemps que cela dure.

      PANDARE.—Eh bien! ma nièce; je vous ai dit quelque chose hier, pensez-y.

      CRESSIDA.—C'est ce que je fais.

      PANDARE.—Je vous jure que c'est la vérité, il vous pleurerait comme s'il était né en avril.

      CRESSIDA.—Et moi je pousserais sous ses larmes comme si j'étais une ortie du mois de mai.

      (On entend résonner la retraite.)

      PANDARE.—Écoutez, les voilà qui reviennent du champ de bataille: nous tiendrons-nous ici, pour les voir passer et défiler vers Ilion? Restons, ma chère nièce, ma bonne nièce Cressida.

      CRESSIDA.—Comme cela vous fera plaisir.

      PANDARE.—Oh! voici, voici une place excellente: nous pouvons d'ici voir à merveille; je vais vous les nommer l'un après l'autre, à mesure qu'ils vont passer. Mais surtout remarquez bien Troïlus.

      (Énée passe le premier sur le théâtre.)

      CRESSIDA.—Ne parlez pas si haut.

      PANDARE.—Voilà Énée. N'est-ce pas un bel homme? C'est une des fleurs de Troie. Je puis vous dire....—Mais remarquez Troïlus: vous allez le voir bientôt.

      (Anténor suit.)

      CRESSIDA.—Quel est celui-là?

      PANDARE.—C'est Anténor: il a l'esprit fin, je puis vous dire, et c'est un homme d'assez de mérite: c'est une des têtes les plus solides qu'il y ait dans Troie; et il est bien fait de sa personne.—Quand donc viendra Troïlus? Je vais tout à l'heure vous montrer Troïlus. S'il m'aperçoit, vous le verrez me faire un signe de tête.

      CRESSIDA.—Vous donnera-t-il un signe de tête.

      PANDARE.—Vous verrez.

      Jeu de mots sur noddy, niais, et nod, signe de tête, etc.

      (Suit Hector.)

      PANDARE.—Voilà Hector; le voilà: c'est lui, lui; regardez, c'est lui. Voilà un homme!—Va ton chemin, Hector.—Voilà un brave homme, ma nièce! O brave Hector! Voyez son regard! Voilà une contenance! N'est-ce pas un brave guerrier?

      CRESSIDA.—Oh! très-brave!

      PANDARE.—N'est-il pas vrai? cela fait du bien au coeur de le voir. Regardez combien d'entailles il y a sur son casque. Voyez là-bas: voyez-vous? Regardez bien! il n'y a pas à plaisanter: ce n'est pas un jeu; ce sont des coups, les ôtera qui voudra, comme on dit: mais ce sont bien là des entailles.

      CRESSIDA.—Sont-ce des coups d'épée?

      (Pâris passe.)

      PANDARE.—D'épée? de quelque arme que ce soit, il ne s'en embarrasse guère. Que le diable l'attaque, cela lui est bien égal. Par la paupière d'un dieu, cela met la joie au coeur, de le voir.—Là-bas, c'est Pâris qui passe.—Regardez là-bas, ma nièce. N'est-ce pas un beau cavalier aussi? N'est-ce pas?... Hé! c'est bon, cela.—Qui donc disait qu'il était rentré blessé dans la ville aujourd'hui? Il n'est pas blessé. Allons, cela fera du bien au coeur d'Hélène. Ah! je voudrais bien voir Troïlus à présent: vous allez voir Troïlus tout à l'heure.

      CRESSIDA.—Quel est celui-là?

      (Hélénus passe.)

      PANDARE.—C'est Hélénus.—Je voudrais bien savoir où est Troïlus:—C'est Hélénus.—Je commence à croire que Troïlus ne sera pas sorti des murs aujourd'hui.—C'est Hélénus.

      CRESSIDA.—Hélénus est-il homme à se battre, mon oncle?

      PANDARE.—Hélénus? Non,—oui, il se bat passablement bien.—Je me demande où est Troïlus.—Ah! écoutez, n'entendez-vous pas le peuple crier? à Troïlus?—Hélénus est un prêtre.

      CRESSIDA.—Quel est ce faquin qui vient là-bas?

      (Troïlus passe.)

      PANDARE.—Où? là-bas? C'est Déiphobe. Oh! c'est Troïlus! Voilà un homme, ma nièce! Hem! le brave Troïlus: le prince des chevaliers!

      CRESSIDA.—Silence; de grâce, silence!

      PANDARE.—Remarquez-le: considérez-le bien.—O brave Troïlus! Regardez-le bien, ma nièce: voyez-vous comme son épée est sanglante, et son casque haché de plus de coups que celui d'Hector! Et son regard, sa démarche! O admirable jeune homme! il n'a pas encore vu ses vingt-trois ans! Va ton chemin, Troïlus, va ton chemin. Si j'avais pour soeur une grâce, ou pour fille une déesse, il pourrait choisir. O l'admirable guerrier! Pâris... Pâris est de la boue au prix de lui; et je gage qu'Hélène, pour changer, donnerait un oeil par-dessus le marché.

      (Suivent une troupe de combattants, soldats, etc.)

      CRESSIDA.—En voici encore.

      PANDARE.—Ânes, imbéciles, benêts, paille et son, paille et son! de la soupe après dîner. Je pourrais vivre et mourir sous les yeux de Troïlus: ne regardez plus, ne regardez plus: les aigles sont passés; buses et corbeaux, buses et corbeaux! J'aimerais mieux être Troïlus qu'Agamemnon et tous ses Grecs.

      CRESSIDA.—Il y a Achille parmi les Grecs. C'est un héros qui vaut mieux que Troïlus.

      PANDARE.—Achille? un charretier, un crocheteur, un vrai chameau.

      CRESSIDA.—Bien, bien.

      PANDARE.—Bien, bien?—Avez-vous quelque discernement? Avez-vous des yeux? Savez-vous ce que c'est qu'un homme? La naissance, la beauté, la bonne façon, le raisonnement, le courage, l'instruction, la douceur, la jeunesse, la libéralité et autres qualités semblables; ne sont-elles pas comme les épices et le sel, qui assaisonnent un homme?


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