Troïlus et Cressida. William Shakespeare
Читать онлайн книгу.qui entrait dans les pâtés.
Note 9: (retour)
Expression empruntée à l'escrime; mais il y a le verbe to lie, qui est employé dans un sens très-étendu ici, comme presque toujours quand Shakspeare a quelque calembour en tête.
CRESSIDA.—Je me tiens sur mon dos pour défendre mon ventre; sur mon esprit pour défendre mes ruses; sur mon secret pour défendre ma vertu; sur mon masque pour défendre ma beauté, et sur vous pour défendre tout cela; je me tiens enfin sur mes gardes, et je ne cesse de veiller.
PANDARE.—Nommez-moi une de vos gardes.
CRESSIDA.—Je m'en garderai bien, et c'est là une de mes principales gardes. Si je ne puis garder ce que je ne voudrais pas laisser toucher, je puis bien me garder de vous dire comment j'ai reçu le coup, à moins que l'enflure ne soit si grande que je ne puisse le cacher, et alors il est impossible de s'en garder.
PANDARE.—Vous êtes de plus en plus étrange.
(Entre le page de Troïlus.)
LE PAGE.—Seigneur, mon maître voudrait vous parler à l'instant même.
PANDARE.—Où?
LE PAGE.—Chez vous. Il est là qui se désarme.
PANDARE.—Bon page, va lui dire que je viens. (Le page sort.)—Je crains qu'il ne soit blessé. Adieu, ma chère nièce.
CRESSIDA.—Adieu, mon oncle.
PANDARE.—Je vais venir vous rejoindre tout à l'heure, ma nièce.
CRESSIDA.—Pour m'apporter, mon oncle...
PANDARE.—Oui, un gage de Troïlus.
CRESSIDA.—Par ce gage!... vous êtes un entremetteur. (Pandare sort). Promesses, serments, présents, larmes, et tous les sacrifices de l'amour, il les offre pour un autre que lui. Mais je vois plus de mérite dans Troïlus, dix mille fois, que dans le miroir des éloges de Pandare: et pourtant je le tiens à distance. Les femmes sont des anges quand on leur fait la cour; sont-elles obtenues, tout finit là. L'âme du plaisir est dans la recherche même. La femme aimée ne sait rien, si elle ne sait pas cela: les hommes prisent l'objet qu'ils ne possèdent pas bien au-dessus de sa valeur: jamais il n'exista de femme qui ait connu tant de douceurs dans l'amour satisfait qu'il y en a dans le désir. J'enseigne donc cette maxime d'amour: la servitude suit la conquête; l'humble prière accompagne la recherche.—Ainsi, quoique mon coeur satisfait lui porte un amour inébranlable, aucun indice ne s'en manifestera dans mes yeux.
(Elle sort.)
SCÈNE III
Le camp grec devant la tente d'Agamemnon. Les trompettes sonnent.
Paraissent AGAMEMNON, NESTOR, ULYSSE MÉNÉLAS et autres chefs.
AGAMEMNON.—Princes, quel chagrin jaunit ainsi vos visages? Dans toutes les entreprises commencées sur la terre, les vastes promesses que fait l'espérance ne sont jamais complétement remplies; les obstacles et les revers naissent du sein même des actions les plus élevées: comme les noeuds formés par la rencontre de la séve déforment le pin robuste, et détournent du cours naturel de sa croissance sa veine errante et tortueuse. Il n'est pas nouveau, à nos yeux, princes, de nous être si fort trompés dans nos conjectures, qu'après sept années de siége, les murs de Troie sont encore debout. Dans toutes les entreprises qui nous ont devancé, dont nous avons la tradition, l'exécution a toujours rencontré des obstacles et des traverses, et n'a point répondu au but qu'on se proposait, ni à cette vague figure imaginaire à laquelle la pensée avait donné une forme imaginaire. Pourquoi donc, princes, contemplez-vous notre ouvrage d'un front si consterné? Pourquoi voyez-vous autant d'affronts dans ce qui n'est en effet qu'une épreuve prolongée par le grand Jupiter, pour trouver la constante persévérance chez les hommes? Ce n'est point dans les faveurs de la fortune que la trempe de cette vertu se reconnaît; car alors le lâche et le brave, le sage et l'insensé, le savant et l'ignorant, l'homme dur et l'homme sensible, paraissent tous se ressembler et être de la même famille. C'est dans les vents d'orage qu'excite son courroux que la Gloire, armée d'un large van, sépare et rejette toute la balle; mais ce qui a de la consistance et du corps reste seul riche en vertu et sans mélange.
NESTOR.—Avec le respect qui est dû à votre place suprême, illustre Agamemnon, Nestor fera l'application de vos dernières paroles. Les vicissitudes de la fortune sont la véritable épreuve des hommes. Lorsque la mer est calme, combien de légers esquifs osent se hasarder sur son sein patient, et faire route à côté des vaisseaux de haut bord10. Mais que l'impétueux Borée vienne à courroucer la paisible Thétis, voyez alors les vaisseaux aux robustes flancs fendre les montagnes liquides, et, comme le coursier de Persée11, bondir entre les deux humides éléments. Où est alors la présomptueuse nacelle dont la faible structure osait, il n'y a qu'un moment, rivaliser avec la grandeur? Elle a fui dans le port, ou bien elle est déjà engloutie par Neptune. De même, c'est dans les orages de l'adversité que la valeur apparente et la valeur réelle se distinguent. Sous l'éclat brillant de ses rayons, le troupeau est plus tourmenté par le taon que par le tigre; mais, lorsque le vent destructeur fait ployer le genou au chêne noueux et que l'insecte se met à l'abri, l'animal courageux12, excité par la fureur de la tempête, s'irrite avec elle, et répond sur le même ton à la fortune ennemie.
Note 10: (retour)
Stace a la même comparaison.
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