L'abîme. Уилки Коллинз

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L'abîme - Уилки Коллинз


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Il était vêtu d'un vêtement froncé et d'un tablier à bavette qui ressemblait à la fois à un paillasson et à la peau d'un rhinocéros.

      —.... Quant à la même nourriture et au même logement, Monsieur Wilding, mon jeune maître...—dit-il, en entrant, d'un ton bourru.

      —Quoi! Joey....

      —Eh bien! s'il faut parler pour moi, Monsieur Wilding... et jamais je n'ai parlé ni ne parlerai pour d'autres que pour moi,... je n'ai aucun besoin, ni d'être nourri, ni d'être logé. Si cependant vous désirez me loger et me nourrir, soit... je puis manger comme tout le monde et je me soucie moins de l'endroit où je mangerai que de ce qu'on me fera manger, ne vous en déplaise. Est-ce que tous vos employés vont aussi vivre chez vous, mon jeune maître? Les deux autres garçons de cave, les trois porteurs, les deux apprentis, les hommes de journée... tout le monde?

      —Oui, Joey... et j'espère que nous formerons une famille unie.

      —Bon,—dit Joey,—je l'espère pour eux.

      —Pour eux?... Dites aussi pour nous.

      Joey Laddle secoua la tête.

      —Ne comptez pas trop sur moi pour cela, Monsieur Wilding, mon jeune maître. Ce n'est pas à mon âge, et après les circonstances qui ont formé mon caractère, qu'on se prend tout d'un coup à aimer la société. Lorsque Pebblesson Neveu me disaient: «Joey, tâche donc de prendre une figure plus enjouée,» je leur ai souvent répondu: «C'est bon à vous qui êtes accoutumés à boire le vin, d'avoir un visage gai. Moi je ne fais que le respirer par les pores de ma peau. Pris de cette façon, il agit différemment. Autre chose, messieurs, de remplir vos verres dans une bonne salle à manger, bien chaude, en poussant un Hip hurrah! vigoureux et en portant des toasts aux convives; autre chose de s'en remplir soi-même par les pores et par les poumons, au fond d'une cave basse et noire et dans une atmosphère moisie.» Je disais cela à Pebblesson Neveu. Ah! Monsieur Wilding, mon jeune maître, j'ai été garçon de cave toute ma vie, j'ai appliqué toute mon intelligence au travail, et me voilà aussi abruti qu'un homme peut l'être. Allez! vous ne trouverez pas plus abruti que moi. Vous ne trouverez pas non plus mon égal en humeur noire. Chantez, videz gaiement vos verres. On dit que chaque goutte que vous répandez sur vous efface une ride... je ne dis pas non. Mais essayez de humer le vin par vos pores quand vous n'en avez pas besoin. Et vous verrez.

      —Je suis désolé de ce que vous me dites, Joey,—répondit Wilding.—Et moi qui avais espéré que vous réuniriez une classe de chant dans cette maison.

      —Moi, monsieur!... Monsieur Wilding, mon jeune maître, vous ne prendrez pas Joey Laddle à s'occuper d'harmonie! Une machine à avaler, monsieur, c'est tout ce que je puis être en dehors de mes caves! L'estomac n'est pas mauvais. Cependant, je vous remercie, puisque vous pensez que je vaux la peine que vous voulez prendre en me faisant vivre chez vous.

      —Je le veux, Joey.

      —N'en parlons plus, monsieur. C'est dit.... Mais, monsieur, n'êtes-vous pas sur le point de prendre le jeune George Vendale comme associé dans cette maison?

      —Oui.

      —Un changement de plus. Au moins ne changez pas encore la raison sociale. Ne faites pas cela. Vous l'avez déjà fait une fois. Et je vous le demande, n'aurait-il pas mieux valu conserver «Pebblesson et Co.», qui avaient toujours eu de la chance? On ne doit point risquer de changer la chance quand elle est bonne.

      —Je ne modifierai point la raison sociale, Joey.

      —Je suis content de l'apprendre, Monsieur Wilding, et je vous souhaite le bonjour. Mais vous auriez certainement mieux fait de conserver «Pebblesson et Co.» Vous auriez mieux fait.

       Table des matières

      Le lendemain, Walter Wilding était assis dans la salle à manger, prêt à recevoir les postulantes à ces hautes fonctions de femme de charge qu'il allait créer dans sa maison. Cette salle était une pièce entièrement boisée, parquetée de chêne, avec un tapis de Smyrne fort usé, le meuble était en acajou noir, un vieux serviteur de meuble qui avait connu plus d'une fois le baiser réparateur du vernis sous Pebblesson. Le grand buffet avait vu bien des dîners d'affaires que Pebblesson Neveu ne marchandait pas à sa clientèle, ayant pour principe qu'un bon commerçant ne doit jamais hésiter à donner libéralement un œuf pour recevoir un bœuf. Trois grands réchauds dormaient sur la grande cheminée qu'ils couvraient presque tout entière en compagnie d'une cave à vins qui affectait la forme d'un sarcophage, et qui avait, en effet, dans son temps, enseveli bien des liqueurs. Mais le vieux célibataire rubicond, en grande perruque à marteau, dont le portrait était accroché à la muraille, au-dessus de ce majestueux buffet; et qu'on pouvait reconnaître pour Pebblesson (pas le neveu) ne s'était-il pas avisé, lui aussi, d'aller habiter un sarcophage? Depuis lors ces réchauds étaient demeurés froids, aussi froids que le vieux négociant lui-même.

      Tout, d'ailleurs, dans ce vieux logis, avait un air de vétusté glacée. Les griffons noir et or qui supportaient les candélabres, tenant des boules noires et des chaînes d'or dans leurs gueules, montraient une mine piteuse qui semblait demander grâce pour une attitude si gênante et qu'ils gardaient depuis si longtemps. On voyait bien qu'à leur âge ils ne se sentaient plus le cœur de jouer à la balle. Ils secouaient leurs chaînes comme pour protester qu'ils avaient bien acquis le droit d'être libres. Et, cependant, ils demeuraient enchaînés à la même place, devant les mêmes objets qu'ils regardaient avec tant d'ennui, depuis tant d'années, et rien ne changeait dans l'antique maison, rien que les maîtres!

      Justement cette matinée d'été vit un événement aussi surprenant que la découverte d'un nouveau monde par le vieux Colomb. Le ciel, à force de regarder d'en haut, découvrit le Carrefour des Écloppés. La lumière et la chaleur y pénétrèrent. Un rayon s'en vint jouer sur un portrait de femme suspendu au-dessus de la cheminée et qui composait, avec le portrait de Pebblesson l'oncle, la seule décoration de la salle à manger de Wilding.

      Wilding contemplait cette peinture.

      —Ma mère à vingt-cinq ans,—se disait-il.

      Et ses yeux suivaient avec ravissement ce rayon béni.... Il pensait qu'il avait accroché là cette toile afin que les visiteurs pussent admirer sa mère dans tout l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté. Quant à un autre portrait qui avait été fait de la morte, alors qu'elle avait cinquante ans, il l'avait mis dans sa chambre à coucher comme un souvenir avec lequel il voulait toujours vivre....

      —Quoi! c'est vous, Jarvis,—dit-il.

      Ces mots s'adressaient à un de ses commis qui venait de passer la tête par la porte entre-baillée.

      —Oui,—répliqua Jarvis,—je voulais seulement vous dire, monsieur, qu'il va être dix heures et que plusieurs femmes attendent dans le bureau.

      —Mon Dieu!—s'écria Wilding, qui rougit et qui pâlit en même temps,—sont-elles vraiment plusieurs?... J'aurais mieux fait de les faire introduire quand il n'y en avait qu'une ou deux. Je les recevrai donc, chacune à son tour, Jarvis, dans l'ordre de leur arrivée.

      Ce disant, il se retrancha derrière la table, s'enfonça bien dans son fauteuil, et mit devant lui un grand encrier, puis il donna l'ordre d'introduire les postulantes.

      Il lui arriva ce qui doit arriver en semblable circonstance à tout célibataire connu pour être à son aise. Wilding vit défiler devant lui l'espèce ordinaire des femmes répugnantes et l'ordinaire espèce des femmes trop sympathiques. La première qui se présenta fut la veuve d'un boucanier déterminée à s'emparer de lui quand même; elle étreignait son parapluie sous son bras comme si elle se fût imaginée que ce parapluie était Walter Wilding lui-même et qu'elle le tenait déjà dans ses serres. Vinrent ensuite plusieurs de ces vieilles filles qui «ont vu de meilleurs jours» et qui arrivent armées


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