L'abîme. Уилки Коллинз

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L'abîme - Уилки Коллинз


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règle sur ses mœurs et ses habitudes; de languissantes malades pour qui la question des gages n'était que secondaire et qui recherchaient surtout le confort d'un hospice particulier; de sensibles créatures qui éclataient en pleurs dès que Wilding leur adressait une question et auxquelles il dut faire boire plusieurs verres d'eau sucrée pour les apaiser, etc.

      Le courage de Wilding allait lui manquer quand une nouvelle venue se présenta.

      C'était une femme de cinquante ans environ, bien qu'à certains moments elle parût plus jeune, par exemple quand elle souriait. Sa figure avait une remarquable expression de gaieté placide, qui semblait indiquer une égalité de caractère toujours bien rare. On n'aurait pu désirer une attitude meilleure ni mieux soutenue; et il n'était pas jusqu'au son de sa voix qui ne fût en parfaite harmonie avec la réserve de ses manières. Wilding acheva d'être séduit, lorsqu'à la question suivante qu'il lui fit avec douceur:—Quel nom inscrirai-je, madame?

      Elle répondit:—Je me nomme Sarah Goldstraw. Mon mari est mort depuis de longues années. Je n'ai pas d'enfants.

      Cette voix frappa si agréablement l'oreille de Wilding, tandis qu'il prenait ses notes, qu'il ne se hâta point de les prendre et qu'il pria Madame Goldstraw de lui répéter son nom. Lorsqu'il releva la tête, le regard de l'étrangère venait de se promener autour de la chambre et retournait vers lui.

      —Vous m'excuserez de vous adresser encore quelques questions?—fit Wilding.

      —Certainement, monsieur, si je ne voulais pas être interrogée, je n'aurais rien à faire ici.

      —Avez-vous déjà rempli les fonctions de femme de charge?

      —Une fois seulement. J'ai servi une dame qui était veuve. Je l'ai servie pendant douze ans. C'était une pauvre malade qui est morte récemment, et c'est pourquoi vous me voyez en deuil.

      —Je suis persuadé que cette dame a dû vous laisser les meilleures lettres de crédit?—reprit Wilding.

      —Je crois qu'il m'est bien permis de dire que ce sont les meilleures qu'on puisse avoir,—répliqua-t-elle,—J'ai pensé que je vous épargnerais du temps et de la peine en prenant par écrit le nom et l'adresse des correspondants de cette dame, et je vous les ai apportés, monsieur.

      Elle déposa une carte sur la table.

      —Madame Goldstraw,—dit Wilding en prenant la carte,—vous me rappelez étrangement.... Vous me rappelez des manières et un son de voix auxquels j'ai été accoutumé jadis.... Oh! j'en suis sûr, bien que je ne puisse déterminer en ce moment ce qui se passe dans mon esprit.... Mais votre air et votre attitude sont ceux d'une personne.... Je devrais ajouter que cette personne était bonne et charmante.

      Madame Goldstraw sourit.

      —Eh bien! monsieur,—dit-elle,—j'en suis ravie.

      —Oui,—reprit Wilding, répétant tout pensif ce qu'il venait de dire,—oui, charmante et bonne.

      En même temps il jetait un regard à la dérobée sur sa future femme de charge.

      —Mais sa grâce et sa bonté, c'est tout ce que je me rappelle. La mémoire est fugitive, et le souvenir est quelquefois comme un rêve à demi effacé. Je ne sais ce que vous pensez à ce sujet, Madame Goldstraw, mais c'est mon sentiment à moi.

      Il est probable que c'était aussi le sentiment de Madame Goldstraw, car elle répondit par un signe d'assentiment. Wilding lui offrit de la mettre lui-même en communication immédiate avec le gentleman dont elle lui avait remis la carte; c'était un homme d'affaires qui habitait Doctor's Commons. Madame Goldstraw lui en témoigna sa reconnaissance, et comme Doctor's Commons n'était pas fort éloigné, Wilding la pria de repasser au bout de trois heures.

      Les renseignements furent excellents. Wilding gagea donc Madame Goldstraw cette même après-midi. Elle devait entrer le lendemain et s'installer en qualité de femme de charge au Carrefour des Écloppés.

       Table des matières

      Madame Goldstraw s'installa sans bruit dans la chambre qui lui avait été assignée; elle n'était point femme à déranger les domestiques, et, sans perdre de temps, elle se fit annoncer chez son nouveau maître pour lui demander ses instructions. Wilding la reçut dans la salle à manger, comme la veille. Ce fut là qu'après avoir échangé les civilités d'usage, ils s'assirent tous les deux pour tenir conseil sur les affaires de la maison.

      —En ce qui concerne les repas, monsieur,—dit Madame Goldstraw,—aurai-je à m'en occuper pour un grand nombre de personnes ou pour vous seulement?

      —Si je puis mettre à exécution un vieux projet que j'ai mûri,—répliqua Wilding,—vous aurez beaucoup de monde à table. Je suis garçon, Madame Goldstraw, et je désire vivre avec toutes les personnes que j'emploie comme si elles étaient de ma famille. Jusqu'à ce que ce projet s'accomplisse, vous n'aurez à songer qu'à moi et à mon nouvel associé; je ne puis vous renseigner sur ce point quant à ce qui le concerne; mais, pour moi, je puis bien me donner à vous comme un homme d'habitudes régulières et d'un appétit invariable....

      —Et les déjeuners?—interrompit Madame Goldstraw,—y a-t-il quelque chose de particulier, monsieur, pour vos déjeuners?

      Elle s'interrompit elle-même et laissa sa phrase inachevée. Ses yeux se détournaient de son maître et se dirigeaient vers la cheminée et vers ce portrait de femme.... Si Wilding n'eût pas tenu désormais pour certain que Madame Goldstraw était une personne expérimentée et sérieuse, il eût pu croire que ses pensées s'égaraient un peu depuis le commencement de cet entretien.

      —Je déjeune à huit heures,—dit-il;—j'ai une vertu et un vice: jamais je ne me fatigue de lard grillé et je suis extrêmement difficile quant à la fraîcheur des œufs.

      Le regard de Madame Goldstraw se reporta enfin vers lui, mais à défaut de son regard, l'esprit de la femme de charge était encore partagé entre son maître et le portrait....

      —Je prends du thé,—continua Wilding,—et peut-être suis-je un peu nerveux et enclin à l'impatience lorsque je le prends trop longtemps après qu'il a été fait.... Si mon thé....

      Ce fut à son tour de s'arrêter tout net et de ne point achever sa phrase. S'il n'avait pas été engagé dans la discussion d'un sujet aussi intéressant que celui-là, Madame Goldstraw, en vérité, aurait pu croire que ses pensées, à lui aussi, commençaient à s'égarer.

      —Si votre thé attend, monsieur...,—reprit-elle, renouant poliment le fil perdu de ce bizarre entretien.

      —Si mon thé?...—répéta machinalement Wilding; il s'éloignait de plus en plus de son déjeuner; ses yeux se fixaient avec une curiosité croissante sur le visage de sa femme de charge.—Si mon thé!... Mon Dieu, Madame Goldstraw, quels sont donc ces allures et ce son de voix que j'ai connus et que vous me rappelez? Ce souvenir me frappe aujourd'hui plus fortement encore que la première fois que je vous ai vue. Quel peut-il être?

      —Quel peut-il être?...—répéta Madame Goldstraw.

      Ces derniers mots, elle les avait dits de l'air d'une personne qui songeait à tout autre chose. Wilding, qui ne cessait point de l'examiner, remarqua que ses yeux erraient sans cesse du côté de la cheminée. Il les vit se fixer sur le portrait de sa mère. En même temps les sourcils de Madame Goldstraw se contractèrent légèrement comme si elle faisait à cet instant un effort de mémoire dont elle avait à peine conscience.

      —Feu ma pauvre chère mère,—lui dit-il,—quand elle avait vingt-cinq ans.

      Madame Goldstraw le remercia d'un geste, pour la peine qu'il venait de prendre en lui nommant l'original de cette peinture. Son visage aussitôt se rasséréna. Elle ajouta poliment que ce portrait


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