Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne. Hugo Grotius
Читать онлайн книгу.nous-mêmes. J'entens une espéce d'orgueil rafiné & spirituel, qui rend l'esprit indocile & intraitable, arrêté dans ses vûes, plein d'amour pour ses découvertes, mais sur tout, incapable d'admettre ce qu'il ne comprend pas jusqu'à la derniére precision. Il n'y a presque rien, dans la Nature qui ne mette cette sorte d'orgueil à la gêne, & qui ne donne aux Esprits les plus roides & les plus indomtables, des leçons d'humilité. Mais malheureusement cette docilité forcée où les réduit l'obscurité des Véritez naturelles, ne les dispose guére à quelque humiliation à l'égard des Véritez révélées. On les voit malgré cela aporter à leur lecture tout le faste & toute la présomption, que pourroit leur donner la connoissance des secrets les plus impénétrables de la Nature. Par là nos Véritez deviennent leur grande pierre d'achopement. Car enfin ce ne sont pas proprement les Miracles, ni la beauté de la Morale, considérée spéculativement, qui les rebutent & qui les choquent. Ils ne sont pour la plûpart, ni si ignorans que de ne pas savoir que la Puissance qui a formé l'Univers, & qui en a établi les Loix, est assez forte & assez libre pour les pouvoir violer, ni si corrompus que de ne pas sentir la perfection & la pureté de nos Régles sacrées. On peut croire que jusques-là ils prendroient patience. Mais dès que la Révélation prend pié là-dessus pour captiver leur Raison à des choses qui la surpassent, ils reculent & aiment mieux se défier de ce qu'ils avoient pu recevoir, que de se charger l'esprit de choses embarrassantes, obscures, & dont on leur déclare qu'ils ne doivent pas espérer une parfaite intelligence. Alors sans doute retournant sur leurs pas, ils cherchent après coup des raisons de douter de la solidité des preuves, dont ils n'avoient pas été choquez, tant qu'elles laissoient à leur esprit toute sa liberté & toute son élévation.
Ne pourrions-nous pas remarquer ici, sans trop nous écarter, que c'est-là aussi l'esprit régnant de celle d'entre toutes les Sectes du Christianisme, qui mérite le moins de porter ce nom? Un homme de qualité assez connu par ses Emplois disoit librement, que s'il avoit à embrasser le Christianisme (admirable expression pour un homme né Chrétien) il se rangeroit de ce parti. On a sans doute beaucoup d'obligation à ceux de cette Secte de la peine qu'ils se sont donnée pour aplanir la Religion Chrétienne, & pour en faire une Religion toute unie, toute naturelle, & accessible à toute sorte d'esprits. Après cela n'ont-ils pas de quoi nous insulter sur ces obstacles insurmontables, que nos Dogmes, pleins de mystéres & d'obscurité, mettent à la conversion des Incrédules? Mais plûtôt, ne pouvons-nous pas leur dire ici, que leur conduite si semblable à celle de ces nouveaux Apôtres, qui dérobent à la vue des Idolâtres l'Image choquante de Jésus-Christ crucifié, pour ne leur présenter que celle de Jésus-Christ glorieux, ne ressemble guère à cette généreuse liberté de S. Paul; qui pour établir la Sagesse. Chrétienne, ne l'accommode pas à la Sagesse du siécle, mais détruit de plein pié celle-ci par la première.
Je pose pour féconde raison de l'obstination des Philosophes Déistes ou Athées, & de leur peu de sensibilité tant pour la Religion que pour ses preuves, un certain esprit nourri d'abstractions & de spéculations; qui n'en trouvant d'un côté dans la Théologie Scholastique que de sèches & de dégoûtantes, & n'en trouvant point du tout dans la Religion prise dans sa véritable nature, tiennent cette espéce de Véritez pratiques extrêmement au dessous d'eux, & tâchent de se dédommager dans les idées de la Métaphysique, de la perte volontaire qu'ils font de celles de la Religion. Ils s'y font d'autant plus aisément, qu'ils ne prennent pas le change à tous égards, qu'ils rencontrent vérité pour vérité, qu'ils y gagnent même en un sens; puis que pour des connoissances qui les confondroient presque avec le reste des hommes, ils en trouvent d'autres qui leur donnent un beau rang dans le monde savant, & dont l'aquisition les remplit de cette joye, qui accompagne toûjours la Vérité lors qu'elle paroît après s'être fait quelque tems chercher. Après tout, comment ne se borneroient-ils pas là, & ne se contenteroient-ils pas de ces choses si propres à les flater? Comment au milieu des heureux éforts de leur esprit, & des aclamations de tous les Savans, sentiroient-ils le besoin que l'Homme a de la Religion; puis qu'entre ceux-mêmes qui font une profession sincére de la Religion Chrétienne, il s'en trouve, qui lors qu'ils ont aquis, dans l'étude de ses Véritez, quelques lumiéres un peu distinguées, ont tant de peine à en tirer de nouveaux motifs de sainteté, & s'en tiennent si aisément à ces secrets aplaudissemens qui sont tous sur le compte de l'Homme, & où Dieu n'a point de part. Tant il est vrai que les choses les plus excellentes, & les plus propres à nous rendre heureux, perdent toute leur éficace, dès qu'une fois l'esprit s'en est emparé au préjudice du coeur.
Je reviens à ce que j'ai posé d'abord: c'est que la Religion n'ayant aucuns charmes pour des Esprits acoutumez à une autre sorte de nourriture, ils se laissent aller peu à peu à la mépriser. S'il arrive donc qu'une nouvelle lumière vienne fraper leurs yeux à l'avantage de la Religion, ils aiment mieux y répandre des ténèbres, que de s'y laisser conduire; puis qu'aussi bien elle ne les conduiroit qu'à des choses désolantes pour eux, en les obligeant à perdre la haute idée qu'ils avoient de leur Science, & en leur faisant voir dans quel abîme ils se sont précipitez, si la Religion est véritable, & quelle est l'horreur des mépris outrageans qu'ils ont eu jusques-là pour elle.
Mais, dira-t'on toûjours, d'où leur vient cette régularité de vie & cette belle Morale qu'ils savent si bien débiter & dont on aperçoit quelques traits dans leur conduite: & pourquoi ne les dispose-t-elle pas à embrasser la Religion, dont le grand but est de corriger l'Homme & de lui inspirer la vertu?
Je répons premièrement, que cette Morale, toute brillante qu'elle est, n'est par raport à la véritable Morale, que ce que les premières lueurs de l'Aurore sont à l'égard de l'éclat du Soleil en plein midi: elle est si aisée & si douce, cette Morale, que les Idolâtres mêmes, pour qui ceux dont nous parlons doivent avoir un souverain mépris, l'ont poussée tout aussi loin qu'eux. Aimer Dieu de tout son coeur, se sentir porter pour ses intérêts & pour ceux du Prochain par une véritable sensibilité; s'humilier du fond de l'ame, même auprès des hommes; avoir pour soi un mépris sincére: voilà les grands Préceptes du Christianisme. Et c'est ce qui ne se trouvera jamais, ni dans les Athées, puis qu'ils s'en moquent, ni dans les Déïstes, puis qu'ils se contentent de certaines Régles commodes, qui laissent l'amour propre dans son entier.
Je dis en second lieu, que quand même ce qu'ils ont de bon pourroit les disposer à recevoir la Religion, ce qui leur manque à cet égard est encore plus capable de les en éloigner. Qui sait si par de certains retours ordinaires à l'Homme, qui n'est jamais dans un parfait repos sur ses principes, mais ordinaires sur tout à ceux en qui la conscience n'est pas entièrement morte, ils n'entrent pas quelquefois en défiance de leurs sentimens & de leur témérité? Qui sait si alors ils ne repassent pas avec exactitude ces Véritez; qu'ils avoient rejettées, & leurs preuves qu'ils n'avoient pû goûter? Qui sait si dans cette revue ils ne pourroient pas bien passer à la Religion ses obscuritez, ses Mystéres, ses Miracles, la beauté même & l'austérité de sa Morale, considerée en général comme preuve, si elle n'exigeoit pas d'eux des devoirs contre lesquels ils se sont fortifiez le coeur par un long endurcissement, & dont ils se sont rendu la pratique comme impossible? Qui sait enfin, si alors désespérant de pouvoir y fléchir leur coeur, & apaiser par de véritables regrets la Divinité outragée, ce désespoir ne les replonge pas plus avant que jamais, dans leurs premiers égaremens?
Toutes ces considérations ne seront peut-être pas inutiles, pour diminuer le scandale que pourroit donner aux véritables Chrétiens l'opiniâtreté de tant d'Esprits éclairez, qui marquent si peu de soumission & si peu d'amour pour une Religion, que mille preuves convainquantes devroient leur faire recevoir.
Avant que de finir, je dois me justifier sur deux Points. 1. Sur ce que ce Livre aiant déjà paru en François, il semble que je me sois donné une peine assez inutile. 2. Sur la conduite un peu libre que j'ai tenue dans cette Traduction.
A l'égard du 1. j'avouerai franchement que j'avois déjà commencé ma Traduction, avant que de savoir qu'il y en eût une. Je l'apris quelque tems après; & j'apris aussi que cette Traduction étoit assez bonne, quoi qu'elle n'aprochât pas de celles des Giri & des Ablancourt. Sur cela je fis réflexion que peut-être le Traducteur s'étoit un peu asservi