Pierre Nozière. Anatole France

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Pierre Nozière - Anatole France


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Mais Mlle Marie a serre dans son petit poing la tige fleurie et ses joues ont rougi et son front s'est gonfle comme si elle allait pleurer. Et la nourrice n'a pas voulu causer des larmes. Elle a dit: "Je vous defends de porter cette fleur a votre bouche. Si vous desobeissez, mademoiselle, votre petit chien Toto vous mangera les oreilles."

      Ayant ainsi parle, elle s'eloigne. La jeune penitente, immobile sous son dais eclatant, regarde autour d'elle, et voit le ciel et la terre. C'est grand, le ciel et la terre, et cela peut amuser quelque temps une petite fille. Mais sa fleur d'hortensia l'occupe plus que tout le reste. C'est une belle fleur et c'est une fleur defendue. Voila deux raisons pour s'y plaire. Mlle Marie songe: "Une fleur, cela doit sentir bon!" Et elle approche de son nez la boule fleurie. Elle essaie de sentir, mais elle ne sent rien. Elle n'est pas bien habile a respirer les parfums: il y a peu de temps encore, elle soufflait sur les roses au lieu de les respirer. Il ne faut pas se moquer d'elle pour cela: on ne peut tout apprendre a la fois. On apprend d'abord a boire du lait. On n'apprend que plus tard a respirer des fleurs: c'est moins utile. D'ailleurs, aurait-elle, comme sa maman, l'odorat subtil, elle ne sentirait rien. La fleur d'hortensia n'a pas d'odeur. C'est pourquoi elle lasse malgre sa beaute. Mais Mlle Marie est ingenieuse. Elle se prend a songer: "Cette fleur, elle est peut-etre en sucre." Alors elle ouvre la bouche toute grande et va porter la fleur a ses levres … Un cri retentit: Ouap!

      C'est le petit chien Toto qui, s'elancant pardessus une bordure de geraniums, vient se poser, les oreilles toutes droites, devant Mlle Marie, et darde sur elle le regard de ses yeux vifs et ronds. La nourrice, qui veille cachee derriere les arbres, l'a envoye. Et Mlle Marie reste stupefaite.

      A TRAVERS CHAMPS

      Apres le dejeuner, Catherine s'en est alle dans les pres avec Jean, son petit frere. Quand ils sont partis, le jour semblait jeune et frais comme eux.

      Le ciel n'etait pas tout a fait bleu; il etait plutot gris, mais d'un gris plus doux que tous les bleus du monde. Justement les yeux de Catherine sont de ce gris-la et semblent faits d'un peu de ciel matinal.

      Catherine et Jean s'en vont tout seuls par les pres. Leur mere est fermiere et travaille dans la ferme. Ils n'ont point de servante pour les conduire, et ils n'en ont point besoin. Ils savent leur chemin; ils connaissent les bois, les champs et les collines. Catherine sait voir l'heure du jour en regardant le soleil, et elle a devine toutes sortes de beaux secrets naturels que les enfants des villes ne soupconnent pas. Le petit Jean lui-meme comprend beaucoup de choses des bois, des etangs et des montagnes, car sa petite ame est une ame rustique.

      Catherine et Jean s'en vont par les pres fleuris. Catherine, en cheminant, fait un bouquet. Elle aime les fleurs. Elle les aime parce qu'elles sont belles, et c'est une raison, cela! Les belles choses sont aimables; elles ornent la vie. Quelque chose de beau vaut quelque chose de bien, et c'est une bonne action que de faire un beau bouquet.

      Catherine cueille des bleuets, des coquelicots, des coucous et des boutons d'or, qu'on appelle aussi cocottes. Elle cueille encore de ces jolies fleurs violettes qui croissent au bord des bles et qu'on nomme des miroirs de Venus. Elle cueille les sombres epis de l'herbe a lait et des cretes de coq, qui sont des cretes jaunes, et des becs de grue roses et le lys des vallees, dont les blanches clochettes, agitees au moindre souffle, repandent une odeur delicieuse. Catherine aime les fleurs parce que les fleurs sont belles; elle les aime aussi parce qu'elles sont des parures. Elle est une petite fille toute simple, dont les beaux cheveux sont caches sous un beguin brun; son tablier de cotonnade recouvre une robe unie; elle va en sabots. Elle n'a vu de riches toilettes qu'a la Vierge Marie et a la sainte Catherine de son eglise paroissiale. Mais il y a des choses que les petites filles savent en naissant. Catherine sait que les fleurs sont des parures seantes, et que les belles dames qui mettent des bouquets a leur corsage en paraissent plus jolies. Aussi songe-t-elle qu'elle doit etre bien brave en ce moment, puisqu'elle porte un bouquet plus gros que sa tete. Elle est contente d'etre brave et ses idees sont brillantes et parfumees comme ses fleurs. Ce sont des idees qui ne s'expriment point par la parole: la parole n'a rien d'assez joli pour exprimer les idees de bonheur d'une petite fille. Il y faut des airs de chanson, les airs les plus vifs et les plus doux, les chansons les plus gentilles, comme Girofle-Girofla ou Les Compagnons de la Marjolaine. Aussi Catherine chante, en cueillant son bouquet: "J'irai au bois seulette", et elle chante aussi: "Mon coeur je lui donnerai, mon coeur je lui donnerai."

      Le petit Jean est d'un autre caractere. Il suit d'autres pensees. C'est un franc luron; il ne porte point encore la culotte, mais son esprit a devance son age, et il n'y a point d'esprit plus gaillard que celui-la. Tandis qu'il s'attache d'une main au tablier de sa soeur, de peur de tomber, il agite son fouet de l'autre main avec la vigueur d'un robuste garcon. C'est a peine si le premier valet de son pere fait mieux claquer le sien quand, en ramenant les chevaux de la riviere, il rencontre sa fiancee. Le petit Jean ne s'endort pas dans une molle reverie. Il ne se soucie pas des fleurs des champs. Il songe, pour ses jeux, a de rudes travaux. Il reve charrois embourbes et percherons tirant du collier a sa voix et sous ses coups. Il est plein de force et d'orgueil. C'est ainsi qu'il va par les pres, a petits pas, butant aux cailloux et se retenant au tablier de sa grande soeur.

      Catherine et Jean sont montes au-dessus des prairies, le long du coteau, jusqu'a un endroit eleve d'ou l'on decouvre tous les feux du village epars dans la feuillee, et a l'horizon les clochers de six paroisses. C'est la qu'on voit que la terre est grande. Catherine y comprend mieux qu'ailleurs les histoires qu'on lui a apprises, la colombe de l'arche, les Israelites de la Terre promise et Jesus allant de ville en ville.

      "Asseyons-nous la", dit-elle.

      Elle s'assied. En ouvrant les mains, elle repand sur elle sa moisson fleurie. Elle en est toute parfumee, et deja les papillons voltigent autour d'elle. Elle choisit, elle assemble les fleurs; elle marie les tons pour le plaisir de ses yeux. Plus les couleurs sont vives, plus elle les trouve agreables. Elle a des yeux tout neufs que le rouge vif ne blesse point. C'est pour les regards uses des citadins que les peintres des villes eteignent les tons avec prudence. Les yeux de Catherine sont de bons petits yeux qui aiment les coquelicots. Les coquelicots, voila ce que Catherine prefere. Mais leur pourpre fragile s'est deja fanee et la brise legere effeuille dans les mains de l'enfant leur corolle etincelante. Elle regarde, emerveillee, toutes ces tiges en fleur, et elle voit toutes sortes de petits insectes courir sur les feuilles et sur les fleurs. Ces plantes qu'elle a cueillies servaient d'habitation a des mouches et a de petits scarabees qui, voyant leur demeure en peril, s'inquietent et s'agitent. Catherine ne se soucie pas des insectes. Elle trouve que ce sont de trop petites betes et elle n'a d'eux aucune pitie. Pourtant on peut etre en meme temps tres petit et tres malheureux. Mais c'est la une philosophique et, pour le malheur des scarabees, la philosophie n'entre point dans la tete de Catherine.

      Elle se fait des guirlandes et des couronnes et se suspend des clochettes aux oreilles; elle est maintenant ornee comme l'image rustique d'une vierge veneree des bergers. Son petit frere Jean, occupe pendant ce temps a conduire des chevaux imaginaires, l'apercoit ainsi paree. Aussitot il est saisi d'admiration. Un sentiment religieux penetre toute sa petite ame. Il s'arrete, le fouet lui tombe des mains. Il comprend qu'elle est belle. Il voudrait etre beau aussi et tout charge de fleurs. Il essaye en vain d'exprimer ce desir dans son langage obscur et doux. Mais elle l'a devine. La petite Catherine est une grande soeur; une grande soeur est une petite mere; elle previent, elle devine.

      "Oui, cheri, s'ecrie Catherine; je vais te faire une belle couronne et tu seras pareil a un petit roi."

      Et la voila qui tresse les fleurs bleues, les fleurs jaunes et les fleurs rouges pour en faire un chapeau. Elle pose ce chapeau de fleurs sur la tete du petit Jean, qui en rougit de joie. Elle l'embrasse, elle le souleve de terre et le pose tout fleuri sur une grosse pierre. Puis elle l'admire parce qu'il est beau et elle l'aime parce qu'il est beau par elle.

      Et, debout sur son socle agreste, le petit Jean comprend qu'il est beau. Cette idee le penetre d'un respect profond de lui-meme. Il comprend qu'il est sacre. Droit, immobile, les yeux tout ronds, les levres serrees, les bras pendants, les mains ouvertes et les doigts ecartes comme les rayons d'une roue, il goute une joie pieuse a se sentir devenir une idole. Le ciel est sur sa tete, les bois et les champs sont a ses pieds. Il est au milieu du monde. Il est seul grand, il est seul beau.


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