Le Cabinet des Fées. Anonyme

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Le Cabinet des Fées - Anonyme


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ne pouvait épouser le prince sans le consentement du roi son père: aussi fut-il le premier auquel on envoya une invitation, sans lui dire quelle était l'épousée; la fée des Lilas, qui présidait à tout, comme de raison, l'avait exigé, à cause des conséquences.

      Il vint des rois de tous les pays: les uns en chaise à porteurs, d'autres en cabriolet; les plus éloignés montés sur des éléphants, sur des tigres, sur des aigles; mais le plus magnifique et le plus puissant fut le père de l'infante, qui heureusement avait oublié son amour déréglé, et avait épousé une reine veuve fort belle. L'infante courut au-devant de lui: il la reconnut aussitôt, et l'embrassa avec une grande tendresse avant qu'elle eût eu le temps de se jeter à ses genoux. Le roi et la reine lui présentèrent leur fils, qu'il combla d'amitié. Les noces se firent avec toute la pompe imaginable. Les jeunes époux, peu sensibles à ces magnificences, ne virent et ne regardèrent qu'eux.

      Le roi, père du prince, fit couronner son fils ce même jour; et, lui baisant la main, le plaça sur son trône, malgré la résistance de ce fils bien né: mais il lui fallut obéir. Les fêtes de cet illustre mariage durèrent près de trois mois; mais l'amour de ces deux époux durerait encore, tant ils s'aimaient, s'ils n'étaient pas morts cent ans après.

      L'OISEAU BLEU.

      Il était une fois un roi fort riche en terres et en argent; sa femme mourut, il en fut inconsolable. Il s'enferma huit jours entiers dans un petit cabinet, où il se cassait la tête contre les murs, tant il était affligé. On craignit qu'il ne se tuât: on mit des matelas entre la tapisserie et la muraille; de sorte qu'il avait beau se frapper, il ne se faisait plus de mal. Tous ses sujets résolurent entre eux de l'aller voir, et de lui dire ce qu'ils pourraient de plus propre à soulager sa tristesse. Les uns préparaient des discours graves et sérieux, d'autres d'agréables, et même de réjouissants; mais cela ne faisait aucune impression sur son esprit: à peine entendait-il ce qu'on lui disait. Enfin, il se présenta devant lui une femme si couverte de crêpes noirs, de voiles, de longs habits de deuil, et qui pleurait et sanglotait si fort et si haut, qu'il en demeura surpris. Elle lui dit qu'elle n'entreprenait point comme les autres de diminuer sa douleur, qu'elle venait pour l'augmenter, parce que rien n'était plus juste que de pleurer une bonne femme; que pour elle, qui avait eu le meilleur de tous les maris, elle faisait bien son compte de pleurer tant qu'il lui resterait des yeux à la tête. La-dessus elle redoubla ses cris, et le roi, à son exemple, se mit à hurler. 1

      Il la reçut mieux que les autres; il l'entretint 2 des belles qualités de sa chère défunte, et elle renchérit 3 sur celles de son cher défunt: ils causèrent tant et tant, qu'ils ne savaient plus que dire sur leur douleur. Quand la fine veuve vit la matière 4 presque épuisée, elle leva un peu ses voiles, et le roi affligé se récréa la vue à regarder cette pauvre affligée, qui tournait et retournait fort à propos deux grands yeux bleus, bordés de longues paupières noires: son teint était assez fleuri. Le roi la considéra avec beaucoup d'attention; peu à peu il parla moins de sa femme, puis il n'en parla plus du tout. La veuve disait qu'elle voulait toujours pleurer son mari, le roi la pria de ne point immortaliser son chagrin. Pour conclusion, l'on fut tout étonné qu'il l'épousa, et que le noir se changea en vert et en couleur de rose: il suffit très-souvent de connaître le faible des gens pour entrer dans leur coeur, et pour en faire tout ce que l'on veut.

      Le roi n'avait eu qu'une fille de son premier mariage, qui passait pour la huitième merveille du monde; on la nommait Florine, parce qu'elle ressemblait à Flore, tant elle était fraîche, jeune et belle. On ne lui voyait guère 5 d'habits magnifiques; elle aimait les robes de taffetas volant, avec quelques agrafes de pierreries, et force guirlandes de fleurs, qui faisaient un effet admirable quand elles étaient placées dans ses beaux cheveux. Elle n'avait que quinze ans lorsque le roi se remaria.

      La nouvelle reine envoya quérir 6 sa fille, qui avait été nourrie chez sa marrane la fée Soussio; mais elle n'en était ni plus gracieuse ni plus belle: Soussio y avait voulu travailler, et n'avait rien gagné; elle ne laissait pas de l'aimer chèrement. On l'appelait Truitonne, car son visage avait autant de taches de rousseur qu'une truite; ses cheveux noirs étaient si gras et si crasseux, que l'on n'y pouvait toucher, et sa peau jaune distillait de l'huile. La reine ne laissait pas de l'aimer à la folie, elle ne parlait que de la charmante Truitonne; et comme Florine avait toutes sortes d'avantages au-dessus d'elle, la reine s'en désespérait; elle cherchait tous les moyens possibles de la mettre mal auprès du roi: 7 il n'y avait point de jour que la reine et Truitonne ne fissent quelque pièce à Florine. La princesse, qui était douce et spirituelle, tâchait de se mettre au-dessus des mauvais procédés.

      Le roi dit un jour à la reine, que Florine et Truitonne étaient assez grandes pour être mariées, et qu'aussitôt qu'un prince viendrait à la cour, il fallait faire en sorte de lui en donner une des deux. Je prétends, répliqua la reine, que ma fille soit la première établie: elle est plus âgée que la vôtre, et comme elle est mille fois plus aimable, il n'y a point à balancer là-dessus. Le roi, qui n'aimait point la dispute, lui dit qu'il le voulait bien, et qu'il l'en faisait la maîtresse.

      A quelque temps de là l'on apprit que le roi Charmant devait arriver. Jamais prince n'avait porté plus loin la galanterie et la magnificence; son esprit et sa personne n'avaient rien qui ne répondît à son nom. Quand la reine sut ces nouvelles, elle employa tous les brodeurs, tous les tailleurs, et tous les ouvriers à faire des ajustements à Truitonne. Elle pria le roi que Florine n'eût rien de neuf; et ayant gagné ses femmes, elle lui fit voler tous ses habits, toutes ses coiffures et toutes ses pierreries le jour même que Charmant arriva: de sorte que, lorsqu'elle se voulut parer, elle ne trouva pas


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