Le Cabinet des Fées. Anonyme

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Le Cabinet des Fées - Anonyme


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donc avec une petite robe fort crasseuse, et sa honte était si grande, qu'elle se mit dans le coin de la salle lorsque le roi Charmant arriva.

      La reine le reçut avec de grandes cérémonies; elle lui présenta sa fille, plus brillante que le soleil, et plus laide par toutes ses parures qu'elle ne l'était ordinairement. Le roi en détourna les yeux; la reine voulait se persuader qu'elle lui plaisait trop, et qu'il craignait de s'engager: de sorte qu'elle la faisait toujours mettre devant lui. Il demanda s'il n'y avait pas encore une autre princesse appelée Florine? "Oui, dit Truitonne en la montrant avec le doigt; la voilà qui se cache, parce qu'elle n'est pas brave." Florine rougit, et devint si belle, si belle, que le roi Charmant demeura comme un homme ébloui. Il se leva promptement, et fit une profonde révérence à la princesse:

      --Madame, lui dit-il, votre incomparable beauté vous pare trop pour que vous ayez besoin d'aucuns secours étrangers.

      --Seigneur, répliqua-t-elle, je vous avoue que je suis peu accoutumée à porter un habit aussi malpropre que l'est celui-ci; et vous m'auriez fait plaisir de ne vous pas apercevoir de moi.--Il serait impossible, s'écria Charmant, qu'une si merveilleuse princesse pût être en quelque lieu, et que l'on eût des yeux pour d'autres que pour elle.--"Ah! dit la reine irritée, je passe bien mon temps à vous entendre. Croyez-moi, seigneur, Florine est déjà assez coquette, elle n'a pas besoin qu'on lui dise tant de galanteries."--Le roi Charmant démêla aussitôt les motifs qui faisaient ainsi parler la reine; mais comme il n'était pas de condition à se contraindre, il laissa paraître toute son admiration pour Florine, et l'entretint trois heures de suite.

      La reine au désespoir, et Truitonne inconsolable de n'avoir pas la préférence sur la princesse, firent de grandes plaintes au roi, et l'obligèrent de consentir que, pendant le séjour du roi Charmant, l'on enfermerait Florine dans une tour, où ils ne se verraient point. En effet, aussitôt qu'elle fut retournée dans sa chambre, quatre hommes masqués la portèrent au haut de la tour, et l'y laissèrent dans la dernière désolation; car elle vit bien que l'on n'en usait ainsi que pour l'empêcher de plaire au roi, qui lui plaisait déjà fort, et qu'elle aurait bien voulu pour époux.

      Comme il ne savait pas les violences que l'on venait de faire à la princesse, il attendait l'heure de la revoir avec mille impatiences. Il voulut parler d'elle à ceux que le roi avait mis auprès de lui pour lui faire plus d'honneur; mais, par l'ordre de la reine, ils lui en dirent tout le mal qu'ils purent: qu'elle était coquette, inégale, de méchante humeur; qu'elle tourmentait ses amis et ses domestiques; qu'on ne pouvait être plus malpropre, et qu'elle poussait si loin l'avarice, qu'elle aimait mieux être habillée comme une petite bergère que d'acheter des riches étoffes de l'argent que lui donnait le roi son père. A tout ce détail, Charmant souffrait, et se sentait des mouvements de colère qu'il avait bien de la peine à modérer. "Non, disait-il en lui-même, il est impossible que le ciel ait mis une âme si mal faite dans le chef-d'oeuvre de la nature. Je conviens qu'elle n'était pas proprement mise quand je l'ai vue; mais la honte qu'elle en avait prouve assez qu'elle n'est point accoutumée à se voir ainsi. Quoi! elle serait mauvaise avec cet air de modestie et de douceur qui enchante? Ce n'est pas une chose qui me tombe sous le sens; il m'est bien plus aisé de croire que c'est la reine qui la décrie 9 ainsi: l'on n'est pas belle-mère pour rien; et la princesse Truitonne est une si laide bête, qu'il ne serait point extraordinaire qu'elle portât envie à la plus parfaite de toutes les créatures."

      Pendant qu'il raisonnait là-dessus, les courtisans qui l'environnaient devinaient bien à son air qu'ils ne lui avaient pas fait plaisir de parler mal de Florine. Il y en eut un plus adroit que les autres, qui, changeant de ton et de langage pour connaître les sentiments du prince, se mit à dire des merveilles de la princesse. A ces mots il se réveilla comme d'un profond sommeil, il entra dans la conversation, la joie se répandit sur son visage. Amour, amour, que l'on te cache difficilement! tu parais partout, sur les lèvres d'un amant, dans ses yeux, au son de sa voix; lorsque l'on aime, le silence, la conversation, la joie ou la tristesse, tout parle de ce qu'on ressent.

      La reine, impatiente de savoir si le roi Charmant était bien touché, envoya quérir ceux qu'elle avait mis dans sa confidence, et elle passa le reste de la nuit à les questionner. Tout ce qu'ils lui disaient ne servait qu'à confirmer l'opinion où elle était, que le roi aimait Florine. Mais que vous dirai-je de la mélancolie de cette pauvre princesse? Elle était couchée par terre dans le donjon de cette terrible tour où les hommes masqués l'avaient emportée. «Je serais moins à plaindre, disait-elle, si l'on m'avait mise ici avant que j'eusse vu cet aimable roi: l'idée que j'en conserve ne peut servir qu'à augmenter mes peines. Je ne dois pas douter que c'est peur m'empêcher de le voir davantage que la reine me traite si cruellement. Hélas! que le peu de beauté dont le ciel m'a pourvue coûtera cher à mon repos!» Elle pleurait ensuite si amèrement, si amèrement, que sa propre ennemie en aurait eu pitié si elle avait été témoin de ses douleurs.

      C'est ainsi que la nuit se passa. La reine, qui voulait engager le roi Charmant par tous les témoignages qu'elle pourrait lui donner de son attention, lui envoya des habits d'une richesse et d'une magnificence sans pareille, faits à la mode du pays, et l'ordre des chevaliers d'Amour, qu'elle avait obligé le roi d'instituer le jour de leurs noces. C'était un coeur d'or émaillé de couleur de feu, entouré de plusieurs flèches, et percé d'une, avec ces mots: Une seule me blesse. La reine avait fait tailler pour Charmant un coeur d'un rubis gros comme un oeuf d'autruche; chaque flèche était d'un seul diamant, longue comme le doigt, et la chaîne où ce coeur tenait était faite de perles, dont la plus petite pesait une livre; enfin, depuis que le monde est monde, il n'avait rien paru de tel.

      Le roi, à cette vue, demeura si surpris, qu'il fut quelque temps sans parler. On lui présenta en même temps un livre, dont les feuilles étaient de vélin, avec des miniatures admirables; la couverture d'or, chargée de pierreries; et les statuts de l'ordre des chevaliers d'Amour y étaient écrits d'un style fort tendre et fort galant. L'on dit au roi que la princesse qu'il avait vue le priait d'être son chevalier, et qu'elle lui envoyait ces présent. A ces mots, il osa se flatter que c'était celle qu'il aimait. «Quoi! la belle princesse Florine, s'écria-t-il, pense à moi d'une manière si généreuse et si engageante?--Seigneur, lui dit-on, vous vous méprenez au nom; nous venons de la part 10 de l'aimable Truitonne.--C'est Truitonne qui me veut pour son chevalier, dit le roi d'un air froid et sérieux: je suis fâché de ne pouvoir accepter cet honneur; mais un souverain n'est pas assez maître de lui pour prendre les engagements qu'il voudrait. Je sais ceux d'un chevalier, je voudrais les remplir tous; et j'aime mieux ne pas recevoir la grâce qu'elle m'offre que m'en rendre indigne.» Il remit aussitôt le coeur, la chaîne et le livre dans la même corbeille; puis il renvoya tout chez la reine, qui pensa étouffer de rage avec sa fille, de la manière méprisante dont le roi étranger avait reçu une faveur si particulière.

      Lorsqu'il put aller chez le roi et la reine, il se rendit dans leur appartement: il espérait que Florine y serait; il regardait de tous côtés pour la voir. Dès qu'il entendait entrer quelqu'un dans la chambre, il tournait la tête brusquement vers la porte; il paraissait inquiet et chagrin. La malicieuse reine devinait assez ce qui se passait dans son âme, mais elle n'en faisait pas semblant. Elle ne lui parlait que de parties de plaisir, il lui répondait tout de travers; 11 enfin il demanda où était la princesse Florine. «Seigneur, lui dit fièrement la reine, le roi son père a défendu qu'elle sorte de chez elle, jusqu'à ce que ma fille soit mariée.--Et quelle raison, répliqua le roi, peut-on avoir de tenir cette belle personne prisonnière?--Je l'ignore, dit la reine; et quand je le saurais, je pourrais me dispenser de vous le dire.» Le roi se sentait dans une colère inconcevable; il regardait Truitonne de travers, et songeait en lui-même que c'était à cause de ce petit monstre qu'on lui dérobait le plaisir de voir la princesse. Il quitta promptement la reine: sa présence lui causait trop de peine.

      Quand il fut revenu dans sa chambre, il dit à un jeune prince qui l'avait accompagné, et qu'il aimait fort, de donner tout ce qu'on voudrait au monde pour gagner quelqu'une des femmes de la princesse, afin qu'il pût lui parler un moment. Ce prince trouva aisément des dames du palais qui entrèrent dans la confidence; il y en eut une qui l'assura que le soir même Florine serait à une petite fenêtre basse qui répondait sur le jardin, 12


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