La comtesse de Rudolstadt. George Sand

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La comtesse de Rudolstadt - George Sand


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      —Je te crois; tu exerces sur moi, par ton air de franchise, le même prestige que tu subis de la part de Frédéric. Allons, ne t'émeus pas, je ne vous compare point. Reprends ton histoire, et parle-moi de Cagliostro. On m'a dit qu'à une séance de magie, il t'avait fait voir un mort que je suppose être le comte Albert?

      —Je suis prête à vous satisfaire, noble Amélie; mais si je me résous à vous raconter encore une aventure pénible, que je voudrais pouvoir oublier, j'ai le droit de vous adresser quelques questions, selon la convention que nous avons faite.

      —Je suis prête à te répondre.

      —Eh bien, Madame, croyez-vous que les morts puissent sortir du tombeau, ou du moins qu'un reflet de leur figure, animée par l'apparence de la vie, puisse être évoqué au gré des magiciens et s'emparer de notre imagination au point de se reproduire ensuite devant nos yeux, et de troubler notre raison?

      —La question est fort compliquée, et tout ce que je puis répondre, c'est que je ne crois à rien de ce qui est impossible. Je ne crois pas plus au pouvoir de la magie qu'à la résurrection des morts. Quant à notre pauvre folle d'imagination, je la crois capable de tout.

      —Votre Altesse... pardon; ton Altesse ne croit pas à la magie, et cependant... Mais la question est indiscrète, sans doute?...

      —Achève: «Et cependant je suis adonnée à la magie;» cela est connu. Eh bien, mon enfant, permets-moi de ne te donner l'explication de cette inconséquence bizarre qu'en temps et lieu. D'après le grimoire envoyé par le sorcier Saint-Germain, qui était en réalité une lettre de Trenck pour moi, tu peux déjà pressentir que cette prétendue nécromancie peut servir de prétexte à bien des choses. Mais te révéler tout ce qu'elle cache aux yeux du vulgaire, tout ce qu'elle dérobe à l'espionnage des cours et à la tyrannie des lois, ne serait pas l'affaire d'un instant. Prends patience, j'ai résolu de t'initier à tous mes secrets. Tu le mérites mieux que ma chère de Kleist, qui est un esprit timide et superstitieux. Oui, telle que tu la vois, cet ange de bonté, ce tendre cœur n'a pas le sens commun. Elle croit au diable, aux sorciers, aux revenants et aux présages, tout comme si elle n'avait pas sous les yeux et dans les mains les fils mystérieux du grand œuvre. Elle est comme ces alchimistes du temps passé qui créaient patiemment et savamment des monstres, et qui s'effrayaient ensuite de leur propre ouvrage, jusqu'à devenir esclaves de quelque démon familier sorti de leur alambic.

      —Peut-être ne serais-je pas plus brave que madame de Kleist, reprit la Porporina, et j'avoue que j'ai par devers moi un échantillon du pouvoir, sinon de l'infaillibilité de Cagliostro. Figurez-vous qu'après m'avoir promis de me faire voir la personne à laquelle je pensais, et dont il prétendait lire apparemment le nom dans mes yeux, il m'en montra une autre; et encore, en me la montrant vivante, il parut ignorer complètement qu'elle fût morte. Mais malgré cette double erreur, il ressuscita devant mes yeux l'époux que j'ai perdu, ce qui sera à jamais pour moi une énigme douloureuse et terrible.

      —Il t'a montré un fantôme quelconque, et c'est ton imagination qui a fait tous les frais.

      —Mon imagination n'était nullement en jeu, je puis vous l'affirmer. Je m'attendais à voir dans une glace, ou derrière une gaze, quelque portrait de maître Porpora; car j'avais parlé de lui plusieurs fois à souper, et, en déplorant tout haut son absence, j'avais remarqué que M. Cagliostro faisait beaucoup d'attention à mes paroles. Pour lui rendre sa tâche plus facile, je choisis, dans ma pensée, la figure du Porpora, pour le sujet de l'apparition; et je l'attendis de pied ferme, ne prenant point jusque-là cette épreuve au sérieux. Enfin, s'il est un seul moment dans ma vie, où je n'aie point pensé à M. de Rudolstadt, c'est précisément celui-là. M. Cagliostro, me demanda en entrant dans son laboratoire magique avec moi, si je voulais consentir à me laisser bander les yeux et à le suivre en le tenant par la main. Comme je le savais homme de bonne compagnie, je n'hésitai point à accepter son offre, et j'y mis seulement la condition qu'il ne me quitterait pas un instant. «J'allais précisément, me dit-il, vous adresser la prière de ne point vous éloigner de moi d'un pas, et de ne point quitter ma main, quelque chose qui arrive, quelque émotion que vous veniez à éprouver.» Je le lui promis, mais une simple affirmation ne le satisfit pas. Il me fit solennellement jurer que je ne ferais pas un geste, pas une exclamation, enfin que je resterais muette et impassible pendant l'apparition. Ensuite il mit son gant, et, après m'avoir couvert la tête d'un capuchon de velours noir, qui me tombait jusque sur les épaules, il me fit marcher pendant environ cinq minutes sans que j'entendisse ouvrir ou fermer aucune porte. Le capuchon m'empêchait de sentir aucun changement dans l'atmosphère; ainsi je ne pus savoir si j'étais sortie du cabinet, tant il me fit faire de tours et de détours pour m'ôter l'appréciation de la direction que je suivais. Enfin, il s'arrêta, et d'une main m'enleva le capuchon si légèrement que je ne le sentis pas. Ma respiration, devenue plus libre, m'apprit seule que j'avais la liberté de regarder; mais je me trouvais dans de si épaisses ténèbres que je n'en étais pas plus avancée. Peu à peu, cependant, je vis une étoile lumineuse d'abord vacillante et faible, et bientôt claire et brillante, se dessiner devant moi. Elle semblait d'abord très-loin, et lorsqu'elle fut entièrement éclairée, elle me parut tout près. C'était l'effet, je pense, d'une lumière plus ou moins intense derrière un transparent. Cagliostro me fit approcher de l'étoile, qui était percée dans le mur, et je vis, de l'autre côté de cette muraille, une chambre décorée singulièrement et remplie de bougies placées dans un ordre systématique. Cette pièce avait dans ses ornements et dans sa disposition, tout le caractère d'un lieu destiné aux opérations magiques. Mais je n'eus pas le loisir de l'examiner beaucoup; mon attention était absorbée par un personnage assis devant une table. Il était seul et cachait sa figure dans ses mains, comme s'il eût été plongé dans une profonde méditation. Je ne pouvais donc voir ses traits, et sa taille était déguisée par un costume que je n'ai encore vu à personne. Autant que je pus le remarquer, c'était une robe, ou un manteau de satin blanc doublé de pourpre, et agrafé sur la poitrine par des bijoux hiéroglyphiques en or où je distinguai une rose, une croix, un triangle, une tête de mort, et plusieurs riches cordons de diverses couleurs. Tout ce que je pouvais comprendre, c'est que ce n'était point là le Porpora. Mais au bout d'une ou deux minutes, ce personnage mystérieux, que je commençais à prendre pour une statue, dérangea lentement ses mains, et je vis distinctement le visage du comte Albert; non pas tel que je l'avais vu la dernière fois, couvert des ombres de la mort, mais animé dans sa pâleur, et plein d'âme dans sa sérénité, tel enfin que je l'avais vu dans ses plus belles heures de calme et de confiance. Je faillis laisser échapper un cri, et briser, d'un mouvement involontaire, la glace qui me séparait de lui. Mais une violente pression de la main de Cagliostro me rappela mon serment, et m'imprima je ne sais quelle vague terreur. D'ailleurs, au même instant, une porte s'ouvrit au fond de l'appartement où je voyais Albert, et plusieurs personnages inconnus, vêtus à peu près comme lui, entrèrent l'épée à la main. Après avoir fait divers gestes singuliers, comme s'ils eussent joué une pantomime, ils lui adressèrent, chacun à son tour, et d'un ton solennel, des paroles incompréhensibles. Il se leva, marcha vers eux, et leur répondit des paroles également obscures, et qui n'offraient aucun sens à mon esprit, quoique je sache aussi bien l'allemand à présent que ma langue maternelle. Ce dialogue ressemblait à ceux qu'on entend dans les rêves; et la bizarrerie de cette scène, le merveilleux de cette apparition tenaient effectivement du songe, à tel point que j'essayai de remuer pour m'assurer que je ne dormais point. Mais Cagliostro me forçait de rester immobile, et je reconnaissais la voix d'Albert si parfaitement, qu'il m'était impossible de douter de la réalité de ce que je voyais. Enfin, emportée par le désir de lui parler, j'allais oublier mon serment, lorsque le capuchon noir retomba sur ma tête. Je l'arrachai violemment, mais l'étoile de cristal s'était effacée, et tout était replongé dans les ténèbres. «Si vous faites le moindre mouvement, murmura sourdement Cagliostro d'une voix tremblante, ni vous ni moi ne reverrons jamais la lumière.» J'eus la force de le suivre et de marcher encore longtemps avec lui en zigzags dans un vide inconnu. Enfin, lorsqu'il m'ôta définitivement le capuchon, je me retrouvai dans son laboratoire éclairé faiblement, comme il l'était au commencement de cette aventure. Cagliostro était fort pâle, et tremblait encore; car j'avais senti, en marchant avec lui, que son bras était agité


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