Les mille et une nuits: contes choisis. Anonyme

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Les mille et une nuits: contes choisis - Anonyme


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de ne garder la même femme qu'un seul jour, et de lui faire ôter la vie le lendemain; et vous voulez que je lui propose de vous épouser! Songez-vous bien à quoi vous expose votre zèle indiscret? Oui, mon père, répondit cette vertueuse fille; je connais tout le danger que je cours, et il ne saurait m'épouvanter. Si je péris, ma mort sera glorieuse; et si je réussis dans mon entreprise, je rendrai à ma patrie un service important. Non, non, dit le vizir, quoi que vous puissiez me représenter pour m'intéresser à vous permettre de vous jeter dans cet affreux péril, ne vous imaginez pas que j'y consente. Quand le sultan m'ordonnera de vous enfoncer le poignard dans le sein, hélas! il faudra bien que je lui obéisse. Quel triste emploi pour un père! Ah! si vous ne craignez point la mort, craignez du moins de me causer la douleur mortelle de voir ma main teinte de votre sang. Encore une fois, mon père, dit Scheherazade, accordez-moi la grâce que je vous demande. Votre opiniâtreté, repartit le vizir, excite ma colère. Pourquoi vouloir vous-même courir à votre perte? Qui ne prévoit pas la fin d'une entreprise dangereuse n'en saurait sortir heureusement.

      Mon père, dit alors Scheherazade, ne trouvez pas mauvais que je persiste dans mes sentiments; de grâce, ne vous opposez pas à mon dessein. D'ailleurs, pardonnez-moi si j'ose vous le déclarer, vous vous y opposeriez vainement: quand la tendresse paternelle refuserait de souscrire à la prière que je vous fais, j'irais me présenter moi-même au sultan.

      Enfin, le père, poussé à bout par la fermeté de sa fille, se rendit à ses importunités; et quoique fort affligé de n'avoir pu la détourner d'une si funeste résolution, il alla dès ce moment trouver Schahriar, pour lui annoncer que la nuit prochaine il lui présenterait Scheherazade.

      Le sultan fut fort étonné du sacrifice que son grand vizir lui faisait. Comment avez-vous pu, lui dit-il, vous résoudre à me livrer votre propre fille? Sire, lui répondit le vizir, elle s'est offerte d'elle-même. La triste destinée qui l'attend n'a pu l'épouvanter, et elle préfère à la vie l'honneur d'être l'épouse de Votre Majesté.

      Mais ne vous trompez pas, vizir, reprit le sultan: demain, en vous remettant Scheherazade entre les mains, je prétends que vous lui ôtiez la vie. Si vous y manquez, je vous jure que je vous ferai mourir vous-même. Sire, répondit le vizir, mon cœur gémira, sans doute, en vous obéissant; mais la nature aura beau murmurer: quoique père, je vous réponds d'un bras fidèle. Schahriar accepta l'offre de son ministre, et lui dit qu'il n'avait qu'à lui amener sa fille quand il lui plairait.

      Le grand vizir alla porter cette nouvelle à Scheherazade, qui la reçut avec autant de joie que si elle eût été la plus agréable du monde. Elle remercia son père de l'avoir si sensiblement obligée; et, voyant qu'il était accablé de douleur, elle lui dit, pour le consoler, qu'elle espérait qu'il ne se repentirait pas de l'avoir mariée avec le sultan, et qu'au contraire il aurait sujet de s'en réjouir le reste de sa vie.

      Elle ne songea plus qu'à se mettre en état de paraître devant le sultan; mais avant que de partir, elle prit sa sœur Dinarzade en particulier, et lui dit: Ma chère sœur, j'ai besoin de votre secours dans une affaire très-importante; je vous prie de ne me le pas refuser. Mon père va me conduire chez le sultan pour être son épouse. Que cette nouvelle ne vous épouvante pas; écoutez-moi seulement avec patience. Dès que je serai devant le sultan, je le supplierai de permettre que vous couchiez dans la chambre nuptiale, afin que je jouisse cette nuit encore de votre compagnie. Si j'obtiens cette grâce, comme je l'espère, souvenez-vous de m'éveiller demain matin, une heure avant le jour, et de m'adresser ces paroles: Ma sœur, si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour, qui paraîtra bientôt, de me raconter un de ces beaux contes que vous savez. Aussitôt je vous en conterai un, et je me flatte de délivrer, par ce moyen, tout le peuple de la consternation où il est. Dinarzade répondit à sa sœur qu'elle ferait avec plaisir ce qu'elle exigeait d'elle.

      L'heure de se coucher étant enfin venue, le grand vizir conduisit Scheherazade au palais, et se retira après l'avoir introduite dans l'appartement du sultan. Ce prince ne se vit pas plutôt avec elle, qu'il lui ordonna de se découvrir le visage. Il la trouva si belle qu'il en fut charmé; mais s'apercevant qu'elle était en pleurs, il lui en demanda le sujet. Sire, répondit Scheherazade, j'ai une sœur que j'aime aussi tendrement que j'en suis aimée; je souhaiterais qu'elle passât la nuit dans cette chambre, pour la voir et lui dire adieu encore une fois. Voulez-vous bien que j'aie la consolation de lui donner ce dernier témoignage de mon amitié? Schahriar y ayant consenti, on alla chercher Dinarzade, qui vint en diligence. Le sultan se coucha avec Scheherazade sur une estrade fort élevée, à la manière des monarques de l'Orient, et Dinarzade dans un lit qu'on lui avait préparé au bas de l'estrade.

      Une heure avant le jour, Dinarzade, s'étant éveillée, ne manqua pas de faire ce que sa sœur lui avait recommandé. Ma chère sœur, s'écria-t-elle, si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour, qui paraîtra bientôt, de me raconter un de ces contes agréables que vous savez. Hélas! ce sera peut-être la dernière fois que j'aurai ce plaisir.

      Scheherazade, au lieu de répondre à sa sœur, s'adressa au sultan: Sire, dit-elle, Votre Majesté veut-elle bien me permettre de donner cette satisfaction à ma sœur? Très-volontiers, répondit le sultan. Alors Scheherazade dit à sa sœur d'écouter, et puis, adressant la parole à Schahriar, elle commença de la sorte.

      IRE NUIT LE MARCHAND ET LE GÉNIE

      Sire, il y avait autrefois un marchand qui possédait de grands biens, tant en fonds de terre qu'en marchandises et en argent comptant. Il avait beaucoup de commis, de facteurs et d'esclaves. Comme il était obligé de temps en temps de faire des voyages pour s'aboucher avec ses correspondants, un jour qu'une affaire d'importance l'appelait assez loin du lieu qu'il habitait, il monta à cheval et partit avec une valise derrière lui, dans laquelle il avait mis une petite provision de biscuits et de dattes, parce qu'il avait un pays désert à passer où il n'aurait pas trouvé de quoi vivre. Il arriva sans accident; et quand il eut terminé l'affaire qui lui avait fait entreprendre ce voyage, il remonta à cheval pour s'en retourner chez lui.

      Le quatrième jour de sa marche, il se sentit tellement incommodé de l'ardeur du soleil et de la terre échauffée par ses rayons, qu'il se détourna de son chemin pour aller se rafraîchir sous des arbres qu'il aperçut dans la campagne. Il y trouva au pied d'un grand noyer une fontaine d'une eau très-claire et coulante. Il mit pied à terre, attacha son cheval à une branche d'arbre, et s'assit près de la source, après avoir tiré de sa valise quelques dattes et du biscuit. En mangeant les dattes, il en jetait les noyaux à droite et à gauche. Lorsqu'il eut achevé ce repas frugal, comme il était bon musulman, il se lava les mains, le visage et les pieds, et fit sa prière.

      Il ne l'avait pas finie, et il était encore à genoux, quand il vit paraître un génie tout blanc de vieillesse, et d'une grandeur énorme, qui, s'avançant jusqu'à lui le sabre à la main, lui dit d'un ton de voix terrible: Lève-toi, que je te tue avec ce sabre, comme tu as tué mon fils! Il accompagna ces mots d'un cri effroyable. Le marchand, autant effrayé de la hideuse figure du monstre que des paroles qu'il lui avait adressées, lui répondit en tremblant: Hélas! mon bon seigneur, de quel crime puis-je être coupable envers vous, pour mériter que vous m'ôtiez la vie? Je veux, reprit le génie, te tuer de même que tu as tué mon fils. Hé! bon Dieu, repartit le marchand, comment pourrais-je avoir tué votre fils? Je ne le connais point, et je ne l'ai jamais vu. Ne t'es-tu pas assis en arrivant ici? répliqua le génie; n'as-tu pas tiré des dattes de ta valise, et, en les mangeant, n'en as-tu pas jeté les noyaux à droite et à gauche? J'ai fait tout ce que vous dites, répondit le marchand, je ne puis le nier. Cela étant, reprit le génie, je le dis que tu as tué mon fils, et voici comment: dans le temps que tu jetais tes noyaux, mon fils passait; il en a reçu un dans l'œil, et il en est mort; c'est pourquoi il faut que je te tue. Ah! mon seigneur, pardon! s'écria le marchand. Point de pardon, répondit le génie, point de miséricorde! N'est-il pas juste de tuer celui qui a tué? J'en demeure d'accord, dit le marchand; mais je n'ai assurément pas tué votre fils; et quand cela serait, je ne l'aurais fait que fort innocemment; par conséquent, je vous supplie de me pardonner et de me laisser la vie. Non, non, dit le génie en persistant dans sa résolution, il faut que je te tue de même que tu


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