Les mille et une nuits: contes choisis. Anonyme

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Les mille et une nuits: contes choisis - Anonyme


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leur demanda pourquoi le marchand qui était avec eux paraissait si triste. On lui en dit le sujet, qui lui parut si extraordinaire, qu'il souhaita aussi d'être témoin de ce qui se passerait entre le génie et le marchand. Pour cet effet, il se plaça parmi les autres.

      Ils aperçurent bientôt dans la campagne une vapeur épaisse, comme un tourbillon de poussière élevé par le vent. Cette vapeur s'avança jusqu'à eux, et se dissipant tout à coup, leur laissa voir le génie, qui, sans les saluer, s'approcha du marchand le sabre à la main, et le prenant par le bras: Lève-toi, lui dit-il, que je te tue comme tu as tué mon fils. Le marchand et les trois vieillards, effrayés, se mirent à pleurer et à remplir l'air de cris...

      Scheherazade, en cet endroit, apercevant le jour, cessa de poursuivre son conte, qui avait si bien piqué la curiosité du sultan, que ce prince, voulant absolument en savoir la fin, remit encore au lendemain la mort de la sultane.

      IVE NUIT

      Vers la fin de la nuit suivante, Scheherazade, avec la permission du sultan, parla dans ces termes:

      Sire, quand le vieillard qui conduisait la biche vit que le génie s'était saisi du marchand, et l'allait tuer impitoyablement, il se jeta aux pieds de ce monstre, et les lui baisant: Prince des génies, lui dit-il, je vous supplie très-humblement de suspendre votre colère, et de me faire la grâce de m'écouter. Je vais vous raconter mon histoire et celle de cette biche que vous voyez: mais si vous la trouvez plus merveilleuse et plus surprenante que l'aventure de ce marchand à qui vous voulez ôter la vie, puis-je espérer que vous voudrez bien remettre à ce pauvre malheureux le tiers de son crime? Le génie fut quelque temps à se consulter là-dessus; mais enfin il répondit: Eh bien! voyons, j'y consens.

       Table des matières

      Je vais donc, reprit le vieillard, commencer le récit; écoutez-moi, je vous prie, avec attention. Cette biche que vous voyez est ma cousine, et de plus ma femme. Elle n'avait que douze ans quand je l'épousai; ainsi, je puis dire qu'elle ne devait pas moins me regarder comme son père que comme son parent et son mari.

      Nous avons vécu ensemble trente années sans avoir eu d'enfants. Le désir d'en avoir me fit acheter une esclave, dont j'eus un fils qui montrait d'heureuses dispositions. Ma femme en conçut de la jalousie, prit en aversion la mère et l'enfant, et cacha si bien ses sentiments que je ne les connus que trop tard.

      Cependant mon fils croissait, et il avait déjà dix ans, lorsque je fus obligé de faire un voyage. Avant mon départ, je recommandai à ma femme, dont je ne me défiais point, l'esclave et son fils, et je la priai d'en avoir soin pendant mon absence, qui dura une année entière. Elle profita de ce temps-là pour contenter sa haine. Elle s'attacha à la magie; et quand elle sut assez de cet état diabolique pour exécuter l'horrible dessein qu'elle méditait, la scélérate mena mon fils dans un lieu écarté. Là, par ses enchantements, elle le changea en veau, et le donna à mon fermier, avec ordre de le nourrir comme un veau, disait-elle, qu'elle avait acheté. Elle ne borna point sa fureur à cette action abominable; elle changea l'esclave en vache, et la donna aussi à mon fermier.

      A mon retour, je lui demandai des nouvelles de la mère et de l'enfant. Votre esclave est morte, me dit-elle; et pour votre fils, il y a deux mois que je ne l'ai vu, et que je ne sais ce qu'il est devenu. Je fus touché de la mort de l'esclave; mais comme mon fils n'avait fait que disparaître, je me flattai que je pourrais le revoir bientôt. Néanmoins, huit mois se passèrent sans qu'il revînt; et je n'en avais aucune nouvelle, lorsque la fête du grand Baïram arriva. Pour la célébrer, je demandai à mon fermier de m'amener une vache des plus grasses pour en faire un sacrifice. Il n'y manqua pas. La vache qu'il m'amena était l'esclave elle-même, la malheureuse mère de mon fils. Je la liai; mais, dans le moment que je me préparais à la sacrifier, elle se mit à faire des beuglements pitoyables, et je m'aperçus qu'il coulait de ses yeux des ruisseaux de larmes. Cela me parut assez extraordinaire; et me sentant, malgré moi, saisi d'un mouvement de pitié, je ne pus me résoudre à frapper. J'ordonnai à mon fermier de m'en aller prendre une autre.

      Ma femme, qui était présente, frémit de ma compassion; et s'opposant à un ordre qui rendait sa malice inutile: Que faites-vous, mon ami? s'écria-t-elle; immolez cette vache: votre fermier n'en a pas de plus belle, ni qui soit plus propre à l'usage que nous en voulons faire. Par complaisance pour ma femme, je m'approchai de la vache; et, combattant la pitié qui en suspendait le sacrifice, j'allais porter le coup mortel, quand la victime, redoublant ses pleurs et ses beuglements, me désarma une seconde fois. Alors je mis le maillet entre les mains du fermier, en lui disant: Prenez, et sacrifiez-la vous-même; ses beuglements et ses larmes me fendent le cœur.

      Le fermier, moins pitoyable que moi, la sacrifia. Mais, en l'écorchant, il se trouva qu'elle n'avait que les os, quoiqu'elle nous eût paru très-grasse. J'en eus un véritable chagrin. Prenez-la pour vous, dis-je au fermier, je vous l'abandonne; faites-en des régals et des aumônes à qui vous voudrez: et si vous avez un veau bien gras, amenez-le-moi à sa place. Je ne m'informai pas de ce qu'il fit de la vache; mais peu de temps après qu'il l'eut fait enlever de devant mes yeux, je le vis arriver avec un veau fort gras. Quoique j'ignorasse que ce veau fût mon fils, je ne laissai pas de sentir émouvoir mes entrailles à sa vue. De son côté, dès qu'il m'aperçut, il fit un si grand effort pour venir à moi, qu'il en rompit sa corde. Il se jeta à mes pieds, la tête contre terre, comme s'il eût voulu exciter ma compassion, et me conjurer de n'avoir pas la cruauté de lui ôter la vie, en m'avertissant, autant qu'il lui était possible, qu'il était mon fils.

      Je fus encore plus surpris et plus touché de cette action, que je ne l'avais été des pleurs de la vache. Je sentis une tendre pitié qui m'intéressa pour lui, ou, pour mieux dire, le sang fit en moi son devoir. Allez, dis-je au fermier, ramenez ce veau chez vous; ayez-en un grand soin, et à sa place amenez-en un autre incessamment.

      Dès que ma femme m'entendit parler ainsi, elle ne manqua pas de s'écrier encore: Que faites-vous, mon mari? Croyez-moi, ne sacrifiez pas un autre veau que celui-là. Ma femme, lui répondis-je, je n'immolerai pas celui-ci; je veux lui faire grâce; je vous prie de ne point vous y opposer. Elle n'eut garde, la méchante femme, de se rendre à ma prière. Elle haïssait trop mon fils pour consentir que je le sauvasse. Elle m'en demanda le sacrifice avec tant d'opiniâtreté, que je fus obligé de le lui accorder. Je liai le veau, et prenant le couteau funeste...

      Scheherazade s'arrêta en cet endroit, parce qu'elle aperçut le jour. Ma sœur, dit alors Dinarzade, je suis enchantée de ce conte, qui soutient si agréablement mon attention. Si le sultan me laisse vivre encore aujourd'hui, repartit Scheherazade, vous verrez que ce que je vous raconterai demain vous divertira bien davantage. Schahriar, curieux de savoir ce que deviendrait le fils du vieillard qui conduisait la biche, dit à la sultane qu'il serait bien aise d'entendre, la nuit prochaine, la fin de ce conte.

      VE NUIT

      Sire, poursuivit Scheherazade, le premier vieillard qui conduisait la biche continuant de raconter son histoire au génie, aux deux autres vieillards et au marchand: Je pris donc, leur dit-il, le couteau, et j'allais l'enfoncer dans la gorge de mon fils, lorsque, tournant vers moi languissamment ses yeux baignés de pleurs, il m'attendrit à un point que je n'eus pas la force de l'immoler. Je laissai tomber le couteau, et je dis à ma femme que je voulais absolument tuer un autre veau que celui-là. Elle n'épargna rien pour me faire changer de résolution; mais quoi qu'elle pût me représenter, je demeurai ferme, et lui promis, seulement pour l'apaiser, que je le sacrifierais au Baïram de l'année prochaine.

      Le lendemain matin, mon fermier demanda à me parler en particulier. Je viens, me dit-il, vous apprendre une nouvelle dont j'espère que me saurez bon gré. J'ai une fille qui a quelque connaissance de la magie. Hier, comme je ramenais au logis le veau dont vous n'aviez pas voulu faire le sacrifice, je remarquai qu'elle rit en le voyant, et qu'un moment après elle se mit à pleurer. Je lui


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