P'tit-bonhomme. Jules Verne

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P'tit-bonhomme - Jules Verne


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de la ragged-school tenaient des conciliabules qui ne présageaient rien de bon. Aussi Grip ne cessait-il de les surveiller, ne quittant notre garçonnet que le moins possible. La nuit, il le faisait monter jusqu'au galetas qu'il occupait sous les bardeaux de la toiture. Là, dans ce réduit bien froid, bien misérable, P'tit-Bonhomme était du moins à l'abri des mauvais conseils et des mauvais traitements.

      Un jour, Grip et lui étaient allés se promener sur la grève de Salthill, où ils prenaient quelquefois plaisir à se baigner. Grip, qui savait nager, donnait des leçons à P'tit-Bonhomme. Ah! que celui-ci était heureux de se plonger dans cette eau limpide sur laquelle naviguaient de beaux navires, loin, bien loin, et dont il voyait les voiles blanches s'effacer à l'horizon.

      Tous deux s'ébattaient au milieu des longues lames qui grondaient sur la grève. Grip, tenant l'enfant par les épaules, lui indiquait les premiers mouvements.

      Soudain, de véritables hurlements de chacals se firent entendre du côté des rochers, et on vit apparaître les déguenillés de la ragged-school.

      Ils étaient une douzaine, des plus vicieux, des plus féroces, Carker à leur tête.

      S'ils criaient, s'ils vociféraient de la sorte, c'est qu'ils venaient d'apercevoir une mouette, blessée à l'aile, qui essayait de s'enfuir. Et peut-être y fût-elle parvenue, si Carker ne lui eût lancé une pierre dont il l'atteignit.

      P'tit-Bonhomme poussa un cri à faire croire que c'était lui qui avait reçu le coup.

      «Pauvre mouette... pauvre mouette!» répétait-il.

      Une grosse colère saisit Grip, et probablement allait-il infliger à Carker une correction dont celui-ci se souviendrait, lorsqu'il vit l'enfant s'élancer sur la grève, au milieu de la bande, en demandant grâce pour l'oiseau.

      «Carker... je t'en prie... répétait-il, bats-moi... bats-moi... mais pas la mouette!... pas la mouette!»

      Quelle bordée de sarcasmes l'accueillirent, lorsqu'on le vit se traîner sur le sable, tout nu, ses membres si grêles, ses côtes qui faisaient saillie sous la peau! Et toujours il criait:

      «Grâce... Carker... grâce pour la mouette!»

      Personne ne l'écoutait. On se riait de ses supplications. La bande poursuivait l'oiseau, qui essayait en vain à s'élever de terre, sautillant gauchement d'une patte sur l'autre, et tâchant de gagner un abri entre les roches.

      Efforts inutiles.

      «Lâches... lâches!» criait P'tit-Bonhomme.

      Carker avait saisi la mouette par une aile, et, la faisant tournoyer, il la lança en l'air. Elle retomba sur le sable. Un autre la ramassa et l'envoya sur les galets.

      «Grip... Grip!... répétait P'tit-Bonhomme, défends-la... défends-la!...»

      Grip se précipita sur ces gueux pour leur arracher l'oiseau... il était trop tard. Carker venait d'écraser sous son talon la tête de la mouette.

      Et les rires de reprendre de plus belle au milieu d'un concert de hurrahs frénétiques.

      P'tit-Bonhomme était outré. La colère le prit alors,—une colère aveuglante,—et n'y tenant plus, il ramassa un galet et le jeta de toutes ses forces contre Carker, lequel le reçut en pleine poitrine.

      «Ah! tu vas me l' payer!» s'écria Carker.

      Et, avant que Grip eût pu l'en empêcher, il se précipita sur le jeune garçon, il l'entraîna au bord de la grève, l'accablant de coups. Puis, tandis que les autres retenaient Grip par les bras, par les jambes, il enfonça la tête de P'tit-Bonhomme sous les lames au risque de l'asphyxier.

      Étant parvenu à se débarrasser à coup de taloches de ces garnements dont la plupart roulèrent sur le sable en hurlant, Grip courut vers Carker, qui s'enfuit avec toute la bande.

      En se retirant, les lames auraient entraîné P'tit-Bonhomme, si Grip ne l'eût saisi et ramené à demi évanoui.

      Après l'avoir frotté vigoureusement, Grip ne tarda pas à le remettre sur pied. L'ayant rhabillé de ses haillons, et le prenant par la main:

      «Viens... viens!» lui dit-il.

      P'tit-Bonhomme remonta du côté des roches. Là, apercevant l'oiseau écrasé, il s'agenouilla, des larmes lui mouillèrent les yeux, et, creusant un trou dans le sable, il l'y enterra.

      Et, lui-même, qu'était-il, si ce n'est un oiseau abandonné... une pauvre mouette humaine!

       ENCORE LA RAGGED-SCHOOL.

       Table des matières

      En rentrant à l'école, Grip crut devoir attirer l'attention de M. O'Bodkins sur la conduite de Carker et des autres. Ce ne fut point pour parler des tours qu'on lui jouait et dont il ne s'apercevait même pas la plupart du temps. Non! il s'agissait de P'tit-Bonhomme et des mauvais traitements auxquels il était en butte. Cette fois, cela avait été poussé si loin que, sans l'intervention de Grip, il y aurait maintenant un cadavre d'enfant que les lames rouleraient sur la grève de Salthill.

      Pour toute réponse, Grip n'obtint qu'un hochement de tête de M. O'Bodkins. Il aurait dû le comprendre, c'étaient de ces choses qui ne regardent point la comptabilité. Que diable! le grand-livre ne peut avoir une colonne pour les taloches et une autre pour les coups de pied! Cela ne saurait pas plus s'additionner, en bonne arithmétique, que trois cailloux et cinq chardonnerets. Sans doute M. O'Bodkins avait comme directeur le devoir de s'inquiéter des agissements de ses pensionnaires; mais, comme comptable, il se borna à envoyer promener le surveillant de l'école.

      A partir de ce jour, Grip résolut de ne plus perdre de vue son protégé, de ne jamais le laisser seul dans la grande salle, et, quand il sortait, il prenait soin de l'enfermer au fond de son galetas, où du moins l'enfant se trouvait en sûreté.

      Les derniers mois de l'été s'écoulèrent. Septembre arriva. C'est déjà l'hiver pour les districts des comtés du nord, et l'hiver de la haute Irlande est fait d'une succession ininterrompue de neiges, de bises, de rafales, de brouillards, venus des plaines glacées de l'Amérique septentrionale, et que les vents de l'Atlantique précipitent sur l'Europe.

      Toute l'école se pressait autour du foyer. (Page 50.)

      C'était ou jamais le moment d'aller ramasser par les rues, sur les routes, tout ce qui est susceptible de se combiner avec l'oxygène pour produire de la chaleur. Médiocre ressource, il faut le reconnaître, lorsqu'on en est réduit aux branches tombées des arbres, aux escarbilles abandonnées à la porte des maisons, aux cassures de charbon que les pauvres se disputent sur les quais de déchargement du port. Les pensionnaires de l'école s'occupaient donc à cette récolte, et combien les glaneurs étaient nombreux!

      Notre petit garçon prenait sa part de ce pénible travail. Chaque jour, il rapportait un peu de combustible. Ce n'était pas mendier, cela. Aussi, tant bien que mal, l'âtre


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