L'Espion. Dr. Juan Moisés De La Serna

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L'Espion - Dr. Juan Moisés De La Serna


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sans nous prévenir.

      Quoique les noms les plus familiers soient disparus de ma mémoire, il y a longtemps j’élaborai une méthode par laquelle je notai tous les noms, les dates et les évènements importants dans ma vie et, de temps en temps, je prends une feuille blanche et j’essaie d’écrire une liste avec tout ce dont je me rappelle encore.

      C’était un jeu d’enfants! Au moins au début… Comment allais-je oublier le nom de mes grands-enfants? Ou la date de mon mariage! Mais au fil du temps, dans mon désespoir, cette feuille que j’essayais de remplir restait de plus en plus vide, jusqu’au jour où j’oubliai même où je l’avais mis et, avec elle, j’oubliai toutes les dates, les noms et les évènements dont je croyais impossibles d’oublier.

      Je me rappelle du jour où on acheta le grille-pain qui est en cuisine. On s’était beaucoup disputé à cause de la couleur. Elle préférait le jaune citron et moi, l’argenté.

      A la fin c’est moi qui cédai, comme toujours. Mais c’est normal car dans toutes nos disputes –pour les appeler ainsi– étaient causées par des questions sans importance, alors pourquoi pas céder? Peu importait la couleur du grille-pain!

      Elle se sentait à l’aise comme ça, quand elle organisait tout à sa façon. Je n’étais pas du tout convaincu par ces couleurs criards, mais elle disait toujours «Ça va beaucoup égayer l’atmosphère!»

      Maintenant, par contre, je ne me souviens plus du moment ou il tomba en panne… comment s’était-il cassé? Ou pourquoi je ne l’utilise plus? Peu importe, ce n’est que des bricoles! Comme toutes les autres que je retrouve par tout dans la maison. Je ne sais même pas à quoi servent…

      Quand j’ouvre les tiroirs je trouve vraiment tout genre de trucs, des casseroles ici, des outils de travail par là, des boîtes vides dans l’autre… Mais quel entassement de trucs inutiles!

      Dans l’un des tiroirs je trouvai une boîte à outils qui m’appartenait, à moi, qui jamais ne touchai une ampoule! Qu’est-ce que j’allais faire en ce moment avec cela? Après quelques instants d’y réfléchir et d’essayer de me rappeler si on l’avait jamais utilisée, tout simplement je fermai le tiroir.

      Elle me manque tellement, ma femme! Si au moins je savais où elle est… Au ciel, bien entendu! Mais comment c’est loin, le ciel!

      Il est tout à fait clair qu’elle est l’une des personnes qui méritent vraiment se reposer. Elle était toujours prête à aider tout le monde dans tout ce qu’il fallait, sans la moindre lamentation et toujours avec un sourire.

      En fait, elle ne se plaignait jamais du temps qu’elle passait toute seule lorsque j’étais coincé au bureau ou quand je partais en voyage de travail pendant des semaines.

      A mon retour, elle m’attendait avec son grand sourire et, bien qu’elle savait que je ne pouvais rien lui raconter, elle me demandait avec sa voix chaude comment s’était tout passé.

      Parfois, lorsque je me lève et après m’avoir lavé et avoir fait mes exercices, je m’assieds à table dans la salle à manger et j’attends… et j’attends… et à peine je me rends compte qu’elle n’est pas là pour m’apporter le petit déjeuner, une peine insupportable m’arrive et je n’ai plus envie d’aller le préparer.

      D’ailleurs je n’aimai jamais trop être en cuisine. Je n’aime pas cuisiner. Seul quand il le fallait je donnais un coup de main et je faisais mon mieux, par exemple, pendant ces fête où il y avait plein de monde et ma femme ne pouvait pas s’en sortir.

      Je préférais mettre la table et m’occuper de la vaisselle après manger, ou aller faire les courses s’il le fallait, mais rien d’autre.

      En échange, dès qu’elle était partie et même si je traitais par tous les moyens de ne pas entrer dans «son territoire», j’avais l’impression de passer tout mon temps là-bas maintenant.

      C’est vrai que je n’avais pas réalisé du travail qu’entraînait la cuisine, toute ces heures qu’il faut investir et, en plus, sachant qu’elle ne touchera plus ces objets qui ne l’appartenaient qu’à elle.

      Beaucoup d’autres fois, je restais tout simplement en silence… en attendant d’entendre du bruit ou des rumeurs en cuisine comme ceux qu’elle faisait pendant qu’elle préparait à manger le soir, ou l’écouter chanter pendant qu’elle arrosait les plantes… mais qu’est-ce que je fais là? Je ne sais pas, mais elle me manque trop, ça c’est sûr!

      Après prendre ma retraite, je restai en contact avec mes anciens collègues parce que je voulais me tenir à la page sur tout ce qui échappait à mon contrôle, mais en dépit des efforts et des heures passées à étudier tout au long de ma vie, on dirait que le temps ne s’apitoya pas de moi.

      En réalité la liste de personnes avec qui je parle est de plus en plus petite, car certaines sont parties loin et d’autres, simplement, ne veulent rien entendre à propos des affaires du gouvernement.

      Il y a aussi d’autres qui ne sont plus dans ce monde, et je remercie la vie de m’avoir offert un autre jour, mais il fait longtemps que je ne tiens plus les comptes des jours. D’ailleurs si je ne portais pas mon bloc-notes avec moi tout le temps, je ne connaîtrais même pas le jour de mon anniversaire.

      J’écrivis les données les plus importants de ma vie dans ce petit cahier: mon nom, mon adresse, ma date de naissance, mes commissions à faire pendant la journée, les personnes à appeler si j’ai besoin de quelque chose…

      Curieusement, cette dernière liste est de plus en plus réduite, certains numéros sont déjà barrés. J’imagine qu’ils auront changé de numéro ou qu’ils seront décédés…

      Mes mémoires! Combien de fois m’auront-ils proposé de les écrire pour signaler ce que je vécus, pour raconter mon histoire aux générations à venir et qu’elles puisent tirer leurs propres conclusions. Bien entendu je ne pouvais pas le faire! Je signai une foule de contrats et de politiques de confidentialité dans lesquelles je prêtais serment de silence absolu sur tous les aspects de mon travail.

      Si je révélais l’un seul des secrets militaires dont j’avais connaissance, ce serait comme signer mon arrêt de mort.

      Je sais, cela peut sembler un peut radicale, mais il s’agit tout à fait de la vérité. J’avais déjà vu tous ces enthousiastes qui voulaient se lever, faire entendre sa voix et crier les secrets du gouvernement sur tous les toits. Je vis même des journalistes qui étaient prêts à tout publier à l’une des journaux… Après, ils disparurent tous du jour au lendemain, aussi simple que cela.

      Parfois dans des accidents de voiture ou au baignoire à la maison… Bien sûr, il s’agissait toujours des «raisons officielles» des disparitions, deux ou trois jours avant la publication des informations afin d’enlever ces personnes de sa place.

      C’est quelque chose qu’on apprit dès le premier jour: On ne plaisante pas avec le gouvernement! Ils sont au courant de tout ce qu’il se passe et les fuites son absolument interdites. Même quand il y en a certaines, c’est par sa main, parce que rien ne touche la surface sans être autorisé. Pendant tout ce temps, je ne pus que fermer la bouche et détourner le regard, faire comme si tout se passait normalement, comme si l’on n’avait pas d’autres choix pour notre société, quand ce n’est pas le cas.

      Je essayai de compiler mes propres documents pour tenir des registres d’activité, mais il ne fut jamais possible. Le moment que j’abandonnai l’armée, comme par hasard, ils confisquai tous mes effets et je n’eus droit qu’à prendre mes habits. Après tous les informations que j’avais recueilli et dans ma position, avec une maison propre dès que j’arrivai dans l’armée, maintenant je n’avais qu’une petite valise et le numéro de compte où je recevrais ma retraite pour le reste de ma vie.

      Après cela, je passai des mois dans mon bureau en cherchant à me rappeler de tout ce savoir, de toutes les données et tentant de les enregistrer pour créer mes propres archives, une


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