Monsieur Parent. Guy de Maupassant

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Monsieur Parent - Guy de Maupassant


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se mit à rire: – En attendant, tu feras bien de te taire et de ne pas troubler notre existence.

      – Oh! je ne la troublerai pas, va! Avec cet imbécile-là, il n’y a rien à craindre. Non, mais c’est incroyable que tu ne comprennes pas combien il m’est odieux, combien il m’énerve. Toi, tu as toujours l’air de le chérir, de lui serrer la main avec franchise. Les hommes sont surprenants parfois.

      – Il faut bien savoir dissimuler, ma chère.

      – Il ne s’agit pas de dissimulation, mon cher, mais de sentiments. Vous autres, quand vous trompez un homme, on dirait que vous l’aimez tout de suite davantage; nous autres, nous le haïssons à partir du moment où nous l’avons trompé.

      – Je ne vois pas du tout pourquoi on haïrait un brave garçon dont on prend la femme.

      – Tu ne vois pas?… tu ne vois pas?… C’est un tact qui vous manque à tous, cela! Que veux-tu? ce sont des choses qu’on sent et qu’on ne peut pas dire. Et puis d’abord on ne doit pas?… Non, tu ne comprendrais point, c’est inutile! Vous autres, vous n’avez pas de finesse.

      Et souriant, avec un doux mépris de rouée, elle posa les deux mains sur ses épaules en tendant vers lui ses lèvres; il pencha la tête vers elle en l’enfermant dans une étreinte, et leurs bouches se rencontrèrent. Et comme ils étaient debout devant la glace de la cheminée, un autre couple tout pareil à eux s’embrassait derrière la pendule.

      Ils n’avaient rien entendu, ni le bruit de la clef ni le grincement de la porte; mais Henriette, brusquement, poussant un cri aigu, rejeta Limousin de ses deux bras; et ils aperçurent Parent qui les regardait, livide, les poings fermés, déchaussé, et son chapeau sur le front.

      Il les regardait, l’un après l’autre, d’un rapide mouvement de l’oeil, sans remuer la tête. Il semblait fou; puis, sans dire un mot, il se rua sur Limousin, le prit à pleins bras comme pour l’étouffer, le culbuta jusque dans l’angle du salon d’un élan si impétueux, que l’autre, perdant pied, battant l’air de ses mains, alla heurter brutalement son crâne contre la muraille.

      Mais Henriette, quand elle comprit que son mari allait assommer son amant, se jeta sur Parent, le saisit par le cou, et enfonçant dans la chair ses dix doigts fins et roses, elle serra si fort, avec ses nerfs de femme éperdue, que le sang jaillit sous ses ongles. Et elle lui mordait l’épaule comme si elle eût voulu le déchirer avec ses dents. Parent, étranglé, suffoquant, lâcha Limousin, pour secouer sa femme accrochée à son col; et l’ayant empoignée par la taille, il la jeta, d’une seule poussée, à l’autre bout du salon.

      Puis, comme il avait la colère courte des débonnaires, et la violence poussive des faibles, il demeura debout entre les deux, haletant, épuisé, ne sachant plus ce qu’il devait faire. Sa fureur brutale s’était répandue dans cet effort, comme la mousse d’un vin débouché; et son énergie insolite finissait en essoufflement.

      Dès qu’il put parler, il balbutia:

      – Allez-vous-en… tous les deux… tout de suite… allez-vous-en!…

      Limousin restait immobile dans son angle, collé contre le mur, trop effaré pour rien comprendre encore, trop effrayé pour remuer un doigt. Henriette, les poings appuyés sur le guéridon, la tête en avant, décoiffée, le corsage ouvert, la poitrine nue, attendait, pareille à une bête qui va sauter.

      Parent reprit d’une voix plus forte:

      – Allez-vous-en, tout de suite… Allez-vous-en!

      Voyant calmée sa première exaspération, sa femme s’enhardit, se redressa, fit deux pas vers lui, et presque insolente déjà:

      – Tu as donc perdu la tête?… Qu’est-ce qui t’a pris?… Pourquoi cette agression inqualifiable?…

      Il se retourna vers elle, en levant le poing pour l’assommer, et bégayant:

      – Oh!… oh!… c’est trop fort!… trop fort!… j’ai… j’ai… j’ai… tout entendu!… tout!… tout!… tu comprends… tout!… misérable!… misérable!… Vous êtes deux misérables!… Allez-vous-en!… tous les deux!… tout de suite!… Je vous tuerais!… Allez-vous-en!…

      Elle comprit que c’était fini, qu’il savait, qu’elle ne se pourrait point innocenter et qu’il fallait céder. Mais toute son impudence lui était revenue et sa haine contre cet homme, exaspérée à présent, la poussait à l’audace, mettait en elle un besoin de défi, un besoin de bravade.

      Elle dit d’une voix claire:

      – Venez, Limousin. Puisqu’on me chasse, je vais chez vous.

      Mais Limousin ne remuait pas. Parent, qu’une colère nouvelle saisissait, se mit à crier:

      – Allez-vous-en donc!… allez-vous-en!… misérables!… ou bien!… ou bien!…

      Il saisit une chaise qu’il fit tournoyer sur sa tête.

      Alors Henriette traversa le salon d’un pas rapide, prit son amant par le bras, l’arracha du mur où il semblait scellé, et l’entraîna vers la porte en répétant: «Mais venez donc, mon ami, venez donc… Vous voyez bien que cet homme est fou… Venez donc!…»

      Au moment de sortir, elle se retourna vers son mari, cherchant ce qu’elle pourrait faire, ce qu’elle pourrait inventer pour le blesser au coeur, en quittant cette maison. Et une idée lui traversa l’esprit, une de ces idées venimeuses, mortelles, où fermente toute la perfidie des femmes.

      Elle dit, résolue: – Je veux emporter mon enfant.

      Parent, stupéfait, balbutia: – Ton… ton… enfant?… Tu oses parler de ton enfant?… tu oses… tu oses demander ton enfant… après… après… Oh! oh! oh! c’est trop fort!… Tu oses?… Mais va-t’en donc, gueuse!… Va-t’en!…

      Elle revint vers lui, presque souriante, presque vengée déjà, et le bravant, tout près, face à face:

      – Je veux mon enfant… et tu n’as pas le droit de le garder, parce qu’il n’est pas à toi… tu entends, tu entends bien… Il n’est pas à toi… Il est à Limousin.

      Parent, éperdu, cria: – Tu mens… tu mens… misérable!

      Mais elle reprit: – Imbécile! Tout le monde le sait, excepté toi. Je te dis que voilà son père. Mais il suffit de regarder pour le voir…

      Parent reculait devant elle, chancelant. Puis brusquement, il se retourna, saisit une bougie, et s’élança dans la chambre voisine.

      Il revint presque aussitôt, portant sur son bras le petit Georges enveloppé dans les couvertures de son lit. L’enfant, réveillé en sursaut, épouvanté, pleurait. Parent le jeta dans les mains de sa femme, puis, sans ajouter une parole, il la poussa rudement dehors, vers l’escalier, où Limousin attendait par prudence.

      Puis il referma la porte, donna deux tours de clef et poussa les verrous. À peine rentré dans le salon, il tomba de toute sa hauteur sur le parquet.

      II. Parent vécut seul, tout à fait seul…

      Parent vécut seul, tout à fait seul. Pendant les premières semaines qui suivirent la séparation, l’étonnement de sa vie nouvelle l’empêcha de songer beaucoup. Il avait repris son existence de garçon, ses habitudes de flânerie, et il mangeait au restaurant, comme autrefois. Ayant voulu éviter tout scandale, il faisait à sa femme une pension réglée par les hommes d’affaires. Mais, peu à peu, le souvenir de l’enfant commença à hanter sa pensée. Souvent, quand il était seul, chez lui, le soir, il s’imaginait tout à coup entendre Georges crier «papa». Son coeur aussitôt commençait à battre et il se levait bien vite pour ouvrir la porte de l’escalier et voir si, par hasard, le petit ne serait pas revenu. Oui, il aurait pu revenir comme reviennent les chiens et les pigeons. Pourquoi un enfant aurait-il moins d’instinct qu’une bête?

      Après avoir reconnu son erreur, il retournait s’asseoir dans son fauteuil, et il pensait au petit. Il


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