Mont Oriol. Guy de Maupassant

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Mont Oriol - Guy de Maupassant


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le dépense.

      – Oui, mais vous le dépensez avec excès.

      – Mon cher ami, j’aime autant dépenser l’argent que vous aimez le gagner. Comprenez-vous?

      – Très bien, mais vous ne le gagnez point.

      – C’est vrai. Je ne sais pas. On ne peut pas tout avoir. Vous savez le gagner, vous, et vous ne savez nullement le dépenser, par exemple. L’argent ne vous paraît propre qu’à vous procurer des intérêts. Moi, je ne sais pas le gagner, mais je sais admirablement le dépenser. Il me procure mille choses que vous ne connaissez que de nom. Nous étions faits pour devenir beaux-frères. Nous nous complétons admirablement.

      Andermatt murmura:

      – Quel toqué! Non, vous n’aurez pas cinq mille francs, mais je vous prêterai quinze cents francs… parce que… parce que j’aurai peut-être besoin de vous dans quelques jours.

      Gontran répliqua, très calme:

      – Alors je les accepte comme acompte.

      L’autre lui tapa sur l’épaule sans répondre.

      Ils arrivaient auprès du parc éclairé par des lampions pendus aux branches des arbres. L’orchestre du Casino jouait un air classique et lent, qui semblait boiteux, plein de trous et de silences, exécuté par les quatre mêmes artistes, exténués de jouer toujours, matin et soir, dans cette solitude, pour les feuilles et le ruisseau, de produire l’effet de vingt instruments, et las aussi de n’être guère payés à la fin du mois, Petrus Martel complétant toujours leur traitement avec des paniers de vin ou des litres de liqueurs que ne consommeraient jamais les baigneurs.

      À travers le bruit du concert, on distinguait aussi celui du billard, le heurt de billes et les voix annonçant: «Vingt, vingt et un, vingt-deux.»

      Andermatt et Gontran montèrent. Seuls, M. Aubry-Pasteur et le docteur Honorat buvaient leur café à côté des musiciens. Petrus Martel et Lapalme jouaient leur partie acharnée; et la caissière se réveilla pour demander:

      – Qu’est-ce que désirent ces messieurs?

      IV. Les deux Oriol avaient longtemps causé après que les petites s’étaient couchées…

      Les deux Oriol avaient longtemps causé après que les petites s’étaient couchées. Émus et excités par la proposition d’Andermatt, ils cherchaient les moyens d’allumer davantage son désir, sans compromettre leurs intérêts. En paysans précis, pratiques, ils pesaient avec sagesse toutes les chances, comprenant fort bien que, dans un pays où les sources minérales jaillissent le long de tous les ruisseaux, il ne fallait pas repousser, par une demande exagérée, cet amateur inattendu, impossible à retrouver. Et cependant il ne fallait pas non plus lui laisser entièrement entre les mains cette source qui pouvait donner un jour un flot d’argent liquide, Royat et Châtel-Guyon leur servant d’enseignement.

      Ils cherchaient donc par quels procédés ils pourraient enflammer jusqu’à la frénésie l’ardeur du banquier, ils imaginaient des combinaisons de sociétés fictives couvrant ses offres, une suite de ruses maladroites, qu’ils sentaient défectueuses sans parvenir à en inventer de plus habiles. Ils dormirent mal; puis, au matin, le père, s’étant réveillé le premier, se demanda si la source n’avait pas disparu dans la nuit. C’était admissible, après tout, qu’elle fût partie comme elle était venue, rentrée dans la terre, impossible à reprendre. Il se leva, inquiet, saisi d’une peur d’avare, secoua son fils, lui dit sa crainte; et le grand Colosse, tirant ses jambes de ses draps gris, s’habilla pour aller voir avec le père.

      En tout cas ils feraient la toilette du champ et de la source elle-même, enlèveraient les pierres, la rendraient belle, propre, comme une bête qu’on veut vendre.

      Ils prirent donc leurs pioches et leurs pelles et se mirent en route, côte à côte, de leur grand pas balancé.

      Ils allaient sans rien regarder, l’esprit préoccupé de leurs affaires, répondant par un seul mot au bonjour des voisins et des amis qu’ils rencontraient. Lorsqu’ils furent sur la route de Riom, ils commencèrent à s’émouvoir, regardant au loin s’ils apercevaient l’eau bouillonnant et luisant sous le soleil du matin. La route était vide, blanche et poudreuse, frôlée par la rivière qu’abritaient des saules. Sous l’un d’eux, tout à coup, Oriol aperçut deux pieds, puis, ayant fait trois pas de plus, il reconnut le père Clovis assis au bord du chemin, ses béquilles posées sur l’herbe, à ses côtés.

      C’était un vieux paralytique, célèbre dans tout le pays, où il rôdait depuis dix ans d’une façon pénible et lente, sur ses jambes de chêne, comme il disait, pareil à un pauvre de Callot. Ancien braconnier de bois et de ruisseaux, souvent saisi et condamné, il avait pris des douleurs à ses longs affûts couchés sur l’herbe humide et à ses pêches nocturnes dans les rivières, qu’il parcourait avec de l’eau jusqu’à mi-corps. Maintenant il geignait et déambulait à la manière d’un crabe qui aurait perdu ses pattes. Il allait, traînant par terre la jambe droite comme une loque, et la gauche relevée, pliée en deux. Mais les garçons du pays, qui couraient, à la brune, après les filles ou après les lièvres, affirmaient qu’on rencontrait le père Clovis, rapide comme un cerf et souple comme une couleuvre, sous les buissons et dans les clairières, et que ses rhumatismes n’étaient en somme que de la «farce à gendarmes». Colosse surtout s’entêtait à soutenir qu’il l’avait vu, non pas une fois, mais cinquante, tendre des collets, ses béquilles sous le bras.

      Et le vieil Oriol s’arrêta en face du vieux vagabond, l’esprit frappé par une idée encore confuse, car les conceptions étaient lentes dans sa tête carrée d’Auvergnat.

      Il lui dit bonjour; l’autre répondit bonjour. Puis ils parlèrent du temps, de la vigne fleurie, de deux ou trois choses encore; mais comme Colosse avait pris de l’avance, son père le rejoignit à grands pas.

      Leur source coulait toujours, claire maintenant, et tout le fond du trou était rouge, d’un beau rouge foncé, venu d’un abondant dépôt de fer.

      Les deux hommes se regardèrent souriants, puis ils se mirent à nettoyer les alentours, à enlever les pierres, dont ils firent un tas. Et ayant trouvé les derniers débris du chien mort, ils les enterrèrent en plaisantant. Mais soudain le vieil Oriol laissa tomber sa bêche. Un pli malin de joie et de triomphe rida les coins de sa lèvre plate et les bords de son oeil sournois; et il dit au fils:

      – Viens-t’en, pour voir.

      L’autre obéit; ils regagnèrent la route et revinrent sur leurs pas. Le père Clovis chauffait toujours au soleil ses membres et ses béquilles.

      Oriol, s’arrêtant en face de lui, demanda:

      – Veux-tu gagner une pièche de chent francs?

      L’autre, prudent, ne répondit rien.

      Le paysan reprit:

      – Hein! chent francs?

      Alors le vagabond se décida et murmura:

      – Fouchtra, quo sé damando pas!

      – Eh bien! mon païré, vlà ché qui faut faire.

      Et il lui expliqua longuement, avec des malices, des sous-entendus et des répétitions sans nombre, que s’il consentait à prendre un bain d’une heure, tous les jours, de dix à onze, dans un trou qu’ils creuseraient, Colosse et lui, à côté de sa source, et à être guéri au bout d’un mois, ils lui donneraient cent francs en écus d’argent.

      Le paralytique écoutait d’un air stupide, puis il dit:

      – Pichque tous les drougures n’ont pas pu me guori, ch’est pas votre eau qui l’ pourra.

      Mais Colosse se fâcha tout à coup.

      – Allons, vieux farcheur, tu chais, j’ la connais ta maladie, moi, on ne me la conte pas. Qué que tu faisais, lundi dernier, dans l’ bois de Comberombe, à onze heures de nuit?

      Le vieux répondit


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