Mont Oriol. Guy de Maupassant
Читать онлайн книгу.pas vrai que je t’ai crié: «Ohé, Cloviche, les gendarmes», et que t’as tourné par la chente du Moulinet?
– Ché pas vrai.
Le grand Jacques, furieux, presque menaçant, criait:
– Ah! ché pas vrai! Eh bien, vieux trois pattes, écoute: quand je t’y verrai, moi, au bois, la nuit, ou bien à l’eau, je te pincherai, t’entends bien, vu qu’ j’ai encore d’ pu longues jambes, et j’ t’attache à quéque arbre jusqu’au matin, où nous allons te r’prendre, tout le village enchemble…
Le père Oriol arrêta son fils, puis très doux:
– Écoute, Cloviche, tu peux bien échayer la chose! Nous te faijons un bain, Coloche et moi; t’y viens chaque jour, un mois durant. Pour cha, j’ te donne, non point chent, mais deux chents francs. Et puis, écoute, si t’es guori, l’ mois fini, che ch’ra chinq chents d’ plus. T’entends bien, chinq chents, en écus d’argent, plus deux chents, ça fait chept chents.
«Donc, deux chents pour le bain un mois durant, plus chinq chents pour la guérison. Et puis écoute: des douleurs cha r’vient. Si cha t’ reprend à l’automne, nous sommes pour rien, l’eau aura pas moins fait chon effet.
Le vieux répondit avec calme:
– Dans che cas-là j’ veux ben. Chi cha n’ réuchit pas, on l’ verra toujours.
Et les trois hommes se serrèrent la main pour sceller le marché conclu. Puis les deux Oriol retournèrent à leur source afin de creuser le bain du père Clovis.
Ils y travaillaient depuis un quart d’heure, quand ils entendirent des voix sur la route.
C’était Andermatt et le docteur Latonne. Les deux paysans clignèrent de l’oeil et cessèrent de creuser la terre.
Le banquier vint à eux, leur serra les mains; puis tous les quatre se mirent à regarder l’eau, sans dire un mot.
Elle remuait comme celle qui s’agite sur un grand feu, jetait ses bouillons et ses gaz, puis s’écoulait vers le ruisseau par une mince rigole qu’elle avait déjà dessinée. Oriol, un sourire d’orgueil sur les lèvres, dit tout à coup:
– Hein! y en a, du fer?
Tout le fond était déjà rouge en effet, et même les petits cailloux qu’elle baignait en s’écoulant semblaient couverts d’une sorte de moisissure pourpre.
Le docteur Latonne répondit:
– Oui, mais ça ne dit rien, ce sont ses autres qualités qu’il faut connaître.
Le paysan reprit:
– D’abord, Coloche et moi, nous en avons bu chacun un verre hier au choir, et cha nous a déjà tenu le corps fraîche. Pas vrai, fils?
Le grand gars répondit avec conviction:
– Pour chûr que cha nous a tenu le corps fraîche.
Andermatt demeurait immobile, les pieds sur le bord du trou. Il se tourna vers le médecin.
– Il nous faudrait à peu près six fois ce volume d’eau pour ce que je voudrais faire, n’est-ce pas?
– Oui, à peu près.
– Pensez-vous qu’on les trouverait?
– Oh! moi, je n’en sais rien.
– Voilà! L’achat des terrains ne pourrait s’effectuer d’une façon définitive qu’après les sondages. Il faudrait d’abord une promesse de vente notariée, une fois l’analyse connue, mais ne devant avoir son effet que si les sondages consécutifs donnent les résultats espérés.
Le père Oriol devint inquiet. Il ne comprenait pas. Andermatt alors lui expliqua l’insuffisance d’une seule source et lui démontra qu’il ne pourrait acheter réellement que s’il en trouvait d’autres. Mais il ne les pourrait chercher, ces autres sources, qu’après la signature d’une promesse de vente.
Les deux paysans parurent aussitôt convaincus que leurs champs contenaient autant de sources que de pieds de vignes. Il suffisait de creuser, on verrait, on verrait.
Andermatt dit simplement:
– Oui, on verra.
Mais le père Oriol trempa sa main dans l’eau et déclara:
– Fouchtra, elle est chaude à cuire un oeuf, bien plus chaude que chelle à Bonnefille.
Latonne à son tour y mouilla son doigt et reconnut que c’était possible.
Le paysan continua:
– Et puis elle a plus de goût et du meilleur goût; elle ne chent pas faux, comme l’autre. Oh! chelle-là, moi, j’en réponds, qu’elle est bonne! J’ les connais, les eaux du pays, depuis chinquante ans que j’ les r’garde couler. J’en ai jamais vu d’ plus belle, jamais, jamais!
Il se tut quelques secondes et reprit:
– Ché n’est pas pour faire l’article que j’ dis cha! pour chûr non. J’ voudrais faire l’épreuve d’vant vous, la vraie épreuve, pas votre épreuve de pharmachien, mais l’épreuve sur un malade. Je parie qu’elle guérirait un paralytique, chelle-là, tant qu’elle est chaude et bonne de goût, je l’ parie!
Il parut chercher dans sa tête, puis regarder au sommet des monts voisins s’il ne découvrirait pas le paralytique désiré. Ne l’ayant point découvert, il abaissa ses yeux sur la route.
À deux cents mètres de là, on distinguait, au bord du chemin, les deux jambes inertes du vagabond dont le corps était caché par le tronc du saule.
Oriol mit sa main en abat-jour sur son front et demanda à son fils:
– Ch’est pas l’ païrè Cloviche qu’est encore là?
Colosse répondit en riant:
– Oui, oui. Ch’est lui, il n’ s’en va pas chi vite qu’un lièvre.
Alors Oriol fit un pas vers Andermatt, et avec une conviction grave et profonde:
– T’nez, Monchieu, écoutez-moi. En v’là un là-bas, de paralytique, que monchieu le Docteur connaît bien, mais un vrai, qu’on n’a pas vu faire un pas d’puis diche ans. Dites-le, monchieu l’ Docteur?
Latonne affirma:
– Oh! celui-là, si vous le guérissez, je paie votre eau un franc le verre.
Puis, se tournant vers Andermatt:
– C’est un vieux goutteux rhumatisant atteint d’une sorte de contracture spasmodique de la jambe gauche et d’une paralysie complète de la droite; enfin, je crois, un incurable.
Oriol l’avait laissé dire; il reprit lentement:
– Eh bien, monchieu l’ Docteur, voulez-vous faire l’épreuve chur lui, un mois durant? Je ne dis pas que cha réuchira, je n’ dis rien, je demande cheulement à faire l’épreuve. Tenez, Coloche et moi, nous allions creuser un trou pour les pierres, eh bien, nous ferons un trou pour Cloviche; il y pachera une heure chaque matin; et puis nous verrons, là, nous verrons!…
Le médecin murmura:
– Vous pouvez essayer. Je réponds bien que vous ne réussirez pas.
Mais Andermatt, séduit par l’espérance d’une guérison presque miraculeuse, accueillit avec joie l’idée du paysan; et ils retournèrent tous les quatre auprès du vagabond toujours immobile au soleil.
Le vieux braconnier, comprenant la ruse, feignit de refuser, résista longtemps, puis se laissa convaincre, à la condition qu’Andermatt lui donnerait deux francs par jour pour l’heure qu’il passerait dans l’eau.
Et l’affaire fut conclue ainsi. Il fut même décidé qu’aussitôt le trou creusé, le père Clovis prendrait son bain ce jour-là même. Andermatt lui fournirait des vêtements pour s’habiller ensuite, et les deux Oriol lui apporteraient