La dégringolade. Emile Gaboriau

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La dégringolade - Emile Gaboriau


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autres quartiers de Paris.

      Partout la résistance était brisée, écrasée, anéantie… Peu de barricades avaient tenu. Le moment de les défendre venu, ceux qui les avaient élevées avaient disparu comme par enchantement. La troupe n'avait eu qu'à paraître pour vaincre.

      Et que pouvaient mille ou douze cents combattants sérieux contre toute une armée!..

      Blême et les mains agitées d'un frisson nerveux, M. Ducoudray tamponnait de son mouchoir son front moîte d'une sueur froide.

      – Je veux rentrer, il faut que je rentre! répétait-il avec une persistance idiote.

      Et en effet, sur les six heures, il se mit en route.

      – J'étais tellement bouleversé, disait-il plus tard, lorsqu'il racontait ses émotions en cette journée néfaste, j'avais tellement peur, que je ne craignais plus rien!

      Tout le long des boulevards, les troupes bivaquaient.

      Des feux avaient été allumés, dont les flammes mobiles projetaient sur la façade des maisons des ombres fantastiques.

      Les soldats mangeaient et buvaient gaiement, comme un soir de victoire.

      Le vin coulait. De ci et de là, on apercevait les flammes bleues du punch.

      Partout ailleurs, la vie était morne et lugubre.

      Et tout en marchant de toute la vitesse de ses jambes, le long des rues désertes:

      – Maintenant, pensait M. Ducoudray, qui donc oserait demander compte de la mort du général Delorge et de la disparition de ce pauvre Cornevin?.. Qu'est-ce d'ailleurs que deux victimes de plus ou moins lorsqu'il y en a tant?..

      Et cependant, il jugea qu'il était de son devoir, avant de rentrer chez lui, de passer chez Mme Delorge.

      Il la trouva, comme la veille, dans son salon, entre ses enfants, si calme qu'il pensa qu'elle ne savait rien.

      – Pauvre madame, lui dit-il, tout est fini pour vous. Le coup d'État est fait. M. de Combelaine, à cette heure, est tout-puissant.

      IX

      L'excellent M. Ducoudray devait être bon prophète, cette fois…

      Jamais, de mémoire d'homme, Paris n'avait été si triste ni si morne que le vendredi 5 décembre, le lendemain de la sanglante catastrophe.

      Les boulevards continuaient à être occupés militairement. La circulation des voitures y était interdite. Des factionnaires, le fusil chargé, veillaient aux angles de toutes les rues. De la Bastille à la Madeleine, maisons et magasins demeuraient fermés.

      Et cependant, tel est le tempérament de Paris, que vers midi, la foule afflua de nouveau…

      De distance en distance des groupes se formaient devant de larges couches de sable jaune répandues sur la chaussée… Là, il y avait eu la veille des mares de sang.

      On s'arrêtait aussi en face de l'hôtel Sallandrouze, tout mutilé par les boulets, et qu'il avait fallu étayer, tant il menaçait ruine.

      Mais c'est devant la cité Bergère, rue du Faubourg-Montmartre, que les rassemblements étaient le plus compacts.

      La grille de fer de la cité était fermée, mais à travers les barreaux on apercevait, rangés côte à côte sur le trottoir, la tête contre le mur, trente-cinq ou quarante cadavres.

      C'étaient des malheureux qui, tombés la veille sur le boulevard, n'avaient été ni réclamés, ni reconnus encore. La plupart portaient le costume de la bourgeoisie. Trois femmes étaient parmi eux.

      – Spectacle salutaire!.. murmuraient quelques apologistes du coup d'État, qui commençaient à se montrer depuis que le succès n'était plus douteux.

      Et, en effet, le peuple français eût été vraiment incorrigible, si après un tel spectacle il eût hésité à se déclarer suffisamment sauvé.

      Il n'hésita pas…

      Et le plébiscite, auquel le sauveur Louis-Napoléon demanda s'il méritait une récompense, lui répondit par plus de sept millions de oui contre moins de sept cent mille non.

      Désormais, la curée pouvait commencer. On parlait de M. de Maumussy pour un portefeuille. M. de Combelaine, plus comte que jamais, était désigné pour un poste éminent. M. Coutanceau annonçait la mise en actions d'un grand établissement de crédit, favorisé d'immenses privilèges…

      Cependant, nul ne suivait le cours naturel de tous ces événements d'un œil plus inquiet que M. Ducoudray…

      C'en était fait, depuis le 2 décembre, du repos du bonhomme.

      Lui qui portait la tête si haute avant, qui possédait au superlatif cette belle assurance que donnent dix ou quinze mille livres de rentes légitimement gagnées, il allait le nez baissé depuis, arrondissant le dos, timide et l'œil toujours aux aguets.

      Ce secret qu'il possédait de la mort du général Delorge, pesait sur son existence d'un poids intolérable.

      Et lorsqu'il voyait se succéder les mesures arbitraires ou violentes des vainqueurs, lorsqu'il voyait à l'œuvre les commissions mixtes, ingénieux et expéditif perfectionnement des cours prévôtales, il se sentait glacé jusqu'à la moelle des os.

      – Mon Dieu! suppliait-il, faites qu'on m'oublie!..

      Certes, il eût été bien moins inquiet s'il eut pu amener Mme Delorge à s'incliner sous l'immense malheur qui l'avait frappée.

      Mais c'est en vain qu'il épuisait son éloquence à lui prêcher la résignation.

      – Le triomphe des méchants ne saurait être de longue durée, répondait-elle invariablement. Un édifice dont la première pierre a été scellée avec du sang s'écroulera tôt ou tard misérablement…

      Alors le bonhomme lui conseillait d'attendre, de patienter, de remettre sa vengeance à des jours plus prospères.

      Que gagnerait-elle à élever la voix en ce moment? Rien. Sa voix ne serait entendue que de ses ennemis, c'est-à-dire de gens intéressés à lui imposer silence.

      A ces perpétuelles remontrances, Mme Delorge ne répondait rien.

      Seulement, à tous les repas, le couvert du général était mis comme s'il eût été encore vivant et elle avait déclaré qu'il en serait ainsi jusqu'au jour où elle aurait obtenu justice.

      – Cette place vide, disait-elle, nous rappellerait notre devoir, à mes enfants et à moi, si nous étions assez faibles et assez lâches pour l'oublier.

      Positivement, M. Ducoudray finissait par prendre la pauvre femme en grippe.

      Ah! ils étaient loin, ces projets d'union qui lui avaient tant tenu au cœur!

      – Elle est folle à lier! se disait-il quelquefois. Jamais on n'a vu un entêtement aussi ridicule!..

      Il eût fallu à Mme Delorge bien peu de pénétration pour ne pas discerner ce qui se passait dans l'esprit de son vieux voisin.

      Cependant, elle ne lui en voulait pas…

      Et si elle ne lui disait rien de ses desseins, c'est qu'elle n'en avait pas d'arrêtés.

      Pour le moment, il ne lui paraissait pas possible d'obtenir justice par les voies ordinaires, et elle attendait que le calme fût rétabli pour déposer une plainte en règle au parquet.

      Qu'en résulterait-il? Une enquête, vraisemblablement.

      Eh bien! une enquête, dût-elle aboutir à une ordonnance de non-lieu, aurait toujours cet avantage de lui apprendre, d'une façon positive et certaine, le nom de l'adversaire, c'est-à-dire, selon elle, de l'assassin de son mari… Jusqu'ici, sa conviction de la culpabilité du comte de Combelaine n'était appuyée d'aucune preuve matérielle.

      Mais avant de la déposer, cette plainte, il importait de savoir s'il fallait renoncer définitivement à la déposition de l'unique témoin de la mort du général…

      Cornevin n'avait-il pas reparu


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