La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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une position honorable. Seul, sans appui, sans famille, au milieu de ce Paris si corrompu, quels dangers ne court-il pas!..»

      Là, chère dame, s’arrêtait votre lettre. Mais le nom et l’adresse s’y trouvaient. C’en était assez pour comprendre, c’en était trop, avouez-le, pour ne pas émoustiller ma curiosité. Vous souvient-il de notre attitude à votre retour?.. En vous apercevant que vous aviez oublié cette lettre commencée, vous avez pâli et m’avez regardé. – «Avez-vous lu, avez-vous compris?» disaient vos yeux. Les miens vous répondirent: «Oui, mais je me tairai…»

      – Je me tairai de même, dit Mme d’Argelès.

      M. de Coralth lui prit la main qu’il porta à ses lèvres.

      – Je savais bien que nous nous entendrions, fit-il gravement… Je ne suis pas méchant, au fond, croyez-le bien, et si j’avais eu des rentes ou seulement une mère comme vous…

      Elle détourna la tête, craignant peut-être que M. de Coralth ne lût dans ses yeux ce qu’elle pensait de lui; puis, après une pause, et avec l’accent de la prière:

      – Maintenant que me voilà votre complice, fit-elle, laissez-moi vous supplier de tout faire pour empêcher la… scène de cette nuit de s’ébruiter…

      – Impossible.

      – Si ce n’est pour M. Férailleur, que ce soit pour sa mère, du moins, cette pauvre femme veuve…

      – Il faut que Pascal disparaisse!

      – Comme vous dites cela! Vous le haïssez donc, bien?.. Que vous a-t-il fait?

      – A moi personnellement?.. Rien. Et même je me sentais pour lui une véritable sympathie…

      Mme d’Argelès fut comme pétrifiée.

      – Quoi!.. bégaya-t-elle; ce n’est pas… pour votre compte que vous avez… agi.

      – Mon Dieu!.. non.

      Révoltée, elle se redressa, et d’une voix où vibrait le mépris et l’indignation:

      – Ah!.. c’est encore plus infâme, s’écria-t-elle; c’est encore plus lâche…

      Mais elle s’arrêta, épouvantée de l’éclair de menace qui traversa les yeux de M. de Coralth.

      – Trève de vérités désagréables, dit-il froidement. Si nous nous mettons à échanger l’opinion que nous avons l’un de l’autre, nous en arriverons vite à de très-vilains mots… Pensez-vous que j’aie agi pour mon plaisir!.. Jamais je n’ai tant pris sur moi qu’au moment où je glissais sur les cartes des «portées» préparées. Si on m’eût aperçu, cependant!.. j’étais perdu…

      – Et vous croyez que personne ne vous soupçonne?..

      – Personne… J’ai perdu plus de cent louis… Si Pascal était de notre monde, on s’inquiéterait peut-être, mais demain il sera oublié…

      – Et lui, ne se doutera-t-il de rien?

      – Il n’aurait pas de preuves à fournir, dans tous les cas…

      Mme d’Argelès paraissait prendre son parti de ce qui arrivait.

      – J’espère au moins, dit-elle, que vous me direz qui est l’ami que vous avez obligé.

      – Pour cela, non!.. répondit M. de Coralth.

      Et, consultant sa montre:

      – Mais je m’oublie! s’écria-t-il. J’oublie que cet idiot de Rochecote attend son coup d’épée… Allez dormir, chère dame, et… au revoir.

      Elle l’accompagna jusque sur le palier.

      – Il est clair, pensait-elle, qu’il va courir chez l’ennemi de M. Férailleur…

      Et, appelant son domestique de confiance:

      – Vite, Jobin, lui dit-elle, suivez M. de Coralth, je veux savoir où il va… et surtout, prenez garde qu’il ne vous voie…

      V

      S’il est, à Paris, une rue paisible et silencieuse, asile rare de l’étude et de la méditation, c’est, assurément, cette belle et large rue d’Ulm, qui commence à la place du Panthéon et se termine brusquement à la rue des Feuillantines.

      Les magasins y sont peu somptueux et si rares qu’on les compterait.

      Il y a un marchand de vin, à gauche, à l’angle de la rue de la Vieille-Estrapade; puis la petite boutique de «La Jeunesse,» puis une blanchisseuse et un relieur. On trouve à droite l’imprimerie du «Bulletin de l’Observatoire,» un marchand de bois nommé Chanson, un serrurier, un fruitier, un boulanger… et c’est quasi tout.

      Le reste de la rue est occupé par de vastes établissements à façades austères entourés de jardins. C’est le couvent des «Sœurs de la Croix,» et ensuite la maison des «Dames de l’Adoration réparatrice du Sacré-Cœur.» Plus loin, vers la rue des Feuillantines, on reconnaît l’École Normale, et en face un dépôt de la Compagnie des Omnibus.

      Le jour, on n’y rencontre guère que des physionomies graves: des prêtres, des savants, des professeurs, des employés des bibliothèques. Tout le mouvement vient des chevaux du dépôt, et si on entend quelques éclats de rire sonores, c’est que c’est sortie à l’École Normale.

      La nuit venue, on s’y croirait à cent lieues du boulevard Montmartre et de l’Opéra, dans quelque bonne vieille ville de province, à Poitiers, par exemple. Et c’est à peine si en prêtant bien l’oreille on y recueille un écho affaibli du tapage de Paris viveur.

      C’est dans cette rue – au bout du monde, disait M. de Coralth – que Pascal Férailleur demeurait avec sa mère.

      Ils occupaient au second étage, un joli appartement de cinq pièces ayant vue sur des jardins.

      Leur loyer était élevé. Ils payaient 1,400 francs. Mais c’était là un sacrifice imposé par la profession de Pascal. Ne lui fallait-il pas un cabinet et un petit salon d’attente pour les clients?..

      Pour le reste, la vie de la mère et du fils était étroite et simple. Tout leur service se composait d’une femme de ménage qui venait le matin à sept heures pour le gros ouvrage, se retirait à midi et ne revenait que le soir pour le dîner.

      Mme Férailleur se chargeait du reste, ne rougissant nullement d’aller ouvrir quand un client sonnait.

      Elle pouvait d’ailleurs le faire sans crainte de méprise, tant son extérieur digne imposait le respect.

      En la comparant à un «portrait de famille,» M. de Coralth avait fait preuve de jugement. Elle était telle en effet qu’on aime à se représenter les femmes de la vieille bourgeoisie, épouses chastes et aimantes, mères incomparables, qui apportaient le bonheur au foyer de l’homme qu’elles avaient choisi.

      A cinquante ans qu’elle venait d’avoir, Mme Férailleur paraissait son âge. Elle avait souffert. Un observateur reconnaissait la trace des larmes au pli de ses paupières, et ses lèvres trahissaient de cruelles douleurs héroïquement supportées.

      Elle n’était pas sévère, cependant, ni même trop grave. Souvent les rares amis qu’elle admettait à son intimité se retiraient émerveillés de son esprit.

      C’était d’ailleurs une de ces femmes qui n’ont pas d’histoire, qui ont fait leur bonheur de ce que d’autres appellent leur devoir.

      Une courte phrase résume sa vie: elle avait aimé, elle s’était dévouée.

      Fille d’un modeste employé des finances, elle avait épousé, avec 3,000 francs de dot, un jeune homme pauvre comme elle, mais intelligent et laborieux, qu’elle aimait et qui l’adorait…

      Ce jeune homme, en se mariant, s’était juré qu’il ferait fortune, non qu’il tînt à l’argent, grand Dieu!.. mais pour parer de toutes les superfluités de luxe son idole, sa femme.

      Nul


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