La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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de le sauver… Oh! ne niez pas…

      Il se leva, et du plus beau sang-froid:

      – Je ne nie rien, chère dame, répondit-il… absolument rien. De vous à moi, bien entendu…

      Confondue de tant d’impudence, Mme d’Argelès resta un moment interdite.

      – Vous avouez!.. fit-elle enfin. Vous osez avouer!.. Vous ne craignez donc pas que je dise hautement et à tous ce que j’ai vu!..

      Il haussa les épaules.

      – On ne vous croirait pas… fit-il.

      – On me croirait, monsieur de Coralth, parce que je donnerais des preuves. Vous avez donc oublié que je vous connais, que votre passé n’a pas de secret pour moi, que je sais qui vous êtes et quel nom déshonoré vous cachez sous votre nom et votre titre d’emprunt!.. Je puis dire, moi, comment vous vous êtes marié, comment après avoir lâchement abandonné votre femme et votre enfant, vous les laissez mourir de misère et de faim… Je puis dire d’où vous tirez les trente ou quarante mille francs que vous dépensez par an… Vous ne vous souvenez donc plus de tout ce que Rose m’a raconté… monsieur… Paul!..

      Elle avait frappé à la bonne place, cette fois, et si juste que M. de Coralth devint livide et eut un mouvement furieux comme pour se précipiter sur elle…

      – Ah! prenez garde!.. s’écria-t-il, prenez garde!..

      Mais ce ne fut qu’un éclair. Il redevint impassible, et d’un ton de persiflage:

      – Et après?.. Pensez-vous que le monde ne soupçonne pas tout ce que vous prétendez lui révéler? On m’a, pardieu, accusé de bien d’autres choses!.. Quand vous aurez bien crié sur les toits que je suis un aventurier, on vous rira au nez, et je n’en serai ni mieux ni plus mal vu… Ce qui écraserait dix hommes honnêtes, comme Pascal Férailleur ne m’effleurerait même pas… Je suis dans le mouvement, moi!.. Il me faut le luxe, le plaisir, la grande vie, tout ce qui est bon et beau… et dame! pour me procurer tout cela, je fais de mon mieux… Assurément, je ne tire pas mes revenus de fermes en Brie, mais j’ai de l’argent, c’est l’essentiel… Ne sommes-nous pas au temps des absolutions? Chacun donne la sienne de crainte d’avoir besoin de celle du voisin. La vie est si dure et l’appétit si grand, que nul ne sait au juste, la veille, ce qu’il fera… ou plutôt ce qu’il ne fera pas le lendemain… Enfin, le nombre des gens à mépriser a rendu le mépris impossible… Un Parisien qui aurait l’absurde prétention de ne donner la main qu’à des irréprochables risquerait à certains jours de se promener des heures entières sur le boulevard sans trouver… l’occasion de sortir ses mains de ses poches.

      Mais c’était là forfanterie pure, de la part de M. de Coralth… Mieux que personne il savait combien était fragile et menacée la base de sa vie fastueuse, toute de dehors et d’apparence.

      Assurément, le monde est devenu d’une lamentable indulgence pour les existences douteuses, le monde ferme les yeux; il ne sait pas, il ne veut pas savoir… Raison de plus pour se montrer impitoyable, dès qu’un fait précis déchire la fiction…

      Aussi, tout en affichant la plus impudente sécurité, M. de Coralth observait-il d’un œil anxieux l’attitude de Mme d’Argelès.

      Et quand il la vit abasourdie de son cynisme:

      – Du reste, reprit-il, nous gaspillons notre temps, comme dit le baron, à nous préoccuper de suppositions improbables et même impossibles… Je connais assez votre cœur et votre intelligence, chère madame, pour être parfaitement sûr que vous ne soufflerez mot…

      – Qui donc m’en empêcherait?

      – Moi!.. et par moi, j’entends la raison qui a glacé la vérité sur vos lèvres, quand Pascal, innocent, vous adjurait de venir à son secours… Il faut me pardonner beaucoup, chère madame… Ma mère, malheureusement, était une honnête femme qui ne m’a pas gagné de rentes…

      Mme d’Argelès recula, comme si elle eût vu, devant elle, se dresser un reptile…

      – Que voulez-vous dire? balbutia-t-elle.

      – Eh!.. vous le savez aussi bien que moi!..

      – Je ne sais rien; expliquez-vous…

      Il eut le geste impatient de l’homme forcé de répondre à des questions oiseuses, et d’un air d’hypocrite commisération:

      – Vous le voulez, dit-il, soit… Je connais de par le monde à Paris, rue du Helder, pour être précis, un charmant garçon dont j’ai souvent envié le sort. Rien ne lui a manqué depuis qu’il a pris la peine de naître… A Louis-le-Grand, il avait pour ses menus plaisirs trois fois autant d’argent que les plus riches élèves… Ses études terminées, un précepteur l’est venu trouver, les poches pleines d’or, pour le conduire en Italie, en Egypte, en Grèce… En ce moment, il fait son droit, et tous les trois mois, avec une invariable exactitude, une lettre de Londres lui apporte cinq mille francs. C’est d’autant plus merveilleux que ce garçon ne se connaît ni père ni mère… Il est seul ici-bas, avec ses vingt mille livres de rentes… Je l’ai entendu dire en riant que quelque bonne fée veille sur lui, mais je sais que sérieusement il se croit le fils naturel de quelque grand seigneur anglais… Parfois même, entre amis, après boire, il parle de se mettre à la recherche de son noble père, le lord…

      L’effet qu’il produisait devait rassurer M. de Coralth. Mme d’Argelès, dès les premiers mots, s’était laissée tomber, comme assommée, sur une chaise longue.

      – Donc, chère madame, poursuivit-il, si jamais fantaisie vous prenait de me faire de la peine, j’irais trouver ce charmant garçon. «Mon bonhomme, lui dirais-je, vous vous abusez singulièrement… Ce n’est pas de la cassette d’un pair d’Angleterre que sortent vos revenus, mais simplement d’une bonne petite «cagnotte» que je connais bien, pour l’avoir à l’occasion engraissée de mes vingt sous.» Et s’il se fâchait, s’il regrettait ses illusions aristocratiques: «Vous avez tort, ajouterais-je, car si le grand seigneur s’évanouit, la bonne fée reste, laquelle n’est autre que madame votre mère, une digne personne, allez! à qui votre éducation et vos rentes donnent bien du tintouin.» Et s’il doutait, je le conduirais chez sa maman, par une nuit de baccarat nerveux, et ce serait une scène de reconnaissance digne du talent de Fargueil.

      Tout autre que M. de Coralth eût eu pitié de Mme d’Argelès. Elle agonisait.

      – Voilà donc ce que je craignais!.. gémissait-elle d’une voix à peine intelligible.

      Lui l’entendit, cependant.

      – Quoi!.. fit-il, du ton le plus surpris, véritablement vous doutiez?.. Non, je ne puis l’admettre, ce serait faire injure à votre expérience… Des gens comme nous ont-ils donc besoin de se parler pour s’entendre?.. Aurais-je jamais songé à ce que j’ai osé chez vous, si je n’avais tenu le secret de vos tendresses maternelles, de votre délicatesse et de votre dévouement…

      Elle pleurait… de grosses larmes silencieuses roulaient le long de son visage immobile, traçant un large sillon sur sa joue, à travers la poudre de riz…

      – Il sait tout, murmurait-elle, il sait tout!..

      – Oh!.. bien involontairement, je vous jure… N’aimant point, par caractère, qu’on fourre le nez dans mes affaires, je ne me mêle jamais de celles des autres… Le hasard a tout fait… C’était par une belle après-dînée d’avril, je venais vous chercher pour faire un tour de bois. J’entre justement dans ce boudoir où nous sommes, vous étiez en train d’écrire… Je m’asseois pour vous laisser finir, mais voilà qu’on vous appelle pour je ne sais quoi de très-pressé, et vous sortez précipitamment… Comment l’idée m’est-elle venue de m’approcher de votre table?.. c’est ce que je ne m’explique pas. Toujours est-il que je me suis approché et que j’ai lu votre lettre interrompue. Parole d’honneur, elle m’a touché, et la preuve, c’est que je me la rappelle presque textuellement. Jugez plutôt:

      «Cher monsieur, écriviez-vous


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