La vie infernale. Emile Gaboriau

Читать онлайн книгу.

La vie infernale - Emile Gaboriau


Скачать книгу
et s’adressant au greffier:

      – Prenez les noms de tout le monde, dit-il, ce sera long, et je vais pendant ce temps continuer les perquisitions.

      On n’avait, en effet, en vue que la tablette du secrétaire, et les tiroirs restaient à examiner.

      Dès le premier qu’il ouvrit, le juge put reconnaître l’exactitude des renseignements qui lui avaient été fournis par Mlle Marguerite.

      Il y prit connaissance de la grosse d’un acte, lequel établissait que M. de Chalusse avait emprunté au Crédit foncier huit cent cinquante mille francs. Cette somme lui avait été versée le samedi qui avait précédé sa mort.

      Au-dessous de cet acte, était un bordereau d’agent de change, signé Pellé, constatant que le comte avait fait vendre à la Bourse des titres de plusieurs sortes, rentes et actions, dont le montant s’était élevé à quatorze cent vingt-trois mille francs, qui lui avaient été remis l’avant-veille, c’est-à-dire le mardi, partie en billets de banque, et partie en bons sur «divers.»

      C’était donc une somme totale de deux millions deux cent soixante-treize mille francs que M. de Chalusse avait reçue depuis six jours…

      Dans un tiroir qu’on ouvrit ensuite, on ne découvrit rien que des titres de propriété, des baux et des liasses d’actions qui attestaient que la rumeur publique avait diminué plutôt qu’exagéré les immenses revenus du comte, mais qui rendaient difficile à expliquer l’emprunt qu’il avait contracté.

      Un dernier tiroir renfermait vingt-huit mille francs en rouleaux de pièces de vingt francs.

      Enfin, dans une cachette, pratiquée entre les compartiments et dont le magistrat sut faire jouer le secret, il trouva un paquet de lettres jaunies, liées par un large velours bleu, trois ou quatre bouquets desséchés, et un gant de femme qui avait été porté par une main d’une merveilleuse petitesse.

      C’étaient là, évidemment, les froides reliques de quelque grand amour éteint depuis bien des années, et le magistrat les examina un moment avec un soupir…

      Même son attention l’empêcha de remarquer le trouble de Mlle Marguerite… A la vue de ces souvenirs du passé du comte, soudainement exhumés, elle avait été près de défaillir…

      Cependant l’examen du secrétaire était terminé, et le greffier avait enregistré le nom et les prénoms de tous les domestiques.

      – Je vais, reprit à haute voix le juge, procéder à l’apposition des scellés… Mais avant je distrairai une portion de l’argent qui se trouve dans ce meuble, pour les dépenses de l’hôtel, jusqu’à ce que le tribunal ait statué. Qui s’en chargera?

      – Oh! pas moi… s’écria Mme Léon.

      – Je m’en chargerai volontiers, fit M. Casimir.

      – Voici donc huit mille francs, dont vous aurez à rendre compte…

      M. Casimir, homme prudent, vérifia les rouleaux, et quand il eut fini:

      – Qui donc, monsieur, demanda-t-il, s’occupera des obsèques de feu M. le comte?

      – Vous… et sans perdre une minute.

      Fier de son importance nouvelle, le valet de chambre se hâta de sortir, un peu consolé par l’idée qu’il allait déjeuner avec M. Isidore Fortunat, et qu’ensuite il partagerait une grasse commission avec Victor Chupin.

      Déjà le juge avait repris sa dictée:

      «Et à l’instant, nous avons successivement apposé des scellés aux deux bouts de bandes de rubans de fil blanc, scellés en cire rouge ardente, empreints du sceau de notre justice de paix, savoir:

      «DANS LA CHAMBRE SUS-DÉSIGNÉE DU DÉFUNT:

      «1º Une bande de ruban couvrant l’entrée de la serrure d’un secrétaire, ouvert par un serrurier requis par nous, et refermée par ledit…»

      Et ainsi, le magistrat et son greffier poursuivaient de meuble en meuble, décrivant l’opération au procès-verbal, à mesure qu’elle s’accomplissait.

      De la chambre à coucher du comte, ils étaient passés dans son cabinet de travail.

      Et Mlle Marguerite et Mme Léon suivaient, et aussi les domestiques, étonnés d’abord, puis émus, de ces tristes et nécessaires formalités, glacés de voir ainsi fouillée jusqu’en ses recoins intimes et sacrés, l’existence de l’homme qui avait été le maître en cette princière demeure, et dont le corps était encore là… car ces perquisitions ont quelque chose de plus cruel encore que l’autopsie pratiquée par les chirurgiens. Le cadavre est insensible, on le sait bien, tandis qu’on se demande si la pensée ne palpite pas longtemps encore là où elle a vécu.

      A midi, tous les meubles avaient été fouillés où on pouvait supposer que M. de Chalusse avait déposé ses valeurs ou un testament, et on n’avait rien trouvé… rien… rien…

      Le magistrat, jusqu’à ce moment, avait procédé avec cette âpre impatience qui, pendant les longues perquisitions, gagne les esprits les plus froids.

      Il avait mis à tout bouleverser une précipitation nerveuse, résultant de cette conviction que les objets qu’il recherchait étaient là, à sa portée, sous sa main, lui crevant pour ainsi dire les yeux.

      Car il était plus que persuadé, il était sûr – ou sa pratique des hommes n’eût pas été l’expérience – il eût juré que le comte de Chalusse avait pris toutes les dispositions naturellement indiquées aux vieillards isolés, qui n’ont point de parents habiles à recueillir leur succession, et qui ont placé leur affection et l’intérêt de leur vie hors de la famille légitime…

      Et lorsqu’il dut s’arrêter, quand il fut à bout d’investigations, son geste fut celui de la colère bien plus que celui du découragement; l’évidence apparente n’ébranlant nullement son opinion.

      Aussi, restait-il immobile, l’œil arrêté sur le chaton de sa bague, comme s’il en eût attendu quelque miraculeuse inspiration, lui révélant le secret d’une cache ignorée de tous.

      – Car le comte n’est ici coupable que de trop de précautions, grommelait-il entre haut et bas, j’en mettrais un doigt au feu… Cela se voit souvent et était dans la nature de l’homme, d’après ce que j’en sais…

      Mme Léon leva les bras au ciel.

      – Ah! oui, c’était bien dans sa nature, approuva-t-elle. Jamais, du grand jamais il ne se vit personne de si méfiant sous le soleil… non pour l’argent, grand Dieu!.. car il en laissait traîner partout, mais pour les papiers… Il tenait les siens sous trois tours de clef, comme s’il eût craint qu’il ne s’en évaporât quelque secret terrible… c’était une manie. Dès qu’il avait seulement une lettre à écrire, il se barricadait comme pour commettre un crime… Que de fois je l’ai vu, moi qui vous parle, que de fois…

      Le reste expira dans son gosier, encore qu’elle restât béante, l’œil écarquillé, toute abasourdie, comme une personne qui a failli mettre le pied dans quelque grand trou…

      Un mot de plus, et tout doucement, sans s’en apercevoir, elle allait confesser une de ses manies les plus chères, qui était d’écouter et de regarder aux serrures des portes qui lui étaient fermées…

      Du moins crut-elle que cette légère intempérance d’une langue trop prompte, avait échappé au juge de paix.

      Il ne paraissait s’inquiéter que de Mlle Marguerite, laquelle, en apparence, sinon en réalité, avait repris cette réserve un peu froide et la résignation attristée qui lui étaient habituelles.

      – Vous le voyez, mademoiselle, lui disait-il, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir… Désormais, il faut nous en remettre au hasard des perquisitions et de l’inventaire… Qui sait quelles surprises nous réserve l’exploration de cet immense hôtel, dont nous n’avons encore visité que trois pièces.

      Elle


Скачать книгу