Le Rhin, Tome III. Victor Hugo

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Le Rhin, Tome III - Victor Hugo


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siècle, l'échafaud aussi a perdu sa majesté et sa grandeur; il est de sapin, comme le trône.

      Ainsi qu'Aix-la-Chapelle, Mayence a eu un évêque, un seul, nommé par Napoléon, digne et respectable pasteur, dit-on, qui a siégé de 1802 à 1818, et qui est enterré, comme les autres, dans ce qui fut sa cathédrale. Cependant, il faut en convenir, en présence du majestueux néant des électeurs archiépiscopaux de Mayence, c'est un néant bien pauvre et bien petit que celui de M. Louis Colmar, évêque du département du Mont-Tonnerre, dans sa tombe ogive en style troubadour, laquelle serait un admirable modèle de pendule gothique pour les bourgeois riches de la rue Saint-Denis, si l'on y avait ajusté un cadran au lieu d'un évêque. Du reste, ainsi que je le disais tout à l'heure, ce chétif évêque, qui avait en lui cela de grand qu'il était un fait révolutionnaire, a tué l'archevêque souverain. Depuis M. Louis Colmar, il n'y a plus qu'un évêque à Mayence, aujourd'hui capitale de la Hesse rhénane.

      J'ai trouvé la aussi un couple arcadien d'archevêques frères, enterrés vis-à-vis l'un de l'autre, après avoir régné sur le même peuple et gouverné les mêmes âmes, l'un en 1390, et l'autre en 1419. Jean et Adolphe de Nassau se regardent dans la nef de Mayence comme Adolphe et Antoine de Schauenbourg dans le chœur de Cologne.

      J'ai dit que l'un des quarante-trois tombeaux était du huitième siècle. Ce monument, qui n'est pas d'un archevêque, est celui que j'ai cherché d'abord et qui m'a arrêté le plus longtemps, car il s'accouplait dans ma pensée au grand sépulcre d'Aix-la-Chapelle. C'est la tombe de Fastrada, femme de Charlemagne. La tombe de Fastrada est une simple lame de marbre blanc aujourd'hui enchâssée dans un mur. J'ai déchiffré cette épitaphe, écrite en lettres romaines avec les abréviations byzantines:

FASTRADANA PIA CAROLI CONIVX VOCITATACHRISTO DILECTA IACET HOC SVB MARMORE TECTAANNO SEPTENGENTESIMO NONAGESIMO QVARTO

      Puis viennent ces trois vers mystérieux:

QVEM NVMERVM METRO CLAVDERE MVSA NEGATREX PIE QVEM GESSIT VIRGO LICET HIC CINERESCITSPIRITVS HÆRES SIT PATRIE QVÆ TRISTIA NESCIT

      Et au-dessous le millésime en chiffres arabes:

      

      C'est en 794, en effet, que Fastrada, déposée d'abord dans l'église de Saint-Alban, s'est endormie sous cette lame. Mille ans après, car l'histoire mêle quelquefois aux grandes choses une effrayante précision géométrique, en 1794, la compagne de Charlemagne s'est réveillée. Sa vieille ville de Mayence était bombardée, son église de Saint-Alban croulait dans l'incendie, sa tombe était ouverte. On ne sait ce que ses ossements sont devenus à cette époque. La pierre de son tombeau a été transportée dans la cathédrale.

      Aujourd'hui un pauvre bon vieux Suisse en perruque aventurine, vêtu d'une espèce d'uniforme d'invalide, raconte cela aux passants.

      Outre les tombeaux, les châssis à statuettes, les tableaux-volets à fond d'or, les bas-reliefs d'autels, chacune des deux absides a son ameublement spécial. La vieille abside de 978, ornée de deux charmants escaliers byzantins, s'arrondit autour d'une magnifique urne baptismale en bronze du quatorzième siècle. Sur la face extérieure de cette vaste piscine sont sculptés les douze apôtres et saint Martin, patron de l'église. Le couvercle a été brisé pendant le bombardement. Sous l'Empire, époque de goût, on a coiffé la vasque gothique d'une espèce de casserole.

      L'autre abside, la plus grande et la moins ancienne, est occupée et, pour ainsi dire, encombrée par une grosse boiserie de chœur en chêne noir où le style tourmenté et furieux du dix-huitième siècle se déploie et s'insurge contre la ligne droite avec tant de violence, qu'il atteint presque la beauté. Jamais on n'a mis au service du mauvais goût un ciseau plus délicat, une fantaisie plus puissante, une invention plus variée. Quatre statues, Crescentius, premier évêque de Mayence en 70; Boniface, premier archevêque en 755; Willigis, premier électeur en 1011, et Bardo, fondateur du Dôme en 1050, se tiennent gravement debout sur le pourtour du chœur, dominé au-dessus du dais asiatique de l'archevêque par le groupe équestre de saint Martin et du pauvre. A l'entrée du chœur se dressent, dans toute la pompe mystérieuse du grand prêtre hébraïque, Aaron, qui représente l'évêque du dedans, et Melchisédech, qui figure l'évêque du dehors.

      L'archevêque de Mayence, comme les princes-évêques de Worms et de Liége, comme les archevêques de Cologne et de Trèves, comme le pape, réunissait dans sa personne le double pontife. Il était à la fois Aaron et Melchisédech.

      C'est une sombre et superbe halle romane que la salle capitulaire qui avoisine le chœur et qui répète avec la splendide menuiserie Pompadour l'antithèse des deux gros clochers. Là, rien qu'un grand mur nu, un pavé poudreux bossué par les reliefs des tombes, un reste de vitrail à la fenêtre basse, un tympan colorié figurant saint Martin, non en cavalier romain, mais en évêque de Tours; trois grandes sculptures du seizième siècle, qui sont le Crucifiement, la Sortie du tombeau et l'Ascension; autour de la salle un banc de pierre pour les chanoines, et au fond, pour l'archevêque-président, une large sellette aussi en pierre, qui rappelle cette sévère chaise de marbre des premiers papes qu'on garde à Notre-Dame-des-Doms d'Avignon. Et, si l'on soit de cette salle, on entre dans le cloître, cloître du quatorzième siècle, qui de tout temps a été un lieu austère et qui est aujourd'hui un lieu lugubre. Le bombardement de 94 est là écrit partout. De grandes herbes humides, parmi lesquelles moisissent des pierres argentées par la bave des reptiles; des arcades-ogives aux fenestrages brisés; des tombes fêlées par les obus comme des carreaux de vitre; des chevaliers de pierre armés de toutes pièces, souffletés à la face par des éclats de bombe et n'ayant plus que cette balafre pour visage; des haillons de vieille femme séchant sur une corde; des cloisons en planches rapiéçant çà et là des murailles de granit; une solitude morne, un accablement profond coupé par le croassement intermittent des corbeaux; voilà aujourd'hui le cloître archiépiscopal de Mayence. Une des assises d'un contre-fort, frappée par un boulet, a glissé tout entière dans son alvéole sous le choc, mais n'est pas tombée et apparaît encore là aujourd'hui comme une touche de clavecin sur laquelle se poserait un doigt invisible. Deux ou trois statues tristes et terribles, debout dans un coin sous la pluie et le vent, regardent en silence cette désolation.

      Il y a là, sous les galeries du cloître, un monument obscur, un bas-relief du quatorzième siècle, dont j'ai cherché vainement à deviner l'énigme. Ce sont, d'un côté, les hommes enchaînés dans toutes les attitudes du désespoir; de l'autre, un empereur accompagné d'un évêque et entouré d'une foule de personnages triomphants. Est-ce Barberousse? Est-ce Louis de Bavière? Est-ce la révolte de 1160? Est-ce la guerre de ceux de Mayence contre ceux de Francfort en 1332? N'est-ce rien de tout cela? – Je ne sais. J'ai passé outre.

      Comme j'allais sortir des galeries, j'ai distingué dans l'ombre une tête de pierre sortant à demi du mur et ceinte d'une couronne à trois fleurons d'ache comme les rois du onzième siècle. J'ai regardé. C'était une figure douce et sévère en même temps, une de ces faces empreintes de la beauté auguste que donne au visage de l'homme l'habitude d'une grande pensée. Au-dessous, la main d'un passant avait charbonné ce nom: Frauenlob. Je me suis souvenu de ce Tasse de Mayence, si calomnié pendant sa vie, si vénéré après sa mort. Quand Henri Frauenlob fut mort, en 1318, je crois, les femmes de Mayence, qui l'avaient raillé et insulté, voulurent porter son cercueil. Ces femmes et ce cercueil chargé de fleurs et de couronnes sont ciselés dans la lame un peu plus bas que la tête. J'ai regardé encore cette noble tête. Le sculpteur lui a laissé les yeux ouverts. Dans cette église pleine de sépulcres, dans cette foule de princes et d'évêques gisants, dans ce cloître endormi et mort, il n'y a plus que le poëte qui soit resté debout et qui veille.

      La place du Marché, qui entoure deux côtés de la cathédrale, est d'un ensemble copieux, fleuri et divertissant. Au milieu se dresse une jolie fontaine trigone de la Renaissance allemande; ravissant petit poëme qui, d'un entassement d'armoiries, de mitres, de fleuves, de naïades, de crosses épiscopales, de cornes d'abondance, d'anges, de dauphins et de sirènes, fait un piédestal à la vierge Marie. Sur l'une des faces on lit ce pentamètre:

      Albertus princeps, civibus ipse suis,

      lequel


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