Correspondance, 1812-1876 — Tome 5. Жорж Санд

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Correspondance, 1812-1876 — Tome 5 - Жорж Санд


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l'amener. L'enfant est arrivé avec une personne en petite robe de laine écossaise que j'ai failli ne pas regarder, quand je me suis aperçue que c'était la princesse elle-même qui m'amenait son jeune homme, toute seule et très gentiment. L'enfant est très beau et très joli, avec un air mélancolique et timide.

      Il tiendra de sa mère plus que de son père. Il est très mignon et obéissant comme une fille.

      Je me porte bien, toujours sans appétit; ça ne pousse pas à Paris.

      La vente de Delacroix a produit près de deux cent mille francs en deux jours. Les moindres croquis se vendent deux, trois et quatre cents francs. Ce pauvre homme vendait des tableaux pour ce prix-là!

      Bonsoir, mes enfants chéris; je bige bien tendrement.

      DXLVII

      AU MÊME

      Paris, 28 février 1864.

      Mes chers enfants, C'est demain le grand jour! quand vous recevrez ma lettre, j'aurai des bravos ou des sifflets, peut-être l'un et l'autre. Ribes ne va pas mieux; il joue quand même et très bien. La pièce est mal sue, mais bien comprise et bien jouée.

       Le duc-Berton, Villemer-Ribes, Caroline-Thuillier, la Marquise-Ramelli, Pierre-Rey, sont excellents.

       Diane de Saintrailles, charmante, un peu maniérée; madame d'Arglade, un peu faible, et Clerh-Benoît, qui dit quatre mots, ne gâtent rien.

      Le théâtre, depuis le directeur jusqu'aux ouvreuses, dont l'une m'appelle notre trésor, les musiciens, les machinistes, la troupe, les allumeurs de quinquets, les pompiers, pleurent à la répétition comme un tas de veaux et dans l'ivresse d'un succès qui va dépasser celui du Champi. Tout ça, c'est la veille, il faut voir le lendemain; s'il y a déroute, ce sera autre chose. On annonce toujours une cabale. Les uns la disent formidable; les autres disent qu'il n'y aura rien; nous verrons bien. Le moment du calme est venu pour moi qui n'ai plus rien à faire que d'attendre l'issue. La salle sera comble et il y en aura autant à la porte. De mémoire d'homme, l'Odéon n'a vu une pareille rage. L'empereur et l'impératrice assisteront à la première; la princesse Mathilde en face d'eux, le prince et la princesse Napoléon au-dessous. M. de Morny, les ministères, la police de l'empereur nous prennent trop de place, et ce n'est pas le meilleur de l'affaire. Nous aimerions mieux des artistes aux avant-scènes que des diplomates et des fonctionnaires. Ces gens-là ne crèvent pas leurs gants blancs contre une cabale. Il n'y a que le prince qui applaudisse franchement.

      Enfin, nous y voilà! les décors sont riches et laids. L'orchestre sera rempli de mouchards, rien ne manquera à la fête. Marchal ne demande qu'à étriper les récalcitrants. Le parterre est pris par des gens en cravate blanche et en habit noir. A demain des nouvelles.

      J'ai vu enfin M. Harmant à l'Odéon. Il m'a dit qu'il viendrait me voir après la pièce. Mario Proth va faire un article sur Callirhoé3. Jourdan en raffole, il est de la religion de Marc Valery.

      DXLVIII

      AU MÊME

      Paris, mardi 1er mars 1864.

      Deux heures du matin.

      Mes enfants, Je reviens escortée par les étudiants aux cris de «Vive George Sand! Vive Mademoiselle La Quintinie! A bas les cléricaux!» C'est une manifestation enragée en même temps qu'un succès comme on n'en a jamais vu, dit-on, au théâtre.

      Depuis dix heures du matin, les étudiants étaient sur la place de l'Odéon, et, tout le temps de la pièce, une masse compacte qui n'avait pu entrer occupait les rues environnantes et la rue Racine jusqu'à ma porte. Marie a eu une ovation et madame Fromentin aussi, parce qu'on l'a prise pour moi dans la rue. Je crois que tout Paris était là ce soir. Les ouvriers et les jeunes gens, furieux d'avoir été pris pour des cléricaux à l'affaire de Gaetana d'About, étaient tout prêts à faire le coup de poing. Dans la salle, c'étaient des trépignements et des hurlements à chaque scène, à chaque instant, en dépit de la présence de toute la famille impériale. Au reste, tous applaudissaient, l'empereur comme les autres, et même il a pleuré ouvertement. La princesse Mathilde est venue au foyer me donner la main. J'étais dans la loge de l'administration avec le prince, la princesse, Ferri, madame d'Abrantès. Le prince claquait comme trente claqueurs, se jetait hors de la loge et criait à tue-tête, Flaubert était avec nous et pleurait comme une femme. Les acteurs ont très bien joué, on les a rappelés à tous les actes.

      Dans le foyer, plus de deux cents personnes que je connais et que je ne connais pas sont venues me biger tant et tant, que je n'en pouvais plus. Pas l'ombre d'une cabale, bien qu'il y eût grand nombre de gens mal disposés. Mais on faisait taire même ceux qui se mouchaient innocemment.

      Enfin, c'est un événement qui met le quartier Latin en rumeur depuis ce matin; toute la journée, j'ai reçu des étudiants qui venaient quatre par quatre, avec leur carte au chapeau, me demander des places et protester contre le parti clérical en me donnant leurs noms.

      Je ne sais pas si ce sera aussi chaud demain. On dit que oui, et, comme on a refusé trois ou quatre mille personnes faute de place, il est à croire que le public sera encore nombreux et ardent. Nous verrons si la cabale se montrera. Ce matin, le prince a reçu plusieurs lettres anonymes où on lui disait de prendre garde à ce qui se passerait à l'Odéon. Rien ne s'est passé, sinon qu'on a chuté les claqueurs de l'empereur à son entrée, en criant: A bas la claque! l'empereur a très bien entendu; sa figure est restée impassible.

      Voilà tout ce que je peux vous dire ce soir; le silence se fait, la circulation est rétablie et je vas dormir.

      DXLIX

      AU MÊME

      Paris, 2 mars 1864.

      Mes enfants, La seconde de Villemer a été ce soir encore plus chaude que celle d'hier. C'est un triomphe inouï, une tempête d'applaudissements d'un bout à l'autre, à chaque mot, et si spontanée, si générale, qu'on coupe trois fois chaque tirade. Le groupe des claqueurs quand il essaye de marquer des points de repère à cet enthousiasme ne fait pas plus d'effet qu'un sac de noix. Le public ne s'en occupe pas, il interrompt où il lui plaît, et c'est le tonnerre. Jamais je n'ai rien entendu de pareil. La salle est comble, elle croule; la tirade de Ribes, au second acte, provoque un délire. Dans les entr'actes, les étudiants chantent des cantiques dérisoires, crient: «Enfoncés les jésuites! Hommes noirs, d'où sortez-vous? Vive La Quintinie! Vive George Sand! Vive Villemer!» On rappelle les acteurs à tous les actes. Ils ont de la peine à finir la pièce. Ces applaudissements les rendent ivres, Berton, ce matin, l'était encore d'hier, lui qui ne boit jamais que de l'eau rougie. Ce soir, il me suivait dans les coulisses en me disant qu'il me devait le plus beau succès de sa vie, et le plus beau rôle qu'il eût jamais joué.

      Thuillier et Ramelli étaient folles. Il faut dire qu'elles ont joué admirablement. Ribes n'a pas le même ensemble: il est laid, disgracieux, pas cabotin du tout; mais, par moments, il est si sympathique et si nerveux, qu'il électrise le public et recueille en bloc les bravos que les autres reçoivent en détail. Je vous raconte tout ça pour vous amuser. Si vous voyiez mon calme au milieu de tout ça, vous en ririez; car je n'ai pas été plus émue de peur et de plaisir que si ça ne m'eût pas regardé personnellement, et je ne pourrais pas expliquer pourquoi. Je m'étais préparée à ce qu'il y a de pire, c'est peut-être pour ça que l'inattendu d'un succès si inconcevable, en ce qui me concerne, m'a un peu stupéfiée. Il faut voir le personnel de l'Odéon autour de moi! je suis le bon Dieu. Je dois leur rendre cette justice que, tout le temps des répétitions, ils ont été aussi gentils que le jour de la victoire; que, la veille, ils n'ont pas été pris de la panique ordinaire qui fait qu'on veut mascander4 la pièce parce qu'on a peur de tout. Ils vont faire de l'argent, je l'espère. En ce moment,


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<p>3</p>

Roman de Maurice Sand.

<p>4</p>

Abîmer.