Correspondance, 1812-1876 — Tome 5. Жорж Санд

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Correspondance, 1812-1876 — Tome 5 - Жорж Санд


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Maurice m'a donné carte blanche et je me charge de la besogne, sauf à rétablir le texte dans l'édition de librairie. Mais, si les corrections et suppressions sont considérables au point de dénaturer l'ouvrage et de lui enlever sa physionomie, il vaut mieux le publier tout de suite en volume.»

      Madame Buloz a repris: «C'est bien l'intention de Buloz d'y renoncer plutôt que de l'abîmer. Aussi je ne suis pas chargée de vous dire qu'il le refuse. Il veut, avant de se prononcer, le lire une seconde fois et y bien réfléchir. Il le regretterait fort, car il en fait le plus grand éloge et dit que c'est prodigieusement amusant et bien fait. Il ajoute qu'en volume cela peut avoir un succès comme Madame Bovary, parce que le lecteur de volumes n'est pas le lecteur de revues.»

      Si Buloz décide qu'il ne peut publier sans abîmer le livre, je le chargerai de faire un bon traité pour Maurice avec Michel Lévy: une édition in-octavo qui remplacerait le produit de la Revue (l'ouvrage inédit a toujours plus de valeur), et de petit format ensuite. Que Maurice me laisse faire, et ne se tourmente pas: son roman a chance de succès et j'en tirerai le meilleur parti possible. Au reste, Buloz est bien disposé, il est charmant pour Maurice et déclare lui trouver beaucoup de talent. Peut-être a-t-il raison quant à la pruderie de ses abonnés; peut-être aussi, en y réfléchissant, reconnaîtra-t-il ce que je lui ai déjà dit: «Un roman de moeurs modernes est choquant lorsqu'il blesse les idées modernes; mais l'éloignement historique permet de choquer, car il n'impose pas une morale nouvelle, et le lecteur fait bon marché de personnages si différents de lui-même.»

      Sur ce, bonsoir, ma chérie; bige bien Mauricot et Cocoton; écris-moi de longues lettres, tu seras bien Gentille.

      DLXI

      A M. LUDRE-GABILLAUD, A LA CHÂTRE

      Palaiseau, 12 juillet 1864.

      Cher et bon ami, Je serais la plus tranquille et la plus contente du monde, si mon pauvre petit Marc n'était malade à Guillery. Il a la dysenterie très fort et je suis cruellement inquiète depuis quelques jours. Autrement tout allait bien: les enfants en humeur de voyager, et moi à même enfin de me reposer un peu.

      Le pays où nous sommes est délicieux; la petite habitation charmante, et pas d'importuns. Je m'y occupe de bon coeur et avec toutes mes aises. J'ai une excellente domestique et je suis riche, puisque les dépenses, qui allaient à Nohant par billets de mille francs, sont ici dans la proportion de cent francs. J'aurai donc de quoi voyager quand le coeur m'en dira. Mais, aujourd'hui, mon coeur, serré par l'inquiétude, ne me dit rien, sinon que j'aspire à la guérison du petit.

      Vous êtes la bonté et l'obligeance mêmes, mon cher ami. Je vous remercie de votre sollicitude pour Nohant et je ferai ce que vous conseillerez. Certes je crois qu'un garde est utile. Mais où en trouver un qui garde réellement? Quant à l'assurance, faites-la, c'était convenu, et faites-la comme vous l'entendrez, avec la Compagnie que vous jugerez la meilleure. Rappelez-vous aussi, que le gâteur d'arbres contre lequel un garde me serait utile est mon fermier lui-même, qui laisse ses métayers tenir des chèvres, les mener dehors et permet d'ébrancher autrement qu'il n'est convenu. Tenez la main à ce qu'il en soit puni en ne recevant pas les arbres que je lui cède ordinairement pour son usage.

      Bonsoir et merci encore, mon bon Ludre. Vous ne venez donc pas à Paris? La première fois que vous y aurez quelque affaire, il faut venir dîner avec nous. On peut arriver ici à six heures et repartir à neuf et à dix.

      Embrassez bien pour moi votre chère femme, et aimez-moi, comme je vous aime.

       GEORGE SAND.

      DLXII

      A MADAME LINA SAND, A GUILLERY

      Palaiseau, 14 juillet 1864.

      Ma pauvre chérie, J'ai été bien inquiète hier de ne rien recevoir. Aujourd'hui, cher et cruel anniversaire! je reçois ta lettre du 12, qui me tranquillise un peu; car, dans la journée d'hier et toute cette nuit, j'étais découragée et désespérée. J'attends maintenant le télégramme promis... Ah! si vous pouviez me répondre: Beaucoup mieux! je bénirais encore ce 14 juillet, que je détestais ce matin. Ce qui est déchirant, c'est de penser à ce que souffre ce pauvre ange et à ce que vous souffrez, Maurice et toi, en le voyant souffrir. Prenez espoir et courage, mes pauvres chers enfants! Moi, j'en manque, je suis vieille et usée. Mais l'avenir est à vous. Surtout, ne sois pas malade à ton tour, ma petite chérie. Impossible d'élever des enfants sans inquiétude, sans maladie, sans souffrance et sans danger. Le contraire serait un miracle. Mais quels jours amers à passer!

      Maurice, ne te décourage pas. Songe à soutenir les forces de ta Lina. Dieu, quel bonheur si vous me dites ce soir qu'il est mieux. J'ai mille livres de plomb sur le coeur. Ne me laissez pas sans nouvelles, écrivez-moi, ne fût-ce qu'un mot. Le silence m'épouvante. Voici l'heure de la poste. Je vous embrasse et je vous aime.

      Onze heures du soir.

      Ma lettre a dépassé l'heure de la poste. Je la rouvre, pour vous dire que j'ai reçu le télégramme à six heures. A chaque coup de cloche, je suis folle. Enfin il y a du mieux! Béni soit le jour qui nous rend l'espoir. Si le mieux continue demain, nous pourrons respirer. Comme vous en avez besoin, mes pauvres enfants!

      DLXIII

      A M. JULES BOUCOIRAN, A NIMES

      Guillery, 16 juillet 1864.

      Cher ami, Je vous envoie mes pauvres enfants, ne pouvant les suivre en voyage; j'ai compté que Nîmes serait encore l'endroit où ils auraient le plus de consolations, puisque vous serez là, vous qui les aimez tant et si bien. Vous direz à Maurice tout ce qu'il faut lui dire, il vous écoutera. Il a du courage; mais il a des moments d'exaspération qui reviennent. Vous les combattrez. Parlez-lui de sa petite femme, de l'avenir, de ma vieillesse à épargner. Tachez qu'ils ne soient pas malades. S'ils l'étaient, écrivez-moi, j'accourrai.

      Adieu! Dans un instant, nous quittons cette fatale maison et nous partons ensemble pour Agen.

      Je vous embrasse de coeur. Donnez-nous du courage!

       G. SAND.

      DLXIV

      A M. LUDRE-GABILLAUD A LA CHÂTRE

      Palaiseau, 24 juillet 1864.

      Mon ami, Nous sommes brisés: nous avons perdu notre enfant! Je suis partie avec un médecin mercredi soir pour Agen, d'où j'ai couru sans respirer à Guillery. Le pauvre petit était mort la veille au soir. Nous l'avons enseveli le lendemain et porté dans la tombe de son arrière-grand-père, le brave père de mon mari, à côté du premier enfant de Solange, mort aussi à Guillery. Un pasteur protestant de Nérac est venu faire la cérémonie, au milieu de la population catholique, qui est habituée à vivre côte à côte avec le protestantisme.

      Nous sommes repartis tous le soir même pour Agen, où mes pauvres enfants se sont trouvés un peu plus calmes et ont pris du repos. Hier, à Agen, je les ai mis au chemin de fer pour Nîmes. Ils éprouvent le besoin de voyager et je les y ai poussés. Il fallait combattre l'idée d'emporter ce pauvre petit corps à Nohant pour l'y ensevelir; et, vraiment, épuisés comme ils le sont tous deux, c'était de quoi les tuer. J'ai pu surmonter cette exaltation, obtenir le résultat que je viens de vous dire et les voir partir résignés et courageux. Dans quelques semaines, il viendront me rejoindre ici, et j'espère que leurs pensées se seront tournées vers l'avenir.

      Moi, je suis partie, laissant des épreuves à corriger et je suis revenue par l'express ce matin à cinq heures. Vous pensez qu'à mon âge, c'est rude. Mais cette fatigue et cette dépense d'énergie m'ont soutenue au moral, et j'ai pu remonter l'esprit de ces pauvres malheureux. Le plus frappé est Maurice. Il s'était acharné à sauver son enfant. Il le soignait jour et nuit sans fermer l'oeil. Il le croyait sauvé; il m'écrivait victoire. Une rechute terrible a fait échouer tous les


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