La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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jouvenceau. Mais il s'en aperçut, car vivement il ajouta:

      – Ce n'est pas que je m'en plaigne, au moins!.. Quelques étages à grimper ne me font pas peur!..

      Et en même temps, d'un air de complaisance, il tendait le jarret, comme pour en attester le ressort, la souplesse et la vigueur.

      Déjà, cependant, plein de déférence pour le père de Mlle Henriette, Daniel lui avait avancé le meilleur fauteuil de son modeste logis.

      Le comte s'assit, et d'un ton léger qui contrastait avec le très visible embarras de ses mouvements:

      – Gageons, mon cher Daniel, commença-t-il, que vous êtes fort surpris et non moins intrigué de me voir chez vous!..

      – Je l'avoue, monsieur, si vous aviez à me parler, vous n'aviez qu'à m'écrire, je me serais aussitôt empressé…

      – De venir chez moi, n'est-ce pas?.. Inutile. La vérité est que je n'ai rien à vous dire. C'est un rendez-vous manqué qui vous vaut ma visite. Je devais rencontrer un de mes amis au Corps législatif, et il ne s'y est pas trouvé… Assez mécontent, je rentrais, lorsque, passant devant chez vous, je me suis dit: Si je montais surprendre mon marin! Je lui demanderais ce qu'il pense de certaine jeune dame à qui, hier soir, il a eu l'honneur d'être présenté…

      C'était ou jamais l'occasion de suivre les prudents conseils de M. de Brévan, aussi Daniel, au lieu de répondre, se contenta-t-il de sourire le plus agréablement qu'il put…

      Ce n'était pas assez pour le comte, aussi reprenant sa question:

      – Voyons, insista-t-il, là, franchement, que pensez-vous de miss Sarah Brandon?..

      – C'est une des plus belles personnes que j'aie vues de ma vie, monsieur…

      Un éclair de joie et d'orgueil brilla dans les yeux de M. de la Ville-Handry.

      – Dites la plus belle, s'écria-t-il, la plus merveilleusement et la plus idéalement belle!.. Et c'est là le moindre, le plus infime de ses mérites, M. Daniel Champcey… Parle-t-elle, aussitôt les charmes de son esprit effacent les séductions de sa beauté… Et dès qu'on la connaît, on oublie sa beauté et son esprit pour n'admirer plus que sa simplicité enjouée, sa candeur naïve et les trésors de son âme chaste et pure…

      La foi, l'ardente foi, exclusive, absolue, idiote, donnait à sa face grimée l'expression de l'extase.

      – Et penser, murmura-t-il, que c'est le hasard qui m'a placé sur le chemin de cet ange!..

      Un soubresaut de Daniel, si marqué qu'il le surprit, l'inquiéta sans doute, car il reprit, appuyant sur le mot:

      – Oui, le hasard seul… et je puis vous en faire juge.

      Il se tassa sur son fauteuil, en homme qui va parler longtemps, et de ce ton d'emphase qu'il devait à la surprenante opinion qu'il avait de lui-même, il continua:

      – Vous savez, mon cher, combien je fus affecté de la mort de la comtesse de la Ville-Handry…

      Assurément, ce n'était pas la compagne que devait souhaiter un homme politique de ma valeur… Elle était de celles dont la capacité, à grand peine, se hausse à connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse… Mais c'était une bonne femme, attentive, discrète et soumise, ménagère de mes deniers, en sachant néanmoins me faire honneur par la tenue parfaite de notre maison…

      Ainsi, en toute sincérité, le comte parlait de celle dont il avait été la création, et qui, seize années durant, avait galvanisé sa nullité.

      – Bref, poursuivit-il, la perte de ma femme bouleversa mes habitudes au point de me dégoûter des travaux qui avaient été ma passion, et je me mis à chercher des distractions en dehors…

      Devenu un des membres assidus de mon cercle, j'y rencontrai sir Elgin, et sans nous lier, nous en arrivâmes à échanger quelques paroles et à l'occasion un cigare.

      Ecuyer consommé, sir Thomas Elgin montait à cheval tous les jours de très-bonne heure, et comme les médecins, m'avaient recommandé cet exercice, que j'aime, comme tous ceux où l'on excelle, nous nous rencontrions assez souvent au Bois… Nous nous souhaitions le bonjour, et parfois nous faisions côte à côte un temps de galop.

      Si je suis peu liant, sir Thomas l'est moins encore, et notre connaissance ne semblait pas devoir aller jamais plus loin, quand un accident nous rapprocha.

      Un matin, après une assez longue course, nous rentrions au pas, lorsque la jument de sir Thomas, une bête fort difficile, fit un si brusque et si prodigieux écart qu'il fut désarçonné.

      Lestement, je mis pied à terre pour l'aider à se relever… pas moyen. Et cependant, vous savez si ces diables d'Américains sont durs au mal. Mais il avait, nous le sûmes plus tard, un genou déboîté et une cheville fracturée.

      L'endroit était désert, et je commençais à me sentir fort embarrassé, quand par bonheur deux soldats passèrent.

      Je les appelai, et confiant à l'un nos chevaux, j'envoyai l'autre chercher un fiacre à la station la plus voisine.

      Le fiacre venu, nous y installâmes le blessé de notre mieux, et je grimpai sur le siége pour le conduire à l'adresse qu'il m'avait indiquée, chez lui, rue du Cirque.

      Une fois là, je sonne, et je commande aux domestiques de descendre.

      Non sans peine ils tirent leur maître de la voiture, et les voilà le montant à travers les escaliers, lui geignant faiblement, tant il souffrait.

      Je montais devant, et j'arrivais au premier étage, quand une porte brusquement s'ouvrit devant moi, et une jeune fille parut.

      Elle était à sa toilette, lorsque le tapage que nous faisions l'avait épouvantée, et elle accourait voir… Elle n'avait pris que le temps bien juste de jeter un peignoir sur ses épaules, et ses cheveux en désordre s'échappaient à demi d'une sorte de coiffe de nuit…

      Apercevant son parent aux mains des valets, elle le crut dangereusement blessé, mort peut-être… Elle devint plus pâle qu'une morte, et poussant un grand cri, elle chancela…

      Elle serait tombée de son haut dans l'escalier, la tête la première, si je ne l'avais pas reçue entre mes bras.

      Elle était évanouie. Et je la tins ainsi, renversée contre mon épaule, si près que j'étais pénétré de la moiteur de son corps souple et charmant, si près que je sentais les battements de son cœur contre le mien. Sa coiffe s'était dénouée, et ses cheveux s'éparpillant m'enveloppaient de leurs flots dorés et traînaient jusqu'à terre…

      Mais tout cela ne dura pas dix secondes…

      Revenant à elle et se voyant dans les bras d'un inconnu, toutes ses pudeurs se révoltèrent, elle se redressa, et m'échappant, elle disparut dans l'appartement…

      Au seul souvenir de cette scène, M. de la Ville-Handry haletait et on le voyait blêmir sous son fard.

      Du reste, il ne chercha pas à dissimuler son trouble.

      – Je suis un vieux diable, reprit-il, et de vous à moi, mon cher Daniel, j'avouerai que les femmes… eh! eh!.. ne m'ont pas été… comment dirai-je? cruelles… Même, je me flattais d'avoir épuisé toutes les émotions qu'elles peuvent donner.

      Eh bien! non. De ma vie, entendez-vous, je n'ai été remué par une sensation aussi poignante que celle qui m'étreignait pendant que je soutenais miss Sarah…

      Tout en parlant, il avait tiré son mouchoir, plus odorant qu'un sachet, et il s'en tamponnait le front, doucement, par exemple, et avec des précautions infinies, pour ne point gâter l'œuvre savante de son valet de chambre.

      – Vous connaîtrez miss Sarah, Daniel, poursuivit-il, bientôt. Quand on l'a vue, on veut la revoir… Heureusement, j'avais un prétexte pour me présenter chez elle, et dès le lendemain je sonnais à sa porte, demandant des nouvelles de sir Thomas Elgin. On me conduisit à l'appartement de ce digne gentleman, et je le trouvai étendu sur une chaise longue, les jambes emmaillotées… Près de lui lisait une respectable dame


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