La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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ne l'aperçus pas davantage, lorsque je revins, à diverses reprises, m'informer de blessé, et véritablement, à la fin, je n'étais pas éloigné de croire à un parti pris…

      Ma foi, oui!.. j'y croyais presque, lorsqu'un jour, sir Tom allant mieux, manifesta le désir d'essayer quelques pas à pied aux Champs Elysées.

      Je lui offris mon bras, il voulut bien le prendre, et au retour il me pria d'accepter sans façon le dîner de la famille…

      Si poignant que fût pour Daniel l'intérêt de ces confidences étranges, depuis un moment il ne prêtait plus à M. de la Ville-Handry qu'une oreille distraite.

      Un bruit singulier dont il ne pouvait comprendre la cause, à peine saisissable mais persistant, le préoccupait et l'agaçait.

      A force de regarder autour de lui, il en eut l'explication.

      La porte de sa chambre, qu'il était bien certain d'avoir fermée, était maintenant entre-bâillée.

      S'ennuyant tout seul et aidé par la curiosité, M. de Brévan avait trouvé ce moyen de voir et d'entendre.

      De tout cela, M. de la Ville-Handry ne vit ni ne soupçonna rien.

      – Ainsi donc, reprit-il, j'allais revoir miss Sarah… Parole d'honneur, j'étais moins ému, je crois, le jour où la première fois j'abordai la tribune… Mais j'ai quelque puissance sur moi, et j'étais déjà remis, lorsque sir Thomas Elgin m'avoua qu'il m'eût invité plus tôt s'il n'eût craint de désobliger fortement sa jeune parente, laquelle s'était déclarée résolue à ne jamais se retrouver avec moi… Peiné, je demande en quoi j'avais pu lui être désagréable… Et alors, sir Tom, avec ce flegme admirable qui ne le quitte jamais: «Ce n'est pas à vous qu'elle en veut, répondit-il, mais bien à elle-même, à cause de la scène ridicule de l'autre jour!»

      Vous entendez, Daniel, il appelait ridicule cette scène adorable que je viens de vous dire… Il n'y a que les Américains pour de telles énormités!..

      J'ai su, depuis, que pour contraindre Sarah à me recevoir, il avait fallu lui faire une sorte de violence; mais elle eut le bon goût de n'en rien laisser paraître, lorsque, un peu avant de se mettre à table, je lui fus présenté.

      Elle rougit, il est vrai, extrêmement, mais c'est avec une franchise toute virile qu'elle me tendit la main, coupant le compliment que je lui débitais pour me dire:

      « – Vous êtes l'ami de Tom, vous serez le mien.»

      Ah! Daniel, vous avez admiré miss Brandon au théâtre!.. C'est chez elle qu'il faut l'étudier… Au dehors, quoi qu'il lui en coûte, elle sacrifie aux exigences du monde, dans son intérieur, elle ose être elle-même.

      Du reste, ainsi qu'elle l'avait dit, nous fûmes promptement amis, si promptement que je ne laissais pas que d'être surpris, quand elle me parlait comme à une vieille connaissance…

      Je ne tardai pas à découvrir le mot de cette énigme.

      Nos jeunes filles françaises, mon cher Daniel, sont charmantes, sans doute, mais ignorantes, en général, légères et insoucieuses de tout ce qui n'est pas cancans, romans ou chiffons…

      Autres sont les Américaines… Ce qui intéresse leur esprit sérieux, c'est ce qui préoccupe leur père et leurs frères: la politique, l'industrie, les débats des Chambres, les découvertes des savants…

      Le comte de la Ville-Handry, dont la carrière politique a jeté un certain éclat, ne pouvait être un étranger pour miss Sarah Brandon. Ma passion à défendre les causes que je croyais justes, l'avait souvent passionnée. Emue par mes discours qu'elle lisait, sa pensée plus d'une fois était remontée à l'orateur…

      Il me semble encore l'entendre me dire, de sa belle voix qui a les pures sonorités du cristal:

      « – Oh! oui, je vous connaissais, monsieur le comte, oui!.. et il y a eu des jours où j'aurais voulu être de vos amies pour vous crier: C'est bien, ce que vous faites là, c'est grand, c'est courageux!..»

      Et elle ne mentait pas, car elle avait retenu nombre de passages de mes discours, de ceux même que j'avais oubliés, et elle les citait presque textuellement… Ebahi parfois de certaines idées très-fortes qu'elle émettait, je l'en complimentais, et alors elle éclatait de rire, me disant: «Mais c'est de vous, cher comte, c'est votre bien… c'est vous qui avez dit cela en telle et telle occasion.»

      Et si le soir, rentré chez moi, je feuilletais mes collections pour vérifier le fait, je trouvais presque toujours que miss Sarah avait raison…

      Dois-je ajouter après cela que je devins l'hôte quotidien de la rue du Cirque? Non, n'est-ce pas.

      Ce que je veux que vous sachiez, c'est que là j'ai trouvé l'image de la félicité la plus parfaite et la plus pure qu'on puisse rêver ici-bas… Là, j'ai été saisi de respect et d'admiration, par l'honnêteté la plus sévère, unie au plus chaste enjouement. Là, j'ai savouré les heures les plus délicieuses, entre mistress Brian, cette puritaine si rigide pour elle-même, si indulgente pour les autres, et Thomas Elgin, le plus loyal et le meilleur des hommes, qui sous des apparences glaciales cache une âme de feu pour ses amis…

      Quel était le but de M. de la Ville-Handry, si toutefois il en avait un?

      Etait-il venu expressément pour confier à Daniel le surprenant roman de sa passion?

      Ou cédait-il simplement à ce besoin d'expansion trop fort qui étouffe les amoureux et les force, et les contraint de parler de leur amour, de se trahir, encore qu'ils sachent bien qu'une indiscrétion peut leur être fatale?..

      Ainsi s'interrogeait Daniel.

      Mais le comte ne lui laissa pas le temps de réfléchir et de se répondre… Après une courte pause, il se redressa, et changeant brusquement de ton:

      – Je devine, mon cher Daniel, ce que vous pensez… Vous vous dites: «M. de la Ville-Handry était amoureux…» Eh bien! je vous le déclare, vous vous trompez…

      Daniel bondit sur sa chaise, et s'oubliant, tant fut grande sa stupeur:

      – Est-ce possible!.. s'écria-t-il.

      – C'est exact, je vous en donne ma parole d'honneur… Le sentiment qui m'attirait vers miss Sarah était celui qui m'attache à ma fille.

      Cependant, comme je suis un observateur et que j'ai l'expérience du cœur humain, la contenance de miss Sarah ne laissait pas que de me surprendre. Après avoir été avec moi d'une liberté extrême, expansive et familière, elle était devenue peu à peu réservée jusqu'à la froideur.

      Il était clair qu'elle était gênée près de moi… Notre intimité, loin de la rassurer, semblait l'effrayer chaque jour davantage.

      Ce que je compris, vous le devinez, mon cher Daniel…

      Seulement, comme je n'ai jamais été un fat, je craignis de me tromper… Je m'appliquai à une observation plus attentive et je ne tardai pas à acquérir la certitude que si j'aimais miss Sarah d'une affection paternelle, j'avais su éveiller dans son âme un sentiment plus tendre…

      De tout autre, cette fatuité sénile eût paru à Daniel d'un comique achevé.

      Du père de Mlle Henriette, elle le navrait…

      Si bien, que le comte remarquant sa tristesse et se méprenant lui demanda:

      – Douteriez vous de ce que je dis?..

      – Non, monsieur, non!..

      – A la bonne heure… Je vous prie de croire, du reste, que cette découverte ne m'émut pas médiocrement… J'en demeurai pendant trois jours ébloui à ce point de ne pouvoir réfléchir et délibérer sainement.

      Il fallait prendre un parti, cependant. Si l'idée d'abuser de mon expérience pour séduire cette innocente enfant, traversa mon cerveau, je la repoussai avec horreur… Et pourtant il ne tenait qu'à moi, je le voyais, je le sentais… Mais quoi!.. Payer du déshonneur de leur parente, l'hospitalité de la vertueuse mistress Brian et du loyal Thomas Elgin, c'eût été une


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