La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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de découragement.

      – Cette femme n'offre donc aucune prise! murmura-t-il.

      – Certaine… non!

      – Cependant, cette aventure, que vous m'avez contée, autrefois…

      – Laquelle?.. Celle de ce pauvre Kergrist?..

      – Eh! le sais-je?.. Elle était affreuse, voilà tout ce dont je me souviens… Que m'importait alors miss Brandon!.. tandis que maintenant…

      M. de Brévan hocha la tête:

      – Maintenant, fit-il, vous croyez que cette histoire serait une arme? Non, Daniel. Cependant, elle n'est pas longue, et je puis vous la redire avec plus de détails qu'autrefois…

      Il y a quinze mois environ, débarquait à Paris un charmant garçon nommé Charles de Kergrist… Il avait toutes ses illusions, vingt-quatre ans et cinq cent mille francs…

      Il vit miss Brandon et aussitôt «s'emballa,» c'est-à-dire en devint passionnément amoureux. Quelles furent leurs relations, c'est ce que nul ne sait positivement, – je dis avec preuves à l'appui, – ce malheureux Kergrist ayant été d'une impénétrable discrétion…

      Ce qui n'est que trop réel, c'est que huit mois plus tard, un matin, en ouvrant leurs volets, les boutiquiers de la rue du Cirque aperçurent un corps qui se balançait à un mètre du sol, accroché aux ferrures des persiennes de miss Brandon.

      On s'approcha… le pendu, c'était ce malheureux Kergrist.

      Dans la poche de son pardessus était une lettre où il déclarait qu'une passion malheureuse lui ayant rendu la vie insupportable, il se suicidait…

      Or cette lettre, notez bien ce détail, était ouverte, c'est-à-dire qu'elle avait été cachetée, et que le cachet avait été brisé.

      – Par qui?..

      – Laissez-moi finir. L'aventure, comme bien vous pensez, fit un bruit épouvantable… La famille intervint, il y eut une espèce d'enquête, et on constata que des 500,000 francs que Kergrist avait apportés à Paris, il ne restait pas un rouge liard…

      – Et miss Brandon n'a pas été perdue!..

      Un sourire ironique plissa les lèvres de M. de Brévan.

      – Vous savez bien que non, répondit-il. Même, cette pendaison fut pour ses partisans une occasion de célébrer sa vertu. Si elle eût failli, criaient-ils, Kergrist ne se fût point pendu. D'ailleurs, ajoutaient-ils, est-ce qu'une jeune fille, si pure et si innocente qu'elle soit, peut empêcher ses amoureux de venir s'accrocher à ses fenêtres!.. Quant à la disparition de l'argent, ils l'expliquaient par le jeu… Kergrist jouait, assuraient-ils, on l'avait vu à Bade et à Hombourg…

      – Et le monde se contenta de cette explication?

      – Mon Dieu, oui… et cependant quelques sceptiques racontaient tout autrement les choses. Ils prétendaient, ceux-là, que miss Sarah avait été la maîtresse de Kergrist, et que, le voyant absolument ruiné, elle l'avait congédié un beau matin… Ils affirmaient que lui, le soir, à l'heure où il était reçu d'ordinaire, il s'était présenté, et que, trouvant tout clos, après avoir prié et pleuré en vain, il avait menacé de se tuer… et qu'il s'était tué en effet, comme un pauvre fou qu'il était… Ils assuraient que, cachée derrière ses persiennes, miss Brandon avait suivi les préparatifs de suicide de ce malheureux… qu'elle l'avait vu se hisser sur le rebord de la fenêtre du rez-de-chaussée, attacher la corde, passer la tête dans le nœud coulant et se lancer dans l'espace… qu'elle avait surveillé son agonie et épié ses dernières convulsions…

      – Horrible! murmura Daniel, c'est horrible!..

      Mais M. de Brévan lui saisit le bras, et le serrant à lui faire mal:

      – Ce n'est encore rien, fit-il d'une voix rauque… Dès que Sarah vit que Kergrist ne bougeait plus, elle descendit l'escalier à pas de loup, elle ouvrit sans bruit la porte de sa maison, et, se glissant furtivement dehors, elle osa fouiller ce cadavre encore chaud pour s'assurer qu'il n'avait rien sur lui qui pût la perdre… Trouvant la lettre préparée par Kergrist, elle l'emporta, brisa le cachet et la lut… Et quand elle se fut assurée que son nom n'y était pas, elle eut cette audace inouïe de revenir placer cette lettre où elle l'avait prise… Et alors elle respira… Elle était débarrassée d'un homme qui la gênait. Elle se coucha et dormit…

      Daniel était devenu plus blanc que sa chemise.

      – Ah!.. cette femme est un monstre! s'écria-t-il.

      M. de Brévan ne répondit pas.

      La haine la plus atroce flambait dans ses yeux, ses lèvres tremblaient… Il ne se souvenait plus de ses savantes précautions, de ses réticences… Il s'oubliait, il s'abandonnait, il se livrait…

      – Mais je n'ai pas fini encore, Daniel, reprit-il… Il est un autre crime encore, déjà ancien, celui-là… le début de miss Brandon à Paris… qu'il faut que vous sachiez…

      Un soir, il y a de cela quatre ans, le directeur de la Société d'Escompte mutuel entra dans le bureau de son caissier et lui annonça que, le lendemain matin, le conseil de surveillance vérifierait ses écritures.

      Le caissier, cet infortuné se nommait Malgat, répondit que tout serait prêt.

      Mais, dès que son directeur se fut retiré, il prit une feuille de papier et écrivit à peu près ceci:

      «Pardonnez-moi. J'ai été quarante ans un honnête homme, une passion fatale m'a rendu fou. J'ai puisé dans la caisse qui m'était confiée, et pour masquer mes détournements, j'ai eu recours à des faux. Dissimuler mon crime plus longtemps n'est pas possible. Mon premier vol remonte à six mois. Le déficit est de trois cent mille francs environ.

      «Je ne saurais supporter le déshonneur que j'ai mérité, dans une heure j'aurai cessé de vivre.»

      Cette déclaration, Malgat la plaça bien en vue sur son bureau, et sortant aussitôt, sans prendre un centime sur lui, il courut jusqu'au canal pour s'y jeter.

      Mais une fois là, devant cette eau noire, il eut peur…

      Durant de longues heures, il erra sur la berge, demandant à Dieu une seconde de courage… Le courage ne lui vint pas.

      Que faire cependant? Où fuir sans argent, où se cacher?.. Retourner à son bureau n'était pas possible: le crime devait y être connu…

      Désespéré, il courut jusqu'à la rue du Cirque et au milieu de la nuit il frappa chez miss Brandon.

      On ne savait pas qu'il fût découvert, on lui ouvrit.

      Alors, lui, au désespoir, raconta tout, demandant mille francs sur les trois cent mille qu'il avait volés et donnés, mille francs pour fuir en Belgique…

      On les lui refusa.

      Et comme il insistait, comme il se traînait aux genoux de miss Sarah, sir Tom le prit par les épaules et le jeta dehors.

      Brisé par l'excès de sa violence, M. de Brévan s'était jeté sur un fauteuil, et il y demeura longtemps, la tête basse, l'œil fixe, le front contracté, regrettant sans doute l'abandon et la franchise de sa colère, et d'être resté si peu maître de soi.

      Mais, lorsqu'il se releva, grâce à une puissante projection de volonté, il avait ressaisi ce flegme un peu railleur qui lui était habituel.

      – Je le vois à votre contenance, mon cher Daniel, reprit-il, l'aventure que je vous conte vous paraît monstrueuse, invraisemblable, impossible… Et cependant, il y a quatre ans, elle courut tout Paris, grossie de cyniques détails que j'ai passés sous silence… En fouillant les collections de journaux, vous la retrouveriez… Mais quatre ans… c'est quatre siècles. Sans compter que nous en avons tant vu d'autres, depuis…

      Agité d'émotions étranges et comme il n'en avait ressenti de sa vie, Daniel hochait tristement la tête.

      – Aussi, n'est-ce pas le fait en lui-même qui m'étonne, prononça-t-il… Ce


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