La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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solitaire ne saurait durer… Il faut à une jeune fille de ton âge les conseils, l'affection, les soins d'une femme tendre et dévouée… Aussi, ai-je songé à te donner une seconde mère…

      Brusquement, Mlle Henriette retira son bras passé autour du cou de son père, et se dressant sur ses pieds:

      – Vous songez à vous remarier! s'écria-t-elle.

      Il détourna la tête, hésita et finit par répondre:

      – Oui.

      La stupeur, l'indignation, une douleur atroce, coupèrent d'abord la parole à la jeune fille; mais bientôt, faisant un effort:

      – Est-ce bien vous qui me parlez ainsi, mon père!.. prononça-t-elle d'une voix profonde. Quoi! vous voudriez amener une femme dans cette maison où palpite encore celle qui n'est plus!.. Vous la feriez asseoir à cette place qui était la sienne, dans ce fauteuil qui fut le sien, les pieds sur ce coussin brodé par elle!.. Peut-être même me demanderiez-vous de l'appeler ma mère… Oh! non, n'est-ce pas, vous ne commettrez jamais une telle profanation…

      Pitoyable était le trouble de M. de la Ville-Handry. Et cependant, si elle eût été moins émue, Mlle Henriette eût lu dans ses yeux une inflexible résolution.

      – Ce que je ferais serait dans ton intérêt, chère fille, balbutia-t-il… Je suis vieux, je puis mourir, nous n'avons pas de parents, que deviendrais-tu sans un ami…

      Elle devint cramoisie de honte, et tout hésitante:

      – Mais, mon père, M. Daniel Champcey…

      – Eh bien!

      La joie de la ruse près de réussir brillait dans l'œil du comte.

      – Il me semblait, poursuivit la pauvre jeune fille… je croyais… ma bonne mère m'avait dit… enfin, du moment où vous recevez M. Daniel ici…

      – Tu t'imaginais que je l'avais choisi pour gendre?..

      Elle ne répondit pas.

      – C'était, en effet, une idée de ta mère… elle en avait comme cela de singulières, contre lesquelles ce n'était pas trop de toute ma fermeté… C'est un triste mari, mon enfant, qu'un marin, qu'une signature du ministre sépare de sa femme pour des années.

      Mlle Henriette continua de garder le silence. Elle comprenait quel marché lui proposait son père et l'indignation l'étouffait.

      Lui, qui estimait en avoir assez fait pour une fois, se leva et sortit en disant:

      – Consulte-toi, mon enfant, de mon côté, je réfléchirai.

      Que faire, que résoudre?.. Entre cent partis contradictoires, lequel choisir?..

      Restée seule, la jeune fille prit une plume, et pour la première fois écrivit à Daniel:

      «Il faut que je vous parle à l'instant… Je vous en prie, venez…

«HENRIETTE.»

      Et ayant remis ce billet à un domestique, avec l'ordre de le porter immédiatement, fiévreuse, palpitante, l'oreille au guet, comptant les secondes, elle attendit…

      Daniel Champcey occupait, rue de l'Université, un petit appartement de trois pièces, dont les fenêtres ouvraient sur les jardins de l'hôtel Delahante, jardins ombreux, encombrés de fleurs et peuplés d'oiseaux.

      Là il passait presque tout le temps que lui laissaient ses travaux du ministère de la marine.

      Une promenade avec un ami, le plus souvent avec M. Maxime de Brévan, le théâtre, quand une pièce obtenait un grand succès, deux ou trois visites par semaine à l'hôtel de la Ville-Handry, étaient ses seules et bien innocentes distractions.

      – Une vraie demoiselle pour la sagesse, ce marin-là, disait son portier.

      C'est que s'il n'eût pas été éloigné par sa délicatesse native de ce qu'à Paris on nomme «le plaisir,» Daniel eût été retenu sur la pente par son grand et profond amour pour Mlle de la Ville-Handry.

      Un amour noble et pur tel que le sien, reposant sur une confiance absolue, suffit à remplir la vie, car il enchante le présent et dore d'espérances radieuses les lointains horizons de l'avenir.

      Mais plus il aimait Mlle Henriette, plus Daniel se croyait tenu de la mériter, de se montrer digne d'elle.

      Ambitieux, il ne l'était pas. Il avait embrassé une profession qui lui plaisait, il possédait dix ou douze mille livres de rentes qui, ajoutées à son traitement, lui assuraient une modeste aisance; que souhaiter de plus? Pour lui, rien.

      Mais Mlle Henriette portait un grand nom, elle était la fille d'un homme qui avait occupé une grande situation, enfin elle était très riche, et la mariât-on avec ses seuls biens propres, elle aurait encore sept ou huit cent mille francs de dot.

      Eh bien! Daniel ne voulait pas que le jour béni où elle lui accorderait sa main, Mlle de la Ville-Handry eût rien à regretter ou à désirer.

      De là un labeur obstiné, incessant, une volonté chaque matin plus forte que la veille de conquérir un de ces noms célèbres qui écrasent les plus vieux parchemins, une de ces positions qui, à l'amour d'une femme pour son mari, ajoutent la fierté.

      Or le moment était propice à son ambition, au lendemain de la transformation de notre flotte, pendant que la marine militaire en est encore aux tâtonnements et aux expériences, attendant, ce semble, la main d'un homme de génie.

      Pourquoi ne serait-il pas cet homme? Soutenu par la pensée d'Henriette, il n'apercevait rien d'impossible, il n'imaginait pas d'obstacle qu'il ne pût surmonter.

      – Vous voyez ce b… là, avec son petit air calme, disait le vieil amiral Penhoël à ses jeunes officiers, eh bien! il vous damera le pion à tous…

      Donc, ainsi que d'ordinaire, Daniel était enfermé dans son cabinet, achevant un travail que lui avait demandé le ministre, lorsque le valet de pied de l'hôtel de la Ville-Handry lui remit la lettre de Mlle Henriette.

      D'un geste fiévreux, il rompit le cachet, et ayant lu d'un coup d'œil les deux lignes de la lettre, il devint fort pâle.

      Pour que Mlle Henriette, toujours si réservée, hasardât cette démarche de lui écrire, pour qu'elle lui écrivît ces deux phrases si pressantes en leur brièveté, il fallait quelque événement extraordinaire.

      – Est-il donc arrivé un malheur à l'hôtel? demanda-t-il au domestique.

      – Non, monsieur, pas que je sache.

      – M. le comte n'est pas malade?

      – Non, monsieur.

      – Et Mademoiselle?

      – Mademoiselle est en parfaite santé.

      Daniel respira.

      – Courez prévenir mademoiselle que je vous suis, dit-il au domestique, et courez vite, si vous ne voulez pas que je sois arrivé avant vous.

      Le valet sorti, Daniel, en un tour de main, fut habillé et s'élança dehors.

      Et tout en remontant d'un pas rapide la rue de Varennes:

      – Je me serai alarmé trop tôt, pensait-il, essayant de résister à l'obsession des plus noirs pressentiments, elle a peut-être simplement quelque commission à me donner…

      Non, ce n'était pas cela, il le comprit bien quand, introduit au salon, il aperçut Mlle Henriette assise près de la cheminée, plus blanche que sa collerette, les yeux rougis et gonflés par les larmes.

      – Qu'avez-vous, s'écria-t-il, sans attendre seulement que la porte fût refermée, que vous est-il arrivé?..

      – Une chose terrible, M. Daniel.

      – Parlez… vous me faites peur.

      – Mon père veut se remarier.

      D'abord Daniel fut abasourdi. Puis, se rappelant soudain toutes les circonstances de la métamorphose du comte:

      – Oh!


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