La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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de son esprit, le vide désolant de sa pensée, la sécheresse de son cœur…

      Sous le brillant gentilhomme accepté comme «une capacité,» selon l'expression du pays, elle avait découvert un être absolument nul, borné, incapable d'une idée si on ne la lui soufflait, et avec cela prétentieux, infatué de ses mérites et poussant l'obstination jusqu'à l'absurde.

      Et, pour comble, M. de la Ville-Handry n'était pas loin de haïr sa femme… On lui avait tant insinué qu'elle n'était pas à sa hauteur, qu'il avait fini par le croire… Enfin, il s'en prenait à elle de son prestige évanoui.

      Accablée de la lourde tâche échue à Mme de la Ville-Handry, une femme vulgaire eût pensé que garder la foi conjugale à un homme tel que le comte, ce serait assez de vertu.

      Mais la comtesse n'était pas une femme vulgaire.

      Résignée, elle se promit d'avoir du moins la coquetterie de la résignation.

      Il est vrai que désormais un berceau adoré enchaînait son âme au foyer. Elle avait une fille, son Henriette, et, sur cette chère tête blonde, elle bâtissait un monde de merveilleux projets…

      C'est de ce moment qu'elle sortit de l'inertie où elle s'assoupissait depuis deux ans, et qu'elle se mit à étudier le comte avec cette prodigieuse perspicacité que développe un grand intérêt en jeu.

      Un mot de M. de la Ville-Handry devait l'éclairer. Un matin, comme ils achevaient de déjeuner en tête à tête:

      – Ah! Nancy t'aimait bien, lui dit-il, la veille de sa mort, lorsqu'elle sentait qu'elle était perdue, elle me conjurait de t'épouser.

      Cette Nancy, c'était la défunte gouvernante du château.

      Après cette maladresse du comte, point n'était besoin de longues réflexions pour comprendre le rôle qu'avait joué cette femme.

      Il devenait évident que, modestement effacée dans l'ombre, protégée par l'intériorité même de sa situation, elle avait été tout à la fois l'intelligence, l'énergie et la volonté de son maître.

      Et son influence sur lui avait été si puissante qu'elle lui avait survécu et qu'elle avait été obéie par delà le tombeau.

      Cruellement humiliée par l'aveu de son mari, la comtesse eut assez de puissance sur elle pour ne lui eu point garder rancune.

      – Eh bien!.. soit, se dit-elle; pour son bonheur et pour notre repos, je descendrai jusqu'au rôle de cette Nancy!..

      C'était plus aisé à résoudre qu'à exécuter, M. de la Ville-Handry n'étant pas de ceux qu'on manie ouvertement, ni même qui se rendent à un conseil quand on leur en a démontré l'excellence.

      Irritable, ombrageux et despote comme tous les faibles, il ne redoutait rien tant que ce qu'il appelait une atteinte à son autorité. En tout, pour tout, partout et toujours, il prétendait être le maître, le souverain arbitre. Et ses susceptibilités sur ce point étaient si intraitables et si puériles, qu'il suffisait que sa femme manifestât l'ombre d'une volonté, pour que tout aussitôt il voulût obstinément le contraire.

      – Je ne suis pas une girouette!.. était une de ses déclarations favorites.

      Pauvre homme, qui ne comprenait pas que pour tourner au sens contraire du vent qui souffle on n'en tourne pas moins.

      La comtesse le comprit, et ce fut là sa force.

      Après plusieurs mois de patience et de tâtonnements, il lui sembla qu'elle avait atteint son but, et que désormais, dès qu'elle le voudrait sérieusement, elle dirigerait à son gré les volontés de son mari.

      Pour tenter l'expérience, une occasion se présentait.

      Encore que la noblesse des environs eût bien rabattu de ses hauteurs, et même lui fût presque revenue, surtout depuis son héritage, la comtesse estimait sa situation pénible et souhaitait ardemment quitter le pays. Il lui rappelait d'ailleurs trop de choses qu'elle voulait oublier. Il était de certaines routes où elle ne pouvait passer sans que son cœur bondit à briser sa poitrine.

      Mais d'un autre côté il était bien connu que le comte s'était juré de finir ses jours en Anjou, qu'il avait les grandes villes en horreur et que la seule idée de quitter son château, où il avait si bien toutes ses habitudes, le rendait d'une humeur massacrante.

      On tomba donc des nues lorsqu'on l'entendit annoncer qu'il quittait la Ville-Handry pour n'y plus revenir, qu'il avait acheté un hôtel à Paris, rue de Varennes, et qu'il ne tarderait pas à s'y fixer définitivement.

      – C'est, du reste, bien malgré la comtesse, ajoutait-il en se rengorgeant, elle ne voulait pas absolument, mais je ne suis pas une girouette, j'ai tenu bon et elle a cédé.

      Si bien que, dans les derniers jours d'octobre 1851, le comte et la comtesse de la Ville-Handry prenaient possession de leur magnifique hôtel de la rue de Varennes, une demeure princière, qui ne leur coûtait pas le tiers de sa valeur, ayant été achetée à un moment où les immeubles subissaient une ridicule dépréciation.

      Mais avoir amené le comte à Paris n'était qu'un jeu. La difficulté sérieuse était de l'y maintenir.

      Il était aisé de prévoir que, privé du mouvement et des fatigues de la campagne, des soucis d'une vaste exploitation et des exercices violents, il périrait d'ennui ou se jetterait dans les désordres.

      Préoccupée de ces alternatives également redoutables, la comtesse avait cherché et trouvé un aliment à l'activité tracassière de M. de la Ville-Handry.

      Avant de quitter l'Anjou, elle avait laissé tomber dans son cœur le germe d'une passion qui, chez un homme de cinquante ans, peut remplacer toutes les autres, l'ambition.

      Et il arrivait avec le secret désir, avec l'espoir de devenir quelqu'un, un homme de parti, un de ces politiques remuants dont la personnalité traverse toutes les grandes intrigues.

      Seulement, avant de lancer son mari sur un terrain qu'elle jugeait fort glissant et semé de fondrières, la comtesse s'était réservé de le reconnaître.

      Pour cette reconnaissance, son nom et sa fortune la servirent puissamment. Aidée de ses relations, elle eut le talent de constituer un salon. Bientôt ses mercredis et ses samedis furent célèbres; on fit des démarches pour être invité à ses dîners ou admis à ses soirées intimes du dimanche.

      L'hôtel de la rue de Varennes devint comme un pays neutre où les rancunes et les espérances politiques se donnèrent la main.

      Pendant tout l'hiver, Mme de la Ville-Handry observa.

      Jamais, à la voir modestement assise près de la cheminée, on ne se fût douté qu'elle n'était pas uniquement occupée de sa fille, de sa jolie Henriette, qui jouait ou lisait à ses côtés.

      Elle écoutait cependant, et de toutes les forces de son intelligence, se pénétrant des questions, cherchant la voie à suivre, aux éclairs des discussions s'exerçant à démêler les artifices des passions et des intérêts, cherchant quels ennemis craindre et sur quels alliés s'appuyer.

      Pareille à ces professeurs improvisés qui apprennent le matin ce qu'ils doivent enseigner le soir, elle étudiait la leçon qu'elle aurait bientôt à faire.

      Un esprit supérieur, son instinct de femme, une finesse naturelle et des aptitudes qu'elle ne se soupçonnait même pas devaient abréger ce pénible noviciat…

      Les résultats ne tardèrent pas à paraître.

      Dès l'hiver suivant, le comte qui, jusqu'alors, avait gardé une attitude ambiguë, sortit de sa réserve et se prononça. Il se montra et plut, bien servi qu'il était par un extérieur fort noble, de belles manières et un imperturbable aplomb. Il parla et on fut charmé de son bon sens. Il donna des conseils, sa pénétration surprit. Il eut des partisans très-chauds et d'ardents détracteurs, d'aucuns voulurent voir en lui un futur chef de parti, il en prenait l'essor, se remuant extraordinairement, s'agitant, écrivant, discourant.

      – Encore que cela m'attire des ennuis dans mon intérieur, disait-il à ses intimes,


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