La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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demeura intact. La vérité, nul ne la soupçonna. L'affaiblissement si rapide de ses facultés, ou l'attribua uniquement au chagrin qu'il ressentait de la mort de la comtesse.

      – Qui eût cru qu'il l'aimait tant que cela, dit-on.

      Mlle Henriette fut trompée comme les autres, plus que les autres.

      Mais loin de diminuer, son respect et son admiration pour son père augmentèrent. Elle le chérit davantage en voyant ce qu'elle prenait pour l'effet d'une incurable douleur.

      Il était fort affecté en effet, mais uniquement de sa chute. D'où venait-elle? Il avait beau se mettre l'esprit à la torture, il n'en apercevait aucune cause raisonnable.

      – C'est à n'y rien comprendre, répétait-il sans cesse.

      Et il parlait de complot organisé, de coalition de ses ennemis, déplorant la noire ingratitude des hommes et leur versatilité.

      Dans les commencements, il avait songé à se retirer en Anjou. Mais, peu à peu, les jours succédant aux jours, et aux semaines les mois, les blessures de sa vanité se cicatrisèrent, il oublia et prit d'autres habitudes.

      On le vit plus assidu à son cercle, il monta souvent à cheval, il fréquenta les théâtres et dîna de temps à autre dehors.

      Mlle Henriette s'en réjouissait, la santé de son père lui ayant, à un moment, donné de sérieuses inquiétudes.

      Mais son étonnement fut immense, quand elle le vit quitter ses vêtements habituels, un peu sévères comme il convenait à son âge, pour adopter les modes excentriques, des pantalons très-clairs et des vestons à longs poils.

      Quelques jours plus tard, ce fut bien pis.

      Un matin, quand M. de la Ville-Handry entra dans la salle à manger pour déjeuner, il avait, lui tout blanc la veille, la barbe et les cheveux du plus beau noir.

      Mlle Henriette ne put retenir un cri de surprise.

      Alors, lui, souriant, mais avec un visible embarras:

      – C'est un essai, dit-il, que mon valet de chambre m'a persuadé de faire, il prétend que cela va mieux à mon teint et me rajeunit.

      Evidemment quelque chose d'étrange était survenu dans l'existence de M. de la Ville-Handry. Mais quoi?

      Si elle ne savait rien de la vie, si elle était l'innocence même, Mlle Henriette était femme, c'est-à-dire servie par un instinct supérieur à toutes les expériences. Réfléchissant, elle croyait bien deviner.

      Le comte se préoccupait de ce qui lui seyait le mieux, il s'efforçait de se rajeunir, il cherchait à plaire, donc une femme devait se trouver au fond de ce mystère.

      Attristée plutôt qu'inquiète, la jeune fille, après trois jours d'hésitations, finit par se confier à Daniel.

      Mais aux premiers mots qu'elle prononça, il l'interrompit, et devenu plus rouge qu'elle:

      – Ne prenez nul souci de cela, mademoiselle, dit-il, et quoi que fasse monsieur votre père, n'y prenez point garde.

      Le conseil était plus facile à donner qu'à suivre, les habitudes du comte devenant de plus en plus excentriques.

      Insensiblement il avait éloigné ses anciens amis et ceux de la comtesse, et il remplaçait cette société d'élite par un monde singulier et fort mélangé.

      C'étaient maintenant des jeunes gens, qui arrivaient le matin à cheval, en tenue plus que négligée, qui montaient les escaliers le cigare aux dents et à qui on servait des liqueurs et de l'absinthe.

      Dans l'après-midi, des messieurs venaient, à mine vulgaire et arrogante, à gros favoris, portant à leur gilet des chaînes énormes, qui gesticulaient haut et fort et tutoyaient les valets de pied. Ils s'enfermaient avec le comte et le tapage de leurs disputes emplissait toute la maison.

      Quelles graves questions s'agitaient si bruyamment? Ce fut M. de la Ville-Handry lui-même qui l'apprit à sa fille.

      Trahi par la politique, il allait se lancer, lui annonça-t-il, dans les grandes affaires, et tout en rendant à l'industrie des services immenses, il était sûr de réaliser d'énormes bénéfices.

      Des bénéfices… à quoi bon! Tant de son chef que de celui de sa femme, le comte réunissait cent mille écus de rentes. N'était-ce donc pas assez de cette fortune si considérable pour un homme de soixante-cinq ans et une jeune fille qui ne dépensait pas pour sa toilette trois cents louis par an?

      Timidement, car elle craignait de blesser son père, Mlle Henriette osa risquer une objection.

      Mais lui, après avoir ri du meilleur cœur, et tapant doucement sur la joue de sa fille:

      – Nous voulons donc régenter notre père, dit-il.

      Puis sérieusement:

      – Suis-je donc si vieux, mademoiselle, que je doive prendre mes invalides… Seriez-vous de l'avis de mes ennemis?..

      – Oh! cher père…

      – Eh bien! mon enfant, sache qu'un homme tel que moi ne saurait, sans en mourir, se condamner à l'inaction… Je me moque des bénéfices; ce que je cherche, c'est l'emploi de mon énergie et de mes facultés.

      Cette réponse si raisonnable rassura Mlle Henriette et aussi Daniel. L'un comme l'autre ils tenaient de la comtesse une foi entière au génie de M. de la Ville-Handry. Selon eux, il suffisait qu'il entreprît une chose pour qu'elle réussît.

      Et de plus, à part lui, Daniel songeait que la préoccupation des affaires détournerait le comte de ses velléités de jeune homme.

      Non, rien ne pouvait l'en distraire, et de plus en plus il tournait à l'adolescent, au jeune fat. Il se coiffait sur le côté d'un petit chapeau plat, se cambrait dans des jaquettes étroites à larges revers et ne sortait jamais sans une rose ou un camélia à la boutonnière. Se teindre ne lui suffisant plus, il se fardait, et on eût pu le suivre à la trace dans la rue tant il s'imbibait d'odeurs.

      Souvent on le voyait des heures entières immobile dans son fauteuil, les yeux au plafond, les sourcils froncés, absorbé par l'effort de sa réflexion. L'appelait-on, il sursautait comme un malfaiteur pris en flagrant délit. Lui qui jadis tirait vanité de son magnifique appétit, – une ressemblance avec Louis XIV, – il ne mangeait presque plus. Et sans cesse il se plaignait d'étouffements, de palpitations de cœur.

      A plusieurs reprises, sa fille le surprit les yeux pleins de larmes – de grosses larmes, qui traversant sa barbe teinte se teignaient et tombaient comme des gouttes d'encre sur le devant de sa chemise.

      Puis, tout à coup, à ces séances de tristesse, des accès de joie folle succédaient, il se frottait les mains à s'enlever l'épiderme, il chantonnait, il dansait presque…

      D'autres fois, un commissionnaire, presque toujours le même, arrivait avec une lettre… Le comte la lui arrachait des mains, lui jetait un louis, et courait s'enfermer dans son cabinet…

      – Mon pauvre père!.. disait à Daniel Mlle Henriette, il y a des instants où je crains pour sa raison.

      Enfin, un soir, après le dîner, où il avait bu plus que de coutume, peut-être pour se donner du courage, le comte attira sa fille sur ses genoux, et de sa voix la plus douce:

      – Avoue, chère enfant, commença-t-il, qu'en toi-même, au fond de ton petit cœur, tu m'as plus d'une fois accusé d'être un mauvais père… J'ai l'air de t'abandonner, je te laisse seule dans cet immense hôtel où tu dois t'ennuyer à périr…

      Le reproche eût été fondé. Mlle Henriette était plus livrée à elle-même que la fille de l'ouvrier que le travail enchaîne tout le jour à son atelier.

      L'ouvrier, du moins, promène quelquefois sa fille le dimanche.

      – Je ne m'ennuie jamais, cher père, répondit Mlle Henriette.

      – Bien vrai?.. Tu as donc de graves occupations?

      – Certainement. D'abord, je surveille ta maison; je fais de mon mieux pour te la rendre douce et


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