La clique dorée. Emile Gaboriau

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La clique dorée - Emile Gaboriau


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eût exigé de lui la démonstration d'une chose évidente par elle-même, et simplement il répondit:

      – Parbleu!..

      Etait-il besoin que Daniel insistât, après cela!.. Cette seule exclamation ne levait-elle pas tous ses doutes?

      Il insista, cependant.

      – De grâce, expliquez-vous, Maxime, fit-il d'une voix sourde… Ne savez-vous pas que, vivant loin de votre monde, j'en ignore tout!..

      Sérieux comme il ne l'avait jamais été encore, Maxime de Brévan se leva, et s'adossant à la cheminée:

      – Que voulez-vous que je vous dise? prononça-t-il. Crier: Casse-cou! à un amoureux est un métier de dupe. Crier: gare! à qui ne veut pas se garer… à quoi bon! Aimez-vous, oui ou non, miss Sarah? Si oui… tout ce que je vous apprendrais sur son compte ne changerait rien. Supposez que je vous dise que cette Sarah est une créature indigne, une scélérate, une infâme faussaire, une misérable qui a déjà sur la conscience la mort de trois pauvres diables, follement épris comme vous. Supposez que je vous dise pis encore, et que je vous le prouve!.. Savez-vous ce qui arriverait?.. Vous me serreriez les mains avec effusion, vous me remercieriez, des larmes de reconnaissance aux yeux, vous me jureriez, dans la candeur de votre âme, que vous êtes à jamais guéri… et en sortant d'ici…

      – Eh bien?..

      – Vous iriez tout courant conter mes confidences à votre adorée et la conjurer de se disculper…

      – Ah! permettez, je ne suis pas un de ces hommes…

      Mais M. de Brévan peu à peu s'exaltait.

      – Allez au diable!.. interrompit-il, vous êtes un homme comme tous les autres… La passion ne raisonne, ni ne calcule, et c'est ce qui la fait grande et terrible… Tant qu'on a seulement une lueur de raison au fond de la cervelle, on n'est pas véritablement amoureux… C'est comme cela… Et la volonté n'y peut rien, ni l'énergie, ni quoi que ce soit au monde. Ça est ou ça n'est pas. Il y a des gens qui gravement vous reprochent de n'être pas ce qu'ils étaient eux-mêmes amoureux et de sang-froid… turlututu! Ces gens-là me font l'effet d'une carafe frappée reprochant au champagne de faire sauter son bouchon… Sur quoi, tenez, mon cher, faites-moi le plaisir d'accepter ce cigare et sortons prendre l'air…

      Etait-ce vrai, ce que disait là M. de Brévan?.. Est-il vrai qu'un grand amour anéantit jusqu'à la faculté de délibérer, de discerner le vrai du faux et le bien du mal? Il n'eût donc pas, lui, Daniel, aimé Henriette, puisqu'il risquait de la perdre pour obéir au devoir?

      Oh! non, non, mille fois non… Ce n'est pas des pures et chastes amours que parlait M. de Brévan… Il parlait de ces passions malsaines qui tombent dans la vie comme la foudre, troublent les sens et égarent la raison, qui dévorent tout comme l'incendie et ne laissent après elles que désastres, hontes et remords…

      Mais, pour cela même, Daniel frémissait en pensant à M. de la Ville-Handry engagé dans ce terrible engrenage d'une passion folle pour une créature indigne.

      Il n'accepta donc pas le cigare que lui tendait Maxime.

      – Un mot encore, de grâce, fit-il. Supposons mon libre arbitre perdu, je m'abandonne, que va-t-il donc m'arriver?..

      M. de Brévan le regarda d'un air de commisération et dit:

      – Peu de chose, seulement…

      Et avec un geste d'un effrayant réalisme:

      – C'est votre horoscope que vous demandez, fit-il d'un ton d'amer sarcasme… Soit. Qu'avez-vous de fortune?

      – Deux cent cinquante mille francs environ.

      – Parfait. En six mois ils seront fondus… Dans un an, vous serez criblé de dettes et réduit aux derniers expédients… Avant dix-huit mois, vous en serez aux faux…

      – Maxime!..

      – Ah! vous avez exigé la vérité, mon cher… Je passe à votre position. Elle est admirable. Votre avancement a été aussi rapide que mérité, vous êtes, tout le monde le dit, un des amiraux de l'avenir… D'aujourd'hui en six mois vous ne serez plus rien… Vous aurez donné votre démission si on ne vous a pas destitué…

      – Permettez…

      – Rien. Vous êtes un honnête homme et le plus digne d'estime que je sache… Après six mois de Sarah Brandon, vous serez tombé si bas dans votre estime que vous vous mettrez à l'absinthe… Voilà le tableau. Pas flatté, n'est-ce pas? Mais vous l'avez voulu. Et, cette fois, en route…

      Cette fois, sa détermination était irrévocable, et Daniel vit bien que s'il ne changeait pas de tactique, il n'en obtiendrait plus un mot.

      Le retenant donc au moment où il ouvrait la porte:

      – Pardonnez-moi, Maxime, dit-il, une ruse fort innocente que vous-même m'avez suggérée… Sur mon honneur, ce n'est pas moi qui aime miss Sarah Brandon.

      Sa surprise cloua net sur place M. de Brévan.

      – Qui donc est-ce? interrogea-t-il.

      – Un de mes amis.

      – Son nom?

      – En me permettant de ne pas vous le dire – aujourd'hui, du moins – vous doublerez le prix du service que je réclame de vous!..

      L'accent de Daniel était si bien celui de la vérité, qu'il n'y avait pas à conserver l'ombre d'un doute.

      Ce n'était pas lui qui s'était épris de miss Sarah Brandon.

      Aussi, M. de Brévan ne douta-t-il pas… Mais il y avait du dépit et une nuance d'inquiétude, dans la façon dont il s'écria:

      – Bravo, Daniel!.. Parlez-moi des gens naïfs pour jouer leur monde.

      Ce fut d'ailleurs son seul reproche, et tandis que Daniel s'embarrassait dans des excuses, il revint tranquillement s'asseoir près du feu.

      – Nous disons donc, reprit-il après un moment de silence, que c'est un de vos amis qui est ensorcelé?

      – Oui.

      – Et c'est… sérieux?

      – Hélas! il ne parle de rien moins que d'épouser cette femme.

      L'autre, dédaigneusement, haussa les épaules.

      – Quant à cela, fit-il, rassurez-vous; Sarah ne consentira jamais…

      – Erreur! L'idée de ce mariage ne peut venir que d'elle.

      Cette fois, M. de Brévan dressa la tête, la stupeur sur le visage.

      – Votre ami est donc bien riche!.. s'écria-t-il.

      – Immensément.

      – Il a donc un grand nom ou une grande situation?..

      – Son nom est un des plus beaux, des plus anciens et des plus purs de l'Anjou.

      – Et il est très-âgé, n'est-ce pas?

      – Il a soixante-cinq ans.

      D'un formidable coup de poing, M. de Brévan ébranla la tablette de la cheminée, en s'écriant:

      – Ah!.. elle avait bien dit qu'elle réussirait!..

      Et plus bas, tout bas, comme se parlant à lui-même, avec un indéfinissable accent, où il y avait de la haine et de l'admiration:

      – Quelle femme! murmura-t-il, quelle femme!..

      Très-ému lui-même, et l'esprit occupé de bien autre chose que d'observer, Daniel ne remarquait pas l'agitation de son ami.

      – Maintenant, poursuivit-il, mon obsédante curiosité vous est expliquée. Pour empêcher le scandale et la honte d'un tel mariage, la… famille de mon vieil ami ferait tout au monde… Mais comment lutter contre une femme dont on ne sait ni les antécédents ni la vie…

      – Oui, j'entends bien, marmottait M. de Brévan, j'entends…

      La contraction


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