Les beaux messieurs de Bois-Doré. Жорж Санд

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Les beaux messieurs de Bois-Doré - Жорж Санд


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croyait à l'Église, mais il ne croyait pas au vrai Dieu. L'Église était pour lui l'institution de discipline et de terreur par excellence, l'instrument de torture dont un Dieu implacable et farouche se servait pour établir son autorité. S'il y eût bien réfléchi, il se fût volontiers persuadé que le miséricordieux Jésus était entaché d'hérésie.

      L'idée de la mort lui était odieuse. Il craignait l'enfer, et, par un effet naturel des mauvaises croyances, il ne pouvait pas conformer sa vie à la rigidité de ses principes.

      Il n'avait de ferveur que pour la discussion; seul avec lui-même, il trouvait son cœur sec, son esprit tendu et troublé par l'ambition mondaine. Il se le reprochait en vain. La pensée de la damnation ne saurait être féconde, et les terreurs ne sont pas des remords.

      – Il faudra donc mourir! se disait-il en regardant les renflements du gazon qui couvrait, comme les sillons d'un champ, la tombe de ces obscurs villageois; mourir peut-être sans fortune et sans pouvoir, comme les misérables serfs qui n'ont pas même laissé un nom à inscrire sur ces petites croix de bois pourri! Ni crédit ni renommée en ce monde! Des colères, des déceptions, d'inutiles travaux, d'inutiles efforts… des crimes, peut-être!.. tout cela pour arriver au seuil de l'éternité, sans avoir pu servir la gloire de l'Église en cette vie et sans avoir mérité mon pardon dans l'autre!

      Tout en pensant à la destinée, il en vint à se persuader que l'influence du diable avait gâté la sienne.

      Il songea un instant à se confesser à ce prêtre dont l'œil lui avait paru intelligent, et puis il eut peur de confier les secrets qui dévoraient sa vie et son repos.

      Au milieu de ces idées noires, il vit enfin arriver M. Poulain, qui vint à lui en le saluant avec déférence.

      La connaissance fut bientôt faite.

      Ces deux hommes sentirent, dès les premiers mots, qu'ils étaient aussi ambitieux l'un que l'autre.

      Le recteur emmena d'Alvimar chez lui et l'invita à déjeuner.

      – Je ne pourrai vous offrir, lui dit-il, qu'un repas bien pauvre; ma cuisine ne ressemble pas à celle du château. Je n'ai ni valets ni vassaux à mes ordres pour servir de pourvoyeurs à mes festins. La frugalité de ma table vous permettra donc de garder assez d'appétit pour faire honneur encore à celle du marquis, dont la cloche ne sonnera pas avant deux ou trois heures d'ici.

      Il y avait, dans ce début, un sentiment d'aigreur jalouse contre le château qui n'échappa pas à l'Espagnol. Il se hâta d'accepter le déjeuner du recteur, certain d'apprendre là tout ça qu'il devait espérer ou craindre de l'hospitalité du marquis.

      XIV

      M. Poulain commença par dire du bien du châtelain.

      C'était un très-bon homme; il avait de bonnes intentions; il donnait beaucoup aux pauvres, on ne pouvait le nier: malheureusement, il manquait de lumières, il distribuait ses aumônes à tort et à travers, sans consulter l'intermédiaire naturel entre le château et la chaumière, à savoir le recteur paroissial. Il était un peu fou, inoffensif par lui-même, dangereux par sa position, par sa richesse, par les exemples de sensualité raffinée, de légèreté et d'indifférence religieuse qu'il donnait à son entourage.

      Et puis il avait chez lui un personnage très-suspect: ce joueur de cornemuse qui n'était peut-être pas aussi muet qu'il feignait de l'être, quelque hérétique ou faux savant, qui se mêlait d'astronomie, d'astrologie, peut-être!

      Le vieux Adamas ne valait pas mieux: c'était un vil flatteur et un hypocrite; et ce page, si ridiculement affublé en petit gentilhomme, lui qui, comme bourgeois, n'avait pas le droit de porter du satin, et qui venait le dimanche à la messe avec une manière de surcot damassé!

      Toute cette valetaille ne valait rien. On était tout au plus poli avec M. Poulain; point de prévenance marquée: on ne l'avait pas encore invité à dîner d'une manière particulière et pressante. Ou s'était contenté de lui dire que son couvert était mis, une fois pour toutes. C'était en user avec trop peu de façons. Cela était surprenant de la part d'un homme qui avait vécu longtemps à la cour. Il est vrai que, chez le Béarnais, on ne se piquait pas d'un grand savoir-vivre, et les gens de rien y étaient affreusement gâtés; enfin, il n'y avait au château que la Bellinde qui parût une personne de sens.

      D'Alvimar trouva que M. Poulain avait du jugement; le sonneur de musette, surtout, lui sembla de nouveau mériter les soupçons.

      Pourtant il ne s'intéressa pas longtemps à ces petites choses.

      Dès qu'il se fut assuré qu'il ferait bien de ne témoigner aucune confiance au vieux marquis, il monta plus haut dans ses préoccupations et voulut savoir ce qu'il devait penser des gros bonnets de la province.

      M. Poulain était au courant de tous les petits secrets du gouvernement de Bourges. Il entendait la politique comme d'Alvimar: s'emparer de la vie privée de chacun pour arriver à exercer son ascendant sur les affaires générales.

      Ce mauvais prêtre vit qu'il pouvait parler; il avoua qu'il se déplaisait mortellement dans ce petit hameau, mais qu'il y prenait patience, vu que, un jour ou l'autre, M. de Bois-Doré ou son voisin M. de Beuvre pourrait bien lui fournir l'occasion d'une petite persécution qu'il désirait subir plutôt qu'exercer.

      – Vous m'entendez bien; il vaut mieux être sur le terrain de la défensive que sur la brèche de l'agression. On n'est jamais solide sur une brèche; si ces parpaillots du Bas-Berry pouvaient me faire quelque menace ou même un peu de mal, j'en ferais, moi, assez de bruit pour sortir de ces fonctions infimes et de ce pays désert. N'allez pas me croire ambitieux; je ne le suis que de servir l'Église, et, pour être utile, il faut accepter la nécessité de se mettre en vue.

      – Ce petit prestolet est plus fort que moi, se dit d'Alvimar; il sait attendre et se bien placer pour tirer sur l'ennemi; moi, j'ai toujours été agressif, c'est ce qui m'a perdu. Mais il est toujours temps de profiter des bons conseils; j'en viendrai demander souvent à cet homme-ci.

      En effet, cet homme, qui avait l'air de s'occuper de commérages de clocher, et qui, au fond, ne s'en souciait que pour en tirer parti, était plus fort que d'Alvimar; à telles enseignes qu'en une heure, il le pénétra, lui si méfiant, et sut, sinon les secrets de sa vie, du moins ceux de son caractère, ses déceptions, ses revers, ses désirs et ses besoins.

      Quant il l'eut bien confessé en ayant l'air de ne confesser que lui-même, il lui parla ainsi, allant droit au but:

      – Vous avez plus de chances que moi pour parvenir, vu que la fortune est la grande condition du pouvoir. Un prêtre ne peut pas faire fortune comme un laïque. Il faut qu'il arrive lentement, par les seules forces de son esprit et de son zèle. Il ne doit pas oublier que la richesse n'est pas son but, et il ne peut la désirer que comme un moyen. Quant à vous, du jour au lendemain, vous êtes libre d'avoir de la fortune. Il ne s'agit que de vous marier.

      – Je ne crois pas! dit d'Alvimar. Les femmes de ce temps corrompu font la fortune de leurs amants plus volontiers que de leurs maris.

      – Je l'ai ouï dire, répondit M. Poulain; mais je sais le remède.

      – Oui-da! Vous tenez là un grand secret!

      – Très simple et très-facile. Il ne faut pas viser si haut que vous avez peut-être fait. Il ne faut pas épouser une femme du grand monde. Il faut chercher une bonne dot et une femme simple au fond d'une province. Vous m'entendez bien? Il faut dépenser l'argent à la cour, et n'y pas mener la femme.

      – Quoi! épouser une bourgeoise?

      – Il y a des demoiselles nobles qui sont plus riches et aussi modestes, que des bourgeoises.

      – Je n'en connais pas.

      – Il y en a, en ce pays, sans aller bien loin!.. La petite veuve de la Motte-Seuilly?

      – Elle a tout au plus de l'aisance.

      – Vous jugez sur les apparences. On n'a pas ici l'habitude du luxe. Excepté ce fou de marquis, toute la noblesse sédentaire vit sans éclat; mais il y


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