Les beaux messieurs de Bois-Doré. Жорж Санд

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Les beaux messieurs de Bois-Doré - Жорж Санд


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dit-il en désignant la femme silencieuse, n'entend pas la langue de Vos Seigneuries. C'est moi qui parle pour ceux des nôtres qui ne savent pas s'expliquer.

      – Bien, dit Guillaume, tu es l'orateur de la troupe; comment t'appelles-tu, toi, monsieur l'effronté?

      – La Flèche, pour vous obéir. J'ai l'honneur d'être né Français, dans la ville dont je porte le nom.

      L'honneur est pour la France, assurément! Or donc, maître La Flèche, dis à tes camarades de nous laisser aller en paix. Je vous ai donné assez, pour un homme en voyage, et ce ne serait pas me remercier comme il faut que de nous faire avaler votre poussière. Adieu, et laissez-nous, ou, si vous avez quelque requête nouvelle à me présenter, faites vite, nous sommes pressés.

      La Flèche traduisit rapidement les paroles de Guillaume à celle qu'il appelait Mercédès, et qui semblait être l'objet d'une déférence particulière de sa part et de celle des autres.

      Elle lui répondit quelques mots en espagnol, et La Flèche, s'adressant à d'Ars:

      – Cette bonne fille, dit-il, demande humblement les noms de Vos Seigneuries, afin de prier pour elles.

      Guillaume se mit à rire.

      – Voilà, dit-il, une requête plaisante. Conseille, ami La Flèche, à cette bonne fille, de prier pour nous sans nous nommer. Le bon Dieu nous connaît bien, et nous ne lui apprendrions rien de nous qu'il ne sache mieux que nous-mêmes.

      La Flèche salua humblement de son bonnet crasseux, et nos voyageurs, poussant leurs montures, eurent bientôt laissé les bohémiens derrière eux.

      – Ah çà! dit d'Alvimar à Guillaume en voyant poindre à l'horizon bas et court les clochetons de la Motte-Seuilly, vous ne m'avez point dit où nous allions. Ce château est celui d'un autre de vos amis, à qui je ne serai sans doute pas importun?

      – Ce château est celui d'une dame jeune et belle qui vit là avec son père, et tous deux vous recevront avec courtoisie. Tous deux vous retiendront jusqu'au soir, non-seulement pour ne pas être privés de la compagnie de M. de Bois-Doré, qu'ils estiment beaucoup, mais encore pour vous prouver que nous ne sommes point des sauvages, dans notre pauvre pays de campagne, et que nous savons exercer l'hospitalité à la vieille mode de France.

      D'Alvimar répondit qu'il n'en doutait nullement, et sut dire à son compagnon des paroles obligeantes, car nul homme n'était mieux appris; mais son esprit amer se tourna bien vite vers un autre objet.

      – D'après tout ce que vous m'avez conté de ce Bois-Doré, mon futur hôte, c'est, dit-il, un vieux mannequin dont les vassaux se gaussent à cœur-joie?

      – Non pas! répondit M. d'Ars. Ces bohémiens ne m'ont pas laissé finir. J'allais vous dire que, lorsqu'il revint au pays enrichi et emmarquisé, on fut étonné de voir qu'il était aussi brave qu'un lion, malgré son air bénin, et que, s'il avait des façons comiques, il avait aussi des vertus chrétiennes dont on se pouvait trouver fort bien.

      – Faites-vous entrer la tempérance et la chasteté dans le compte de ces vertus chrétiennes?

      – Pourquoi non, je vous prie?

      – Parce que cette gouvernante à l'ardente crinière, que nous avons vue à la porte de son domaine, m'a semblé un peu bien verte pour un homme aussi mûr.

      – Honni soit qui mal y pense! dit Guillaume en souriant. Je ne jurerais pas que notre marquis ait été insensible aux gentillesses des filles d'honneur de la reine Catherine; mais il y a longtemps de cela! Je crois fort que vous pourriez en conter à la Bellinde sans lui faire de tort ni de peine. Mais nous voici arrivés. Je n'ai pas besoin de vous dire que de tels propos ne sont pas de saison ici. Notre belle veuve, madame de Beuvre, n'est point une prude; mais, à son âge et dans sa position…

      Nos cavaliers passaient sur le pont-levis, qui, en raison de la tranquillité du pays, était baissé tout le jour; la herse était levée.

      Ils entrèrent donc sans obstacle ni cérémonie dans la cour du manoir, où ils mirent pied à terre.

      – Un instant! dit Sciarra d'Alvimar à Guillaume, au moment de se présenter; je vous prie, à cause des valets, de ne point dire mon nom ici.

      – Ni ici ni ailleurs, répondit M. d'Ars. Vous n'avez guère d'accent étranger; il n'est donc pas même besoin de vous dire Espagnol. Pour lequel de mes amis de Paris voulez-vous que je vous fasse passer?

      – Je serais très-gêné de jouer un personnage différent du mien; j'aime mieux rester à peu près moi-même, et prendre seulement un des noms de ma famille, la serai, si vous le voulez bien, un Villareal, et j'aurai pour prétexte à ma fuite de Paris…

      – Vous parlerez vous-même en confidence au marquis et arrangerez les choses comme vous l'entendrez. Je n'ai rien autre à faire que de lui dire combien vous êtes mon ami, que vous fuyez quelque persécution, et que je le prie d'avoir soin de vous comme de moi-même.

      IV

      Le château de la Motte-Seuilly (c'est le nom qui a prévalu), encore debout et à peu près intact aujourd'hui, est un petit manoir composé d'une tour d'entrée hexagone toute féodale, d'un corps de logis tout nu percé, de fenêtres très-espacées, avec deux autres corps en retour, l'un desquels est flanqué d'un donjon. Dans le bâtiment de gauche, les écuries voûtées à fortes nervures, les cuisines et logements des gens de suite; dans celui de droite, la chapelle à fenêtre ogivale, du temps de Louis XII, traverse au-dessus d'une courte galerie à air libre, que soutiennent deux piliers trapus, entourés de nervures en relief, comme de gros troncs étreints par des lianes.

      Cette galerie conduit à la grande tour ou donjon, qui date, comme la tour d'entrée, du xiie siècle. Elle contient des chambres rondes très-sobrement mais très-joliment ornées de colonnes engagées avec des socles à griffes. L'escalier, qui tourne dans une petite tour accotée à la grande, aboutit à une de ces antiques charpentes, savamment et hardiment agencées, qui sont encore des objets d'art.

      Celle-ci porte, au contre de ses rayons, un cheval de bois ou chevalet, instrument de torture dont l'application fut encore froidement réglée par une ordonnance de 1670. Cette horrible machine date de la construction de l'édifice, car elle fait corps avec la charpente6.

      C'est dans ce manoir exigu, pauvre et morne, que la belle Charlotte d'Albret, femme du sinistre César Borgia, passa quinze ans et mourut, toute jeune encore, après une vie de douleur et de sainteté.

      On sait que l'infâme cardinal, le bâtard du pape, l'incestueux, le débauché, le sanguinaire, l'amant de sa sœur Lucrèce et l'assassin de son propre frère et rival, se débarrassa un jour des dignités de l'Église pour chercher femme et fortune en France.

      Louis XII voulait rompre son propre mariage avec Jeanne, la fille de Louis XI, pour épouser Anne de Bretagne. Il lui fallait l'assentiment du pape. Il l'obtint moyennant qu'il donnerait le Valentinois et la main d'une princesse au bâtard, au cardinal condottiere.

      Charlotte d'Albret, belle, érudite et pure, fut sacrifiée; quelques mois après, délaissée et considérée comme veuve.

      Elle acheta ce triste castel et vint y élever sa fille7. Son unique plaisir au dehors était d'aller voir à Bourges, sa mystique compagne d'infortune, Jeanne de France, la reine répudiée, devenue la bonne duchesse de Berry et la fondatrice de l'Annonciade.

      Mais Jeanne mourut, et Charlotte, alors âgée de vingt-quatre ans, prit le deuil, qu'elle ne quitta plus, et ne sortit plus de la Motte-Seuilly jusqu'à sa propre mort, qui arriva neuf ans après, en 1514.

      Son corps fut transporté à Bourges et enseveli auprès de celui de Jeanne, pour être, un demi-siècle plus tard, exhumé, profané et brûlé par les calvinistes, ainsi que celui de l'autre pauvre sainte. Son cœur reposa en paix un peu plus longtemps dans la chapelle rustique de la Motte-Seuilly, dans un joli monument que lui fit élever sa fille.

      Mais, de cette triste destinée,


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<p>6</p>

On en peut voir le dessin exact, ainsi que celui du château, de l'if et des débris de la tombe de Charlotte d'Albret, dans le bel ouvrage de MM. de la Tremblais et de la Villegille: Esquisses pittoresques sur le département de l'Indre.

<p>7</p>

Louise Borgia, mariée plus tard à Louis de la Trémouille, puis à Philippe de Bourbon-Busset.