Les beaux messieurs de Bois-Doré. Жорж Санд
Читать онлайн книгу.fut une nouvelle contrariété pour Guillaume, qui se voyait retardé d'heure en heure, et qui commençait à désespérer d'aller à Bourges ce jour-là.
Sciarra d'Alvimar se présenta avec grâce, et dès les premiers mots de sa conversation, de Beuvre, qui s'y connaissait, non pour avoir beaucoup vu Paris, mais pour avoir hanté les petites cours de province, où l'on était tout aussi grand seigneur qu'à celle du roi, reconnut qu'il avait affaire à un homme du meilleur monde.
Quant à d'Alvimar, frappé de la grâce et de la jeunesse de Lauriane, il la prenait pour une fille puînée de M. de Beuvre, et il attendait toujours d'être présenté à la veuve dont M. d'Ars lui avait parlé.
Ce ne fut qu'au bout d'un quart d'heure qu'il comprit que cette belle enfant était la maîtresse de la maison.
On dînait alors à dix heures du matin, et Guillaume, ayant couru dans la prairie à la recherche du marquis, revint prendre congé.
– Le marquis est prévenu, dit-il à Sciarra; il arrive; il m'a juré d'être votre hôte et votre ami jusqu'à mon retour. Donc, je vous laisse en bonne compagnie, et je vais faire de mon mieux pour regagner le temps perdu.
On voulut en vain le retenir à dîner. Il partit après avoir baisé la main de la belle Lauriane, serré celle de son bon voisin M. de Beuvre et embrassé d'Alvimar, en lui jurant de venir, avant la fin de la semaine, le reprendre à Briantes pour le conduire en son château d'Ars et l'y garder le plus longtemps possible.
– Or donc, dit M. de Beuvre à d'Alvimar, offrez votre main à la châtelaine, et mettons-nous à table. Ne soyez pas étonné si nous n'attendons point notre ami Bois-Doré. Il a coutume, quand il a chassé seulement un quart d'heure, de faire une toilette d'une heure, et, pour rien au monde, il ne voudrait se présenter devant une dame, – même devant celle-ci, qui est à ses yeux comme sa fille, car il l'a vu naître, – sans s'être lavé, parfumé, rhabillé de la tête aux pieds. C'est son plaisir, et il n'y a pas grand mal. Nous ne nous gênons point avec lui, et nous le gênerions en retardant notre repas pour l'attendre.
– N'aurais-je pas dû, dit d'Alvimar quand on l'eut fait asseoir au haut bout de la table, aller présenter mes respects à M. de Bois-Doré, dans sa chambre, avant de me mettre à dîner?
– Non! dit Lauriane en riant, vous l'eussiez bien chagriné en le surprenant à sa toilette. Ne nous demandez pas pourquoi; vous le comprendrez de vous-même sitôt que vous l'aurez vu.
– Et, d'ailleurs, ajouta M. de Beuvre, vous ne lui devez de prévenances qu'à cause de votre jeune âge; car en qualité d'hôte fiduciaire, c'est lui qui vous doit toutes les avances. Or, je me charge de vous présenter à lui, M. d'Ars m'ayant confié ce soin-là.
En parlant du jeune âge de d'Alvimar, M. de Beuvre partageait l'erreur qu'il faisait naître à première vue.
Quoiqu'il fût alors près de la quarantaine, il paraissait être au-dessous de la trentaine, et peut-être M. de Beuvre comparait-il intérieurement le beau visage de son hôte temporaire avec celui de sa chère Lauriane. Sa préoccupation constante était de lui trouver, en dehors du pays, un mari qui n'exigerait pas l'abjuration solennelle.
Il ignorait, le bon gentilhomme, que les jésuites régnaient déjà partout, et que le Berry était encore une des provinces les moins travaillées par leur propagande.
Il ignorait aussi que d'Alvimar fût, dans son âme, un parfait chevalier de la sainte dame Inquisition.
Guillaume, qui voulait assurer à son ami un accueil cordial, s'était bien gardé de le peindre comme un orthodoxe trop chatouilleux. Catholique lui-même, mais tolérant et même peu croyant, comme la plupart des jeunes gens du monde, il n'avait soulevé, ni en le présentant au maître du logis, ni en le recommandant à M. de Bois-Doré, la question religieuse, à laquelle ces personnes n'attachaient, pas plus que lui, une importance dominante dans leurs relations. Mais il avait dit à l'écart, et en deux mots, à M. de Beuvre, que M. de Villareal (le nom convenu d'Alvimar) était de bonne famille, le fait était certain, et en belle passe de faire fortune, Guillaume le croyait, M. d'Alvimar cachant sa pauvreté avec tout l'orgueil dont un Espagnol est capable sur ce point-là.
Le premier service fut distribué avec toute la lenteur des valets berrichons, et dégusté avec la méthodique lenteur des gens bien appris qui ne veulent point passer pour des gloutons.
Cette patiente déglutition, ces longues pauses entre chaque bouchée, ces récits de l'amphitryon entre chaque plat, sont encore articles de savoir-vivre, chez les vieillards, en Berry. Les paysans de nos jours renchérissent sur ce principe de bonne éducation, et quand on mange avec eux, on peut être bien sûr de rester trois heures durant assis à table, ne fût-ce que devant un morceau de fromage et une bouteille de piquette.
D'Alvimar, dont l'esprit actif et inquiet ne pouvait s'endormir dans les jouissances de la réfection, profita de la majestueuse mastication de M. de Beuvre pour causer avec sa fille, laquelle mangeait vite et peu, s'occupant de son père et de son hôte plus que d'elle-même.
Il fut surpris de trouver tant d'esprit chez une fille de campagne, qui, sauf une ou deux courses à Bourges et à Nevers, n'était jamais sortie des terres de son domaine.
Lauriane n'était pas très-cultivée, et peut-être n'eût-elle pas écrit une longue lettre sans y faire quelque faute de français; mais elle parlait bien, et, à force d'entendre parler son père et ses voisins sur les affaires du temps, elle connaissait et jugeait bien l'histoire, depuis le règne de Louis XII et les premières guerres de religion.
Pourtant, comme elle se faisait la gloire de descendre de Charlotte d'Albret, et que ce souvenir était vénérable et vénéré par elle, elle n'eut point occasion de laisser voir à d'Alvimar qu'elle était hérétique, et, d'ailleurs, la civilité de ce temps-là voulait qu'on ne s'expliquât jamais inutilement sur ses propres croyances, même entre gens de la même communion, car les nuances étaient nombreuses et la controverse était partout.
En outre de ce tact délicat et ce grand bon sens qu'elle possédait, elle avait dans l'esprit un tour de franchise et de malice, amalgame tout berrichon, qui fait de l'alliance de deux contraires une manière de voir et de dire assez originale.
Elle était du pays où l'on dit la vérité en riant, et où chacun sait qu'il est compris sans avoir besoin de se fâcher.
D'Alvimar, qui était plus despote que goguenard et plus vindicatif que sincère, se sentit un peu intimidé devant cette jeune fille, et cela, sans trop pouvoir se rendre compte du pourquoi.
Il lui semblait parfois qu'elle devinât son caractère, sa vie ou sa récente aventure, et qu'elle eût l'air de lui dire:
«Après tout, nous n'en sommes pas moins de bonnes gens, prêts à vous obliger.»
Enfin, il fut question de servir le rôt, et, au milieu d'un grand bruit de portes et de cliquetis d'assiettes, M. de Bois-Doré parut, précédé d'un petit serviteur richement équipé, qu'il traitait tout bas de page, comme pour justifier ce vers, qui n'avait pas encore accusé le ridicule de ses pareils:
et contrairement aux ordonnances, qui ne permettaient plus les pages qu'aux princes et grands seigneurs de haut vol.
Malgré sa mélancolie habituelle et son malaise présent, d'Alvimar eut peine à s'empêcher de rire à l'apparition de son hôte fiduciaire.
M. Sylvain de Bois-Doré avait été un des beaux hommes de son temps. Grand, bien fait, noir de cheveux avec la peau blanche, des yeux magnifiques, de beaux traits, robuste et léger de son corps, il avait plu à beaucoup de dames, mais sans inspirer jamais de passion durable ou violente. C'était la faute de sa propre légèreté et de l'économie qu'il faisait de ses propres émotions.
Une bonté sans limites, une loyauté très-grande eu égard à son temps et à son milieu, une prodigalité princière dans les chances fortuites de la richesse, une parfaite philosophie aux heures de la débine (c'était son mot), toutes les qualités aimables et faciles des aventuriers champions du Béarnais, ne suffisaient pas pour faire un héros