Les mystères du peuple, Tome V. Эжен Сю

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Les mystères du peuple, Tome V - Эжен Сю


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femme; son costume annonce un rang inférieur:

      – J'ai entendu le timbre, noble dame Chrotechilde, me voici.

      – Samuel le marchand d'esclaves est-il venu?

      – Depuis une heure il attend dans la salle basse avec deux jeunes filles et un vieillard à longue barbe blanche.

      – Qu'est-ce que ce vieillard?

      – Madame, je l'ignore; c'est sans doute un esclave que le juif Samuel doit conduire ailleurs en sortant d'ici.

      – Ordonne à Samuel d'amener à l'instant les deux filles.

      La vieille femme disparaît: presque au même instant Brunehaut sort de sa chambre; cette reine est âgée de soixante-six ou sept ans; l'on retrouve les traces d'une beauté remarquable sur ses traits, encore moins flétris par l'âge que par la débauche, et par la dévorante ardeur de la haine ou de l'ambition. Son visage blafard, ridé, semble illuminé par le sombre éclat de ses deux grands yeux, profondément caves et cernés; ils sont noirs comme ses longs sourcils, ses cheveux seuls ont blanchi; front d'airain, lèvres impassibles, regard profond, port de tête altier, démarche fière, superbe, car sa taille s'est conservée droite et svelte, telle est Brunehaut. À peine entrée, elle prête l'oreille et dit à Chrotechilde:

      – Qui vient là, par le petit escalier?

      – Le marchand d'esclaves; il amène les deux jeunes filles.

      – Qu'il entre… qu'il entre…

      – Madame, à qui voulez-vous faire don de ces esclaves?

      – Tu le sauras… Mais j'ai hâte d'examiner ces créatures, le choix est important.

      – Madame, voici Samuel.

      Le marchand de chair gauloise, juif d'origine comme la plupart de ceux qui se livraient à ce trafic, entra bientôt suivi des deux esclaves qu'il amenait; elles étaient enveloppées de longs voiles blancs, assez transparents pour qu'elles pussent voir à se conduire.

      – Illustre reine, – dit le juif en mettant dès la porte un genou en terre et inclinant son front presque à toucher le plancher, – je me rends à vos ordres; voici deux jeunes esclaves, véritables trésors de beauté, de douceur, de grâces, de gentillesse et surtout de virginité. Votre excellence sait que le vieux Samuel n'a qu'une qualité… celle d'être honnête homme.

      – Debout, debout! – dit Brunehaut s'adressant aux deux esclaves qui, en présence de la terrible reine, s'étaient agenouillées comme le marchand au seuil de la porte, – debout, les filles, et ôtez vos voiles.

      Les deux esclaves se hâtèrent de se relever et d'obéir à la reine; le juif, afin de mieux mettre en valeur sa marchandise, avait vêtu les deux jeunes filles de tuniques à manches courtes et dont la jupe descendait à peine au-dessus du genou, tandis que l'échancrure du corsage découvrait à demi le sein et les épaules. L'une des esclaves, grande et svelte, portait une tunique blanche; elle avait les yeux bleus, une torsade de corail s'enroulait dans les nattes de ses cheveux noirs: on pouvait lui donner dix-huit ou vingt ans; son visage, d'une beauté touchante et candide, était baigné de larmes, abîmée dans la douleur et la honte, tremblant de tous ses membres, elle tenait constamment baissé son regard noyé de pleurs, de crainte de rencontrer les yeux de Brunehaut. La vieille reine, après avoir longtemps et attentivement examiné cette jeune fille, en la faisant se tourner et se retourner devant elle en tous sens, échangea un signe approbatif avec Chrotechilde, non moins occupée à examiner l'esclave, et dit à celle-ci:

      – De quel pays es-tu?

      – Je suis de la ville de Toul, – répondit la jeune fille d'une voix altérée.

      – Aurélie! Aurélie! – s'écria Samuel en frappant du pied, – est-ce ainsi que tu te rappelles mes leçons? On répond: Glorieuse reine, je suis de la ville de Toul… – Et se tournant vers Brunehaut:

      – Veuillez lui pardonner, madame… mais c'est si naïf, si simple, que…

      Brunehaut coupa d'un geste la parole au juif, et s'adressant à l'esclave: – Où as-tu été prise?

      – À Toul, madame, lors du sac de cette ville par les troupes du roi de Bourgogne.

      – Étais-tu de condition libre?

      – Oui… mon père était maître armurier.

      – Sais-tu lire? écrire? As-tu des talents agréables?

      – Je sais lire, écrire, et ma mère m'avait appris à jouer du théorbe et à chanter.

      Et en disant qu'elle savait chanter, la malheureuse ne put retenir ses sanglots convulsifs… Elle songeait sans doute à sa mère.

      – Allons, pleure encore et pleure toujours! – maugréa Samuel avec dépit, – voilà ce que tu fais de mieux… Mais, vous le savez, grande reine! on a une certaine dose de larmes à pleurer, après quoi, c'est fini… la poche est vide…

      – Tu crois cela, juif? heureusement tu calomnies l'espèce humaine, – reprit la reine avec un cruel sourire en continuant d'examiner la jeune fille, à qui elle dit: – Tu n'as été jusqu'ici esclave nulle part?

      – Foi de Samuel, illustre reine, elle est aussi neuve à l'esclavage qu'un enfant dans le sein de sa mère! – s'écria le juif, voyant la jeune Gauloise éclater en sanglots et hors d'état de répondre. – J'ai acheté Aurélie le jour même de la bataille de Toul, et depuis, ma femme Rebecca et moi nous avons veillé sur cette chère fille comme sur notre propre enfant, sachant que nous tirerions d'elle un très-haut prix.

      Brunehaut, après avoir contemplé de nouveau la jeune fille, qui cachait à demi sa figure dans ses mains, dit à Samuel:

      – Remets-lui son voile et fais approcher l'autre.

      Aurélie reçut son voile des mains du juif comme un bienfait et se hâta de s'envelopper dans les plis de l'étoffe pour y cacher sa douleur, sa honte et ses larmes. À l'ordre de la reine, l'autre esclave était prestement accourue; mignonne et fraîche comme une Hébé, si elle avait seize ans, c'était beaucoup: un collier de perles s'enroulait dans les nattes épaisses de ses cheveux d'un blond doré; ses grands yeux, d'un brun orangé, pétillaient de malice et de feu; son nez fin, légèrement relevé, ses narines roses, palpitantes, ses lèvres vermeilles, un peu charnues, ses petites dents d'émail, son menton et ses joues à fossettes, donnaient à cette fillette la physionomie la plus vive, la plus gaie, la plus effrontée qui fût au monde… Sa tunique de soie vert-pâle rendait plus éblouissante encore la blancheur de son sein et de ses épaules… Oh! le juif n'eut pas besoin de lui dire à celle-là de se tourner, de se retourner, pour que la vieille reine pût examiner à son aise les charmes de sa taille; elle se rengorgeait, se cambrait, se redressait sur la pointe de ses petits pieds, arrondissait gracieusement les bras, faisant enfin de son mieux la belle aux yeux de Brunehaut et de Chrotechilde, qui échangeaient entre elles des regards approbatifs, tandis que le juif, aussi inquiet de l'audace de cette esclave que de l'accablement de sa compagne, lui disait à demi-voix:

      – Tiens-toi donc en place, Blandine… ne remue pas ainsi les jambes et les bras… Un peu de retenue, ma fille, en présence de notre illustre et bien aimée reine! On dirait que tu as du salpêtre dans les veines! Que votre excellence l'excuse, illustrissime princesse; c'est si jeune, si gai, si fou… ça ne demande qu'à s'envoler de sa cage pour faire admirer son plumage et son ramage. Baisseras-tu les yeux, Blandine! oser regarder ainsi en face notre auguste reine!!

      Blandine, en effet, au lieu de fuir le noir regard de Brunehaut, le cherchait, le provoquait d'un air malin, souriant et assuré; aussi la reine lui dit-elle après un long et minutieux examen:

      – L'esclavage ne t'attriste pas, toi?

      – Au contraire, glorieuse reine, car pour moi l'esclavage a été la liberté.

      – Comment cela, effrontée?

      – J'avais une marâtre, quinteuse, revêche, grondeuse; elle me faisait passer sur le froid parvis des basiliques tout le temps que


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