Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau
Читать онлайн книгу.foi à ses paroles.
—Que peut cette vilaine pour votre cause? disent au roi les courtisans.
Mais Charles VII répond:
—Quelle que soit la main qui me rendra ma couronne, je bénirai cette main.
Et il accueille Jeanne Darc, et il déclare que, le premier, il veut combattre sous sa miraculeuse bannière.
A dater de ce moment la vierge de Vaucouleurs devient le premier capitaine de Charles VII, tous les seigneurs se disputent l'honneur de la suivre au combat. On forme sa maison, D'Aulon est son premier écuyer, Raymond et Louis de Contes sont ses pages; elle choisit pour hérauts d'armes d'Ambleville et Guienne; le frère Jean Pasquerel, lecteur du couvent des Augustins de Tours, est son aumônier.
La France, comme l'agonisant qui recueille avidement la moindre parole de salut, a entendu la voix de la vierge inspirée, la France tressaille et renaît à l'espérance.
Jeanne Darc dit:
—Levez vous, et marchons!
Chacun se lève et la suit.
—Allons sauver Orléans!
Et Orléans est sauvé.
De ce jour, les choses changent de face; l'ennemi tremble à son tour. Jeanne Darc lui renvoie la terreur que, la veille encore, il inspirait à tous. L'Anglais n'attaque plus, il se défend. Il se renferme dans ses places fortes dont les murailles ne lui semblent même plus un abri suffisant. L'heure de la délivrance a sonné et, chaque jour, depuis l'arrivée de l'héroïque jeune fille, est marqué par de nouvelles conquêtes.
Jeanne Darc tient cependant toutes ses promesses, et bientôt, à la tête de douze mille hommes, elle traverse un pays presqu'entièrement occupé par l'ennemi, et arrive jusqu'à Reims où Charles VII doit être sacré.
A l'église, elle se tient près du roi, son étendard à la main.
—Il était à la peine, dit-il, il est juste qu'il soit à l'honneur.
Mais là s'arrête la mission de la vierge inspirée, les cérémonies du sacre terminées, Jeanne Darc conjure le roi de lui permettre de se retirer. Se mettant à genoux devant lui, «l'accolant par les genoux,» elle se met à fondre en larmes et toute l'assemblée avec elle:
—Gentil roi, dit-elle, ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, pour montrer que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume doit appartenir, voilà mon devoir accompli, souffrez donc que je retourne vers mes parents qui sont en grand mal de moi.
Mais elle exerçait un trop grand prestige sur le peuple et sur l'armée pour qu'on la laissât partir. Obligée de rester, elle en éprouve un «grand regret;» sa confiance en elle même l'abandonne.
—Je n'entends plus mes voix, disait-elle, et c'est l'indice de ma fin prochaine.
Ce triste pressentiment allait, hélas! se réaliser bientôt.
Le duc de Bourgogne assiégeait alors Compiègne, qui venait de se rendre aux armes de Charles VII.
Toujours la première au danger, Jeanne Darc accourt à la défense de la ville menacée. Dès le jour de son arrivée, elle tente contre les Bourguignons une vigoureuse sortie. Les Français, inférieurs en nombre, sont repoussés. Jeanne, toujours la dernière à la retraite, reste seule exposée à tous les coups; elle tient tête aux masses afin de laisser aux siens le temps de se retirer. Enfin, elle songe à rentrer dans la ville; il est trop tard. Imprudence, fatalité ou trahison, la poterne qui doit assurer son salut est fermée, et, après d'héroïques efforts, elle est obligée de se rendre.
Un chevalier bourguignon, le bâtard de Vendôme, reçoit son épée.
A la nouvelle fatale, une morne tristesse enveloppe la France comme un crêpe de deuil. Les Anglais, au contraire, font éclater les transports de la joie la plus vive; dans toutes leurs églises ils font chanter des Te Deum; c'est que la Pucelle leur semble plus redoutable qu'une armée!
Mais tenir Jeanne Darc prisonnière n'est point assez pour l'Anglais. Il faut tenter de détruire le prestige de l'héroïne de la France, et, par un procès infâme, on essaie de la flétrir.
L'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, accepte le déshonneur et l'ignominie de cette tâche.
Jeanne Darc est conduite à Rouen. Douze mois on la retient prisonnière, la harcelant nuit et jour d'odieuses obsessions. Enfin, après une procédure dans laquelle le ridicule le dispute à l'ignoble, au mépris de toutes les lois divines et humaines, Jeanne Darc, dite Pucelle, est déclarée hérétique, dissolue, invocatrice de démons, blasphèmeresse de Dieu, pernicieuse, abuseresse du peuple, cruelle, devineresse, idolâtre.
Le 24 mai 1431, l'inique sentence reçoit son exécution, et Jeanne, conduite au bûcher, expire au milieu des plus cruels tourments.
—Jésus! Jésus! Jésus!
Telle est sa dernière parole, l'expression suprême de ses mortelles angoisses, cri de douleur et d'espérance qui, dominant les gémissements et les sanglots de la foule agenouillée autour du bûcher, monte vers le ciel comme pour demander grâce pour cette France oublieuse qu'elle vient de sauver, pour ce roi ingrat qui lui doit sa couronne, et qui n'ont rien tenté pour l'arracher des mains de ses ennemis.
Le supplice de Jeanne Darc fit horreur aux Anglais eux-mêmes, et l'un de leurs généraux ne put s'empêcher, lorsqu'on lui en apprit les détails, de s'écrier d'une voix indignée:
—Ah! nous venons de commettre là un exécrable forfait! il nous portera malheur.
La France apprit avec épouvante l'horrible martyre de Jeanne Darc. Seul, peut-être, de tout son royaume, Charles VII ne sembla point ému. En douze mois il avait eu le temps d'oublier celle qui avait, à Reims, replacé la couronne sur sa tête. Pendant un an qu'avait duré son illégale captivité, il n'avait rien entrepris pour l'arracher à l'horreur de la prison; il ne tenta rien pour venger sa mort.
Le roi de France était retombé dans son ancienne apathie, comme autrefois il ne songeait qu'aux amusements frivoles. Tandis que les Anglais s'acharnaient à détruire l'oeuvre de la Pucelle, Charles VII dissipait ses journées en parties de chasse et passait les nuits à exécuter des ballets de sa composition.
Ses capitaines, braves compagnons de Jeanne, murmuraient hautement; mais le roi ne voulait pas les entendre; il n'avait d'oreilles que pour les courtisans assez vils pour flatter tous ses goûts. Que de fois cependant il eut à rougir de son inaction!
Un matin, Xaintrailles et La Hire étaient venus trouver le roi afin de tenir conseil; les événements se pressaient avec une inquiétante rapidité; on le trouva, entouré de quelques familiers, fort occupé d'un ballet qu'on devait donner le soir même. Charles VII, bien que fort contrarié de la visite matinale des deux vaillants hommes d'armes, voulut faire bonne contenance.
—Eh bien! mes amis, leur dit-il, que pensez-vous de cette danse? Ne trouvé-je pas, malgré l'Anglais, moyen de me divertir?
—Il est vrai, Sire, répondit froidement La Hire, et «oncques on n'a vu ny oüy qu'aucun prince perdist si gaiement son estat.»
Charles VII tourna brusquement le dos au censeur incommode; il était de ceux que la vérité blesse; sensible à la gloire, ambitieux, il désirait le «renom de grand capitaine et souhaitait de tout son coeur rentrer dans le domaine de ses pères,» mais l'énergie lui manquait et nul n'avait sur lui assez d'ascendant pour l'arracher aux obscurs plaisirs de sa petite cour.
—Vous êtes heureux, Sire, de savoir vous contenter de si peu, lui disait dans une autre occasion un de ses meilleurs amis.
Le roi de France, en effet, avait grandement besoin d'être philosophe; tous les jours n'étaient pas jours de fête à sa cour; l'argent manquait souvent le lendemain des «festoyements,» il fallait alors recourir